INTRODUCTION
L'épidémie liée au Covid-19 a émergé en Chine en décembre 2019 avant de se propager en Europe et au reste du monde au début de l’année 2020. En mars 2020, un premier confinement avait été mis en place en France. Un nouveau confinement a débuté le 30 octobre. Dans ce contexte, la vie des Français a été bouleversée par de nombreux facteurs, source de stress. Dès le premier semestre de l’année 2020, des études réalisées en Chine puis en Europe ont fait état d’une recrudescence de souffrance psychique et de troubles psychiatriques (1, 2). Cet article de mise au point sera centré sur l’impact psychiatrique de cette pandémie sur la population générale, sur les patients ayant un trouble psychiatrique préexistant et sur les patients ayant eu un diagnostic positif de Covid-19, afin de mieux dépister et diagnostiquer les troubles psychiatriques liés à cette pandémie.
ÉPIDÉMIOLOGIE DES TROUBLES PSYCHIQUES DEPUIS LE PREMIER CONFINEMENT
Les étudiants sont une population particulièrement vulnérable sur le plan psychiatrique et ont pu être d’autant plus affectés par le confinement. Une étude a interrogé plus de 60 000 étudiants français afin de mesurer cet impact (3). Les résultats étaient éloquents : la prévalence de troubles dépressifs, anxieux et des idées suicidaires était élevée. Parmi les facteurs de risque retrouvés, nous pouvons retenir : genre féminin, précarité financière, isolement, avoir eu des symptômes compatibles avec une infection de Covid-19, avoir un antécédent psychiatrique.
Santé publique France a mis en place un dispositif d’enquête (enquête CoviPrev) auprès de 2 000 internautes français, âgés de 18 ans et plus, dès mars 2020, permettant d’évaluer la prévalence de troubles psychiques au cours du confinement et dans les mois qui ont suivi (4). La prévalence de l’anxiété était de 26,7 % en mars 2020, soit deux fois supérieure au taux observé avant la pandémie, et s’est maintenue à un niveau important en septembre 2020 (18 % versus 13,5 % en période hors pandémie). La prévalence de la dépression était de 19,9 % en mars 2020, puis a diminué jusqu’à atteindre 10 % de la population en septembre 2020. Les problèmes de sommeil se sont majorés dès le premier confinement et sont restés stables et élevés depuis la sortie du premier confinement jusqu’à maintenant (65,8 % en septembre 2020 versus 49,4 % hors épidémie). Quant au risque suicidaire (évalué par la présence et l’intensité d’idées suicidaires et la réalisation d’une tentative de suicide dans le mois précédent), il a été multiplié par 3 en 2020 par rapport à 2017 (5).
Pour explorer l’évolution des consommations de substances psychoactives et les conditions de travail en période de pandémie de Covid-19, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) a réalisé une enquête en septembre 2020 auprès d'environ 4 000 salariés et agents publics sur la période écoulée depuis le premier confinement (6). Pendant le confinement :
• près d’un tiers des fumeurs ont augmenté leur consommation, ce qui est corrélé à l’augmentation des ventes de tabac pendant le premier confinement,
• la quantité d’alcool consommée est en baisse et la fréquence de consommation en hausse (6),
• le solde entre augmentation et diminution/arrêt du cannabis est négatif,
• la consommation de psychotropes (anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères) a augmenté (6),
• concernant les jeux d’argent et de hasard, un essor très important du poker en ligne a été noté (9).
Les principaux facteurs d’augmentation des consommations déclarés étaient : l’isolement, la qualité du sommeil, les conditions de travail et les conditions de vie à domicile.
TROUBLES ANXIEUX ET DÉPRESSIF
En cette période très particulière que constitue le confinement, il est important de savoir identifier les personnes les plus vulnérables, mais aussi les symptômes qui doivent alerter…
→ Population vulnérable
Les personnes les plus à risque de développer un trouble anxieux et/ou dépressif dans cette période sont (4) :
• les personnes âgées de moins de 35 ans,
• les personnes peu diplômées, sans emploi et en situation financière difficile ou précaire,
• les personnes ayant eu un proche malade du Covid-19 ou ayant eu des symptômes,
• les personnes en recherche active d'informations sur le Covid-19,
• les personnes ayant des antécédents psychologiques.
L’isolement, le manque d’exercice physique et faire partie du personnel soignant sont également des facteurs de vulnérabilité. Les femmes, les parents d’un enfant de moins de 16 ans et les personnes habitant dans un logement avec une forte promiscuité étaient plus à risque de développer un trouble anxieux. Les personnes avec un risque de développer une forme grave de Covid-19 étaient plus à risque de développer un trouble dépressif.
→ Clinique des troubles anxieux et dépressif
■ Pendant et au décours du confinement, des symptômes dépressifs, voire des troubles constitués peuvent apparaître. Un épisode dépressif caractérisé doit être évoqué si le patient présente a minima 5 des symptômes suivants, dont au moins une humeur dépressive (le patient se sent vide ou triste presque tous les jours et presque toute la journée) ou une perte d’intérêt ou de plaisir, associés à : un gain ou une diminution de l’appétit, une insomnie ou hypersomnie, un ralentissement psychomoteur, une asthénie, un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive, des troubles de la concentration, des pensées de mort ou idées suicidaires récurrentes. Ces symptômes doivent être présents depuis au moins deux semaines et quasi quotidiennement. Ils ne doivent pas être attribuables à l’effet physiologique d’une substance ou d’une autre affection médicale.
■ Pendant et au décours du confinement, des symptômes anxieux, voire des troubles constitués peuvent apparaître. Le trouble anxieux est une vaste entité clinique regroupant différentes pathologies. Parmi elles, le trouble anxieux généralisé, le trouble panique et le trouble de stress post-traumatique semblent être en augmentation (7, 8). Dans ce contexte, les symptômes anxieux peuvent se manifester par de la peur et de l’inquiétude pour sa propre santé et celle de ses proches ainsi que pour sa situation financière ou son emploi, associées à une perturbation du sommeil, des difficultés de concentration, une irritabilité, une agitation, une tension musculaire ou une fatigabilité. La personne éprouve de la difficulté à contrôler ces préoccupations. Le trouble panique est caractérisé par une répétition d’attaques de panique inattendues. Le trouble de stress post-traumatique se manifeste chez les personnes ayant été exposées directement ou indirectement à un événement traumatique, et est caractérisé par un syndrome de répétition (reviviscence sous forme de cauchemar ou de flashback), un syndrome d’évitement (évitement des circonstances, des lieux, des personnes, des pensées associées au traumatisme) et par une hyperactivitation neurovégétative (troubles du sommeil, irritabilité, hypervigilance – être sur le qui-vive du moindre stimulus environnemental qui pourrait être interprété comme une menace). Le trouble de stress post-traumatique semblerait associé aux personnes ayant été positives au Covid-19 et ayant subi des complications. D’autres études sont nécessaires pour confirmer cette hypothèse.
→ Dépistage et diagnostic des troubles anxieux et dépressif
Au vu de la prévalence actuelle, il est donc très important de détecter les troubles anxieux et/ou dépressif dans la population générale et, spécifiquement, dans la population plus à risque tels que les jeunes, les femmes, les personnes en précarité sociale et ceux ayant été en contact avec le Covid-19. Le rôle du médecin est aussi d’informer ses patients de l’impact psychique de la pandémie actuelle et d’encourager à limiter l’exposition aux informations anxiogènes liées au Covid-19 présentes dans certaines émissions de télévision, sur les réseaux sociaux, etc.
Les troubles anxieux et/ou dépressif sont dépistés et diagnostiqués par un examen clinique minutieux en recherchant les critères diagnostiques et une rupture dans le fonctionnement du patient par rapport à son état antérieur. Il est possible de s’aider du questionnaire Hospital Anxiety and Depression Scale (échelle HAD, voir encadré p. 21), explorant l’état de santé psychique du patient la semaine écoulée (9). Il s’agit d’un auto-questionnaire de dépistage des symptômes anxieux et dépressifs, comportant 14 items, cotés de 0 à 3. Sept questions se rapportent à l’anxiété (total A) et sept autres à la dimension dépressive (total D), permettant ainsi l’obtention de deux scores (note maximale de chaque score = 21). Un score supérieur à 8 permet de suspecter des symptômes anxieux et/ou dépressifs et un score supérieur à 11 permet de conclure à une symptomatologie certaine. Si cette échelle n’est pas la plus optimale en termes de sensibilité, elle a l’avantage d’être rapide d’utilisation et peut être remplie par le patient sans l’aide du médecin, en salle d’attente par exemple. Elle ne remplace pas l’interrogatoire.
Enfin, il est primordial d’être vigilant concernant les patients ayant déjà des troubles psychiatriques. En effet, plus d’un patient sur cinq souffrant de troubles psychiatriques préexistants a signalé une détérioration de son état de santé mentale lors ou après le confinement (1). Pour le médecin, il est donc important de bien réévaluer la pathologie psychiatrique, l’observance des traitements, de dépister des comorbidités anxieuse et/ou dépressive, et d’explorer le vécu de la pandémie et de ses conséquences et le contexte de vie du patient suivi.
AUTRES IMPACTS DU COVID-19 SUR LA SANTÉ MENTALE
→ Les troubles du sommeil
La population la plus vulnérable à développer des troubles du sommeil dans cette période de pandémie, et spécifiquement de confinement, est celle des jeunes âgés de 18 à 24 ans, les personnes avec des situations financières précaires, les personnes ayant des antécédents psychologiques, les personnes ayant eu des symptômes du Covid-19 ou ayant eu des proches malades du Covid-19, et les personnes en recherche active d'informations sur le Covid-19 (4).
Du fait de l’impact du confinement sur les activités quotidiennes et habitudes de vie, et du stress induit par la pandémie et les conséquences associées, une augmentation des troubles du sommeil a été observée en population générale et chez les personnes ayant un trouble psychiatrique préexistant. Il est donc important d’informer les patients sur le risque majoré de troubles du sommeil lors des périodes de confinement et plus largement de la pandémie, de rappeler les conseils d’hygiène du sommeil.
Les troubles du sommeil ont un impact sur la santé et sur la qualité de vie et doivent être recherchés. Dans le contexte de confinement, il s’agit le plus souvent d’insomnies pour lesquelles il faut caractériser la modalité d’installation et les facteurs déclenchant possibles, l’évolution, la typologie (difficultés d’endormissement, réveils nocturnes avec difficulté à se rendormir, ou réveils précoces avec incapacité à se rendormir) et les conséquences. Un agenda du sommeil complété par le patient sur plusieurs semaines peut être utile pour mieux caractériser le trouble. Une actimétrie permet d’apprécier les rythmes veille-sommeil et le niveau d’activité. La polysomnographie n’a pas sa place en première intention. La polysomnographie se justifie dans le cadre du bilan d’un syndrome des jambes sans repos ou en cas de suspicion de syndrome d’apnées obstructives du sommeil. Il faut préciser si l’insomnie est aiguë et transitoire, souvent secondaire à un facteur de stress, ou bien chronique, c’est-à-dire avec des symptômes présents au moins 3 fois par semaine évoluant depuis plus de 3 mois. Dans ce dernier cas, le médecin doit rechercher s’il s’agit d’un trouble-insomnie ou si l’insomnie est symptomatique d’un trouble psychiatrique (trouble de l’humeur, trouble anxieux ou trouble de stress post-traumatique) ou d’une pathologie non psychiatrique (d’origine iatrogène ou liée à une substance, un syndrome des jambes sans repos, etc.).
→ Les idées suicidaires
L’émergence des troubles précédemment décrits, les facteurs de stress liés à la pandémie (maladie, deuil, etc.) et à ses conséquences socio-économiques, et l’isolement sont des facteurs de risque de suicide. Le risque est majoré chez les sujets souffrant de troubles psychiatriques dont le suivi a pu être diminué du fait des mesures sanitaires. Le risque suicidaire doit donc être évalué chez les patients ayant les facteurs de risque cités. Le praticien se doit de rechercher la présence d’idées suicidaires et de les prendre en charge immédiatement à l’aide d’un psychiatre et du service d’accueil des urgences.
→ Les addictions
La pandémie est un facteur de stress et est donc un facteur de risque de développer ou d’aggraver une addiction avec substance (alcool, cannabis, benzodiazépines, tabac…) ou comportementale (jeu d’argent…). Pour autant, la hausse des consommations d’alcool, de tabac et de cannabis semble avoir été contenue en population générale pendant le confinement (10). Chez les usagers réguliers, les consommations ont été stables ou ont augmenté. De même, le poker en ligne a connu un essor important. Enfin, les consommations de psychotropes ont augmenté en population générale. La prescription de benzodiazépines, psychotropes à risque de mésusage et de dépendance, doit être strictement encadrée : elle doit être limitée dans le temps et évitée chez les sujets ayant un antécédent d’addiction.
Les patients doivent être informés sur les risques liés à des consommations plus importantes en période de pandémie et de confinement. Le dépistage de comportements d’usage à risque ou d’abus de substance doit être effectué, même chez des patients sans antécédents, en interrogeant sur l’évolution de la fréquence et de l’intensité des consommations, ainsi que sur leurs impacts. Le trouble lié au jeu d’argent ne doit pas être oublié.
Enfin, la surveillance des patients ayant des addictions doit être renforcée afin de contenir une potentielle augmentation des consommations et des dommages associés ; et afin de prévenir ou prendre en charge un potentiel sevrage induit par les difficultés à se procurer des substances en période de confinement.
CONSÉQUENCES PSYCHIATRIQUES DE L’INFECTION À COVID-19
S’ajoutant aux facteurs de stress liés à l’infection et à ses complications, l’action directe de l’infection sur le cerveau et la conséquence de la réponse immuno-inflammatoire à l’infection pourraient avoir des conséquences psychiatriques (11), comme cela a été montré pour le MERS et le SRAS. Les patients ayant été positifs au Covid-19 doivent donc également être particulièrement surveillés concernant l’apparition de symptômes psychiatriques dans les prochains mois.
EN RÉSUMÉ
La pandémie de Covid-19 et le confinement laissent entrevoir leur impact sur la santé mentale. Il existe une recrudescence majeure et durable des troubles psychiques avec, au premier plan, les troubles anxieux, les troubles dépressifs et les troubles du sommeil. Il est primordial de les dépister et les diagnostiquer ainsi que d’interroger le patient sur la présence d’idéation suicidaire, pour bien sûr prendre en charge ces patients.
Bibliographie
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10. OFDT. Les addictions en France au temps du confinement [Internet]. 2020. Available from: https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxof2a9.pdf
11. Leboyer M, Pelissolo A. Les conséquences psychiatriques du Covid-19 sont devant nous…. Ann Med Psychol (Paris) [Internet]. 2020 Sep [cited 2020 Nov 24];178(7):669–71. Available from: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7494500/
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