Tendances temporelles et risque vie entière de fibrillation auriculaire et de ses complications entre 2000 et 2022 : étude de cohorte sur la totalité de la population danoise
Temporal trends in lifetime risks of atrial fibrillation and its complications between 2000 and 2022: Danish, nationwide, population-based cohort study
Vinter N, Cordsen P, Johsen SP & al.
BMJ 2024;385:e07720
http://dx.doi.org/10.1136/bmj-2023-077209
CONTEXTE
La prévalence européenne de la fibrillation auriculaire (FA) devrait être de l’ordre de 17,9 millions de patients en 2060 (1). Bien que les mortalités toutes causes confondues et cardiovasculaires (CV) liées à la FA se soient améliorées ces dernières années, elles restent élevées (2-4) en particulier à cause des risques d’accident vasculaire cérébral (AVC), d’insuffisance cardiaque (IC) et d’infarctus du myocarde (IdM) (2-6).
Afin de préparer l’avenir des systèmes de santé, il est utile de prédire, à l’aide d’une méthode appropriée (7), le risque d’apparition d’une FA et de ses complications pendant la durée de vie attendue des sujets indemnes de FA ayant atteint un certain âge.
OBJECTIFS
Évaluer l’évolution du risque d’apparition de FA et de ses complications dans toute la population danoise, au-delà d’un certain âge, en analysant l’incidence de ces évènements cliniques (et de leurs complications) entre les années 2000 et 2022.
MÉTHODE
Étude rétrospective de cohorte conduite entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2022 sur toute la population danoise âgée de 45 à 95 ans et indemne de FA à l’inclusion.
Les données ont été recueillies dans les bases de données administratives nationales exhaustives danoises. La durée de vie des sujets inclus a été estimée à partir des évènements cliniques de FA validée survenus dans l’ensemble de la population entre 2000 et 2010 puis entre 2011 et 2022 et de ses différentes complications, en particulier les AVC, les IdM, les embolies systémiques et l’apparition d’une IC. Dans les bases de données danoises, les diagnostics de FA et de ses éventuelles complications sont codés avec la classification internationale des maladies version 10 (ICD-10) depuis l’année 1994.
Les auteurs ont inclus tous les adultes danois (51,7 % de femmes) âgés de 45 ans à 95 ans et indemnes de FA. Ils ont été suivis jusqu’à l’éventuelle apparition d’une FA. Les patient(e)s ayant développé une FA (53,6 % d’hommes) entre 2000 et 2022 ont ensuite été suivis jusqu’à l’éventuelle apparition d’un AVC, d’un IdM, d’une IC ou d’une embolie systémique. Les AVC, IdM, IC ou embolies systémiques survenus avant le diagnostic de FA n’ont pas été comptabilisés
RÉSULTATS
Dans cette population danoise d’adultes (3,5 millions de sujets) d’âges mûrs, le risque d’apparition d’une FA (362 721 patients) est passé de 24,2 % entre les années 2000-2010, à 30,9 % entre 2011 et 2022 (p < 0,001). La probabilité d’apparition d’une FA était significativement plus élevée chez les hommes que chez les femmes (différence absolue = + 4,3 %, p < 0,001). Ce risque était également plus élevé chez les patients ayant des antécédents d’AVC, d’IdM, d’IC, de diabète de type 2 et d’insuffisance rénale chronique.
Alors que la complication de la FA la plus présente et la plus redoutée dans l’esprit des cliniciens est l’AVC, cette étude a montré que la complication vie entière la plus fréquente était l’IC : 42,9 % entre 2000 et 2010 et 42,1 % entre les années 2011 et 2022, avec là encore, une fréquence plus élevée chez les hommes que chez les femmes (différence absolue = + 9,6 %, p < 0,001). De son côté, l’incidence vie entière des AVC post FA a significativement diminué de 22,4 % à 19,9 % et celle des IdM de 13,7 % à 9,8 % sans différence significative entre les hommes et les femmes. Enfin, comparativement aux sujets du même âge et indemnes de FA, ceux atteints de FA compliquée d’IC perdaient en moyenne 14,4 années de vie (15,7 chez les hommes et 11,2 chez les femmes).
COMMENTAIRES
En Europe, il n’y a qu’au Danemark ou en Islande qu’il est possible de mener une étude de cohorte de cette envergure sur toute une population. Ces deux pays disposent de bases de données médicales nationales exhaustives alimentées par les professionnels de santé et leurs auxiliaires administratifs. Elles contiennent les données de santé détaillées de chaque personne, ce qui est à la fois un trésor pour les chercheurs (en particulier les épidémiologistes), et un peu inquiétant pour les personnes très attachées à leur intimité.
D’après les résultats de cette étude rétrospective, l’incidence de la FA semble avoir fortement augmenté chez les adultes de plus de 45 ans entre les années 2000 et 2010 puis 2011 et 2022. Cependant, il est impossible de savoir si cette évolution est naturelle ou si elle est liée à la durée de vie prolongée d’une population qui vieillit ou aux progrès des outils diagnostiques.
Le plus instructif dans cette étude est l’incidence supérieure de l’apparition d’une IC par rapport aux AVC alors que ces derniers sont souvent considérés comme la complication la plus fréquente par les cliniciens, y compris les cardiologues. Enfin, la diminution de l’incidence des complications de la FA est probablement liée aux progrès thérapeutiques en termes de prévention (en particulier les anticoagulants), et à leur utilisation pertinente par les cliniciens.
La principale faiblesse de cette étude est l’absence d’analyse en sous-groupes selon l’origine ethnique et/ou la situation socio-économique des populations, ce qui influence le risque vie entière de FA et ses complications (8-9).
En pratique de médecine générale de premier recours (exposée au diagnostic initial), il est utile d’avoir à l‘esprit que l’incidence de la FA est élevée (31 %) entre 45 et 95 ans (surtout chez les patients ayant des antécédents ou des facteurs de risque CV, y compris l’âge), que la complication vie entière post-FA la plus fréquente est l’IC et non pas l’AVC.
L’auteur déclare ne pas voir de lien d’intérêt relatif au contenu de cet article.
Références
(1) Krijthe BP, Kunst A, Benjamin EJ, et al. Projections on the number of individuals with atrial fibrillation in the European Union, from 2000 to 2060. Eur Heart J 2013;34:2746-51. https://doi.org/10.1093/eurheartj/eht280.
(2) Schnabel RB, Yin X, Gona P, et al. 50-year trends in atrial fibrillation prevalence, incidence, risk factors, and mortality in the Framingham Heart Study: a cohort study. Lancet 2015;386:154-62. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(14)61774-8.
(3) Kornej J, Huang Q, Preis SR, et al. Temporal trends in cause-specific mortality among individuals with newly diagnosed atrial fibrillation in the Framingham Heart Study. BMC Med 2021;19:170. https://doi.org/10.1186/s12916-021-02037-x.
(4) Vinter N, Huang Q, Fenger-Grøn M, Frost L, Benjamin EJ, Trinquart L. Trends in excess mortality associated with atrial fibrillation over 45 years (Framingham Heart Study): community-based cohort study. BMJ 2020;370:m2724. https://doi.org/10.1136/bmj.m2724.
(5) Christiansen CB, Gerds TA, Olesen JB, et al. Atrial fibrillation and risk of stroke: a nationwide cohort study. Europace 2016;18:1689-97. https://doi.org/10.1093/europace/euv401
(6) Frederiksen TC, Dahm CC, Preis SR, et al. The bidirectional association between atrial fibrillation and myocardial infarction. Nat Rev Cardiol 2023;20:631-44. https://doi.org/10.1038/s41569-023-00857-3.
(7) Conner SC, Beiser A, Benjamin EJ, LaValley MP, Larson MG, Trinquart L. A comparison of statistical methods to predict the residual lifetime risk. Eur J Epidemiol 2022;37:173-94. https://doi.org/10.1007/s10654-021-00815-8
(8) Mou L, Norby FL, Chen LY, et al. Lifetime risk of atrial fibrillation by race and socioeconomic status: ARIC study (Atherosclerosis Risk in Communities). Circulation Arrhythmia Electrophysiology 2018;11:e006350. Https://doi.org/10.1161/CIRCEP.118.006350
(9) Wu J, Nadarajah R, Nakao YM, et al. Temporal trends of cause-specific mortality after diagnosis of atrial fibrillation. Eur Heart J 2023;44:4422-31. https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehad571.
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