Le bilan hépatique (BH) est très souvent prescrit en médecine de ville. Il fournit beaucoup d’informations qu’il faut néanmoins pouvoir interpréter de façon pragmatique et rapide. Il faut garder à l’esprit que le contexte clinique de prescription est déterminant pour que ce bilan biologique soit contributif.
→ Pour être interprétable, le bilan hépatique doit être complet et comporter : les transaminases (ASAT et ALAT), les enzymes de la cholestase (gamma-glutamyl-transférase – GGT) et phosphatases alcalines (PAL) ainsi que des paramètres de la fonction hépatique : taux de prothrombine (TP), bilirubine totale et conjuguée.
DEUX SITUATIONS URGENTES
Le patient doit être adressé aux urgences :
– En cas de cytolyse importante (> 10 fois la limite supérieure de la normale – LSN) même en l’absence de signe biologique d’insuffisance hépatique : diminution du TP (< 50 %) et hyper-bilirubinémie à prédominance conjuguée (qui signent la progression vers une hépatite aiguë sévère voire fulminante). En effet, il s’agit d’une hépatite aiguë avec nécessité d’hospitalisation et surveillance clinico-biologique rapprochée, car l’apparition de signes d’IHC peut être décalée de quelques heures.
– En cas de signe associé de décompensation chez un patient étant connu ou suspect d’avoir une cirrhose : diminution du TP, hyper-bilirubinémie à prédominance conjuguée, hypo-albuminémie et thrombopénie. Le patient doit être pris en charge par un spécialiste pour faire un bilan complet de la cirrhose et rechercher les facteurs déclenchants de la décompensation / aggravation hépatique.
En dehors de ces situations urgentes, un premier bilan étiologique peut être fait en médecine de ville.
Quand adresser le patient aux urgences ?
• Cytolyse aiguë > 10 LSN
• Arguments pour une cirrhose décompensée
INTERPRÉTATION DES VALEURS BIOLOGIQUES
Les tableaux et figure résument les principales causes et les premiers examens à réaliser dans les différents cas de figure en pratique clinique.
Cytolyse
→ La cytolyse hépatique est définie par l’élévation des transaminases : aspartate aminotransférase (ASAT) et alanine aminotransférase (ALAT). Une élévation même minime au-dessus de la norme supérieure (variable selon les laboratoires) est toujours anormale et doit être explorée. Le niveau d’élévation guidera les explorations comme décrit plus bas (tableaux 2 et 3). La cytolyse témoigne soit de la destruction du tissu qui contient ces enzymes, soit de l’augmentation de la perméabilité membranaire cellulaire. La cytolyse n’est donc pas synonyme de nécrose hépatocytaire et elle n’est pas corrélée à la gravité de la maladie hépatique sous-jacente (1).
Les ASAT sont des enzymes ubiquitaires, non spécifiques du foie et présentes également dans de nombreux organes (foie, cœur, muscle, rein, cerveau…). Au contraire, bien qu’également ubiquitaires, les ALAT sont beaucoup plus spécifiques du foie. L’élévation majoritaire des ASAT doit donc faire rechercher une cause hépatique mais également extra-hépatique (tableau 4).
→ Les étiologies diffèrent en général selon la présence ou pas d’un facteur temporel de chronicité de l’élévation des transaminases. Une cytolyse chronique est définie par la persistance d’élévation des transaminases au bout de 6 mois. Or, le caractère aigu ou chronique est souvent manquant lors de l’interprétation initiale du bilan et il faut se fier alors au niveau d’augmentation. Le seuil communément utilisé est inférieur ou supérieur à 10 fois la LSN. Une “élévation faible” (< 10 LSN) est le plus souvent chronique, par opposition à une “élévation forte” (> 10 LSN), le plus souvent aiguë (1).
Pour la pratique de médecine générale, les causes hépatiques les plus fréquentes d’élévation forte et aiguë ou chronique et faible des transaminases sont résumées dans les tableaux 2 et 3.
→ Notons que les médicaments sont très souvent responsables d’anomalies du bilan hépatique (cytolyse, cholestase, forme mixte) et que cette problématique revient très souvent en médecine générale. Les principaux médicaments responsables d’anomalies du bilan hépatique sont listés dans le tableau 1. Le site internet Livertox collige de façon très exhaustive ces anomalies décrites dans la littérature, selon les molécules. Les arguments en faveur d’une hépatite médicamenteuse sont l’apparition des anomalies après l’introduction du médicament et la normalisation rapide du bilan après l’arrêt de ce dernier (dans les 2-3 mois en général). On peut donc se permettre de surveiller l’évolution biologique après l’arrêt avant de compléter le bilan étiologique. La réintroduction du médicament incriminé est fortement déconseillée.
→ D’autres causes existent (maladies auto-immunes, maladie de Wilson, etc.) mais ne seront recherchées qu’en 2e intention, le plus souvent en milieu spécialisé.
Cholestase
→ La cholestase est définie par la diminution de la cholérèse et est diagnostiquée par une élévation des PAL > 1.5 N +/- GGT > 3N. L’élévation de la bilirubine conjuguée est plus tardive. Il s’agit donc d’une diminution de la sécrétion biliaire, quel que soit son mécanisme, avec ou sans ictère, avec ou sans prurit (2).
→ Isolée, l’élévation des GGT n’est pas spécifique de la cholestase et peut être secondaire à une induction enzymatique médicamenteuse ou à une consommation d’alcool chronique. L’origine hépatique des PAL peut être confirmée par l’élévation concomitante des 5’-nucléotidases qui sont des enzymes cholestatiques circulantes hépato-spécifiques.
→ La cholestase peut être obstructive ou non obstructive, elle est souvent multifactorielle (figure 1). En cas d’obstruction des grosses voies biliaires, le diagnostic se fera par l’imagerie. En cas d’atteinte des petites voies biliaires, l’histologie est souvent l’examen-clé (2).
LE BILAN DE PREMIÈRE INTENTION
Interrogatoire
→ Un interrogatoire bien conduit est indispensable dans tous les cas d’anomalie du BH. On l’orientera en fonction des causes recherchées (facteurs de risque de transmission virale, consommation de toxiques, etc.) ainsi que des résultats. Il faut rechercher une prise médicamenteuse (paracétamol, antibiothérapie – amoxicilline/acide clavulanique – sartans…) ou autre agent potentiellement toxique (champignons ramassés, cocaïne, phytothérapie, herbes chinoises…), un rapport sexuel à risque, un voyage en zone tropicale ou une consommation d’aliments à risque de transmission de l’hépatite E autochtone (viande mal cuite, gibier, fruits de mer), les antécédents cardiaques et les symptômes associés : douleur abdominale / fièvre / ictère, même transitoires.
→ Il faut évaluer la consommation d’alcool, rechercher des antécédents familiaux d’hépatopathies virales / de surcharge en fer ou de maladies auto-immunes et dépister les différents paramètres du syndrome métabolique (3).
→ Il faut rechercher un sepsis récent (essentiellement les infections bactériennes systémiques), fréquemment pourvoyeur de cholestase, ou des infections virales (angine à EBV par exemple) associées à une cytolyse, une maladie systémique concomitante et les symptômes associés (essentiellement le prurit, l’hyperpigmentation des urines et la décoloration des selles).
Échographie abdominale
L’échographie abdominale est le premier examen à réaliser devant une anomalie aiguë ou chronique du bilan hépatique, que ce soit une cytolyse, une cholestase ou une forme mixte. Son degré d’urgence dépend du niveau d’anomalie (> ou < 10 LSN). L’échographie abdominale permet d’analyser rapidement les voies biliaires pour rechercher une dilatation et/ou un obstacle. Elle permet également de détecter des signes d’hépatopathie chronique (dysmorphie hépatique, signe d’hypertension portale, ascite) et d’analyser la perméabilité vasculaire (thrombose porte ou des veines hépatiques).
Quand adresser le patient aux urgences ?
• Cholécystite, dilatation des voies biliaires sur obstacle, thrombose porte ou des veines hépatiques , signe de décompensation (essentiellement l’ascite)
Quand adresser le patient vers l’hépatologue ?
• Dysmorphie hépatique sans signe de décompensation
COMPLÉMENT DU BILAN ÉTIOLOGIQUE
→ Les causes les plus fréquentes d'une cytolyse aiguë ou élevée (> 10 LSN) ainsi que les examens complémentaires usuels sont listés dans le tableau 2.
→ Les causes les plus fréquentes et explorations à faire en cas de cytolyse chronique sont listées dans le tableau 3.
→ Pour savoir s’il existe une maladie chronique du foie évoluée, l’élastométrie impulsionnelle hépatique (Fibroscan®) peut être demandée afin de déterminer la présence d’une atteinte fibrosante voire même d’une cirrhose. C’est un examen non invasif et fiable pour évaluer une hépatopathie fibrosante, avec une très bonne valeur prédictive négative si la valeur est normale. Néanmoins, il doit être fait dans certaines conditions (ex : à jeun 2 heures avant) et n’est interprétable qu’en l’absence de cytolyse importante. En pratique, il est rarement réalisé en médecine générale.
→ Si ce bilan est négatif ou en cas de diagnostic d’hépatite virale, le patient devra être adressé à un hépatologue. Il faut cependant noter concernant l’hépatite C que depuis 2018 et le parcours de soins simplifié, le médecin traitant peut prescrire le traitement antiviral C si le patient est naïf de traitement antérieur, sans hépatopathie fibrosante (imposant la réalisation d’une élastométrie), sans co-infection VHB ni VIH et sans insuffisance rénale chronique.
→ Devant une cholestase isolée et en l’absence de prise médicamenteuse, l’échographie permet la recherche d’anomalies des voies biliaires. Si cette dernière est normale, il faudra dépister en premier lieu la cholangite biliaire primitive par le dosage plasmatique des anticorps anti-mitochondries de type 2 (figure 1). Si cette recherche est positive ou en cas de persistance de la cholestase à distance de l’arrêt d’un médicament potentiellement en cause, il faudra adresser le patient à un hépatologue (4).
→ En cas d’anomalie du bilan hépatique non expliqué par les causes résumées dans les tableaux et figure, le spécialiste complétera le bilan étiologique en recherchant les pathologies plus “rares” : hépatopathie auto-immune, déficit en α1-anti-trypsine, maladie de Wilson, maladie vasculaire du foie… Le recours à la biopsie hépatique est souvent requis.
Quand adresser le patient à l’hépatologue ?
• Bilan initial négatif (cf. tableau 2 et 3, fig 1)
• Hépatite virale aiguë ou chronique
• Elévation de l’élastométrie ou signe échographique évocateur d’hépatopathie fibrosante
• Présence d’anticorps anti-mitochondrie
• Persistance d’anomalies du BH à distance après l’arrêt du médicament
LES CAUSES EXTRA-HÉPATIQUES DES ANOMALIES DU BH
Les principales causes extra-hépatiques d’anomalies du bilan hépatique sont listées dans le tableau 4.
CONCLUSION
→ Le bilan hépatique complet doit être prescrit dans un contexte clinique particulier, en présence de symptômes cliniques et / ou de facteurs de risque de maladie chronique du foie.
→ Les perturbations aiguës sont de véritables urgences diagnostiques, avec nécessité de prise en charge hospitalière car la gestion de ces situations en ville rend hasardeuse la prise en charge rapide des patients.
→ Les anomalies sont la plupart du temps chroniques, minimes à modérées. Les étiologies actuellement le plus souvent rencontrées sont la stéatohépatite dysmétabolique et la consommation chronique d’alcool. La première mesure est l’incitation aux changements de modes de vie (diminution de la consommation d'alcool, régime alimentaire, activité physique).
→ Les médicaments sont également de grands pourvoyeurs d’anomalies du bilan hépatique souvent transitoires. Les médicaments récemment introduits devront être arrêtés, avec une surveillance biologique régulière (bi-hebdomadaire ou mensuelle en général), jusqu’à normalisation. Malgré l’absence de recommandation officielle, il est déconseillé de réintroduire le médicament incriminé devant le risque de réapparition des anomalies sous une forme plus sévère.
→ Devant des anomalies chroniques, en l’absence d’hépatite virale et sans amélioration après éviction des médicaments ou de modifications du mode de vie, le patient devra être adressé à l’hépatologue pour compléments de bilan étiologique.
Bibliographie
1- Pariente A. Cytolyse hépatique (augmentation des aminotransférases) chez l’adulte. Hépato-Gastro Oncol Dig. 2013 Oct 1;20(8):629–38.
2- Valla D-C. Cholestasis. Hépato-Gastro Oncol Dig. 2013 Oct 1;20(8):618–27.
3- Ford ES. Prevalence of the metabolic syndrome defined by the International Diabetes Federation among adults in the U.S. Diabetes Care. 2005 Nov;28(11):2745–9.
4- Liver EA for the S of the. EASL Clinical Practice Guidelines: Management of cholestatic liver diseases. J Hepatol. 2009 Aug 1;51(2):237–67.
Liens d'intérêts
Aucun lien d'intérêts déclaré.
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