Dans le parcours de soins, c’est le médecin généraliste qui reçoit et oriente la plupart des patients présentant la plainte “vertiges”. Les vertiges paroxystiques positionnels bénins (VPPB) sont les premiers en cause. Leur diagnostic est clinique et leur traitement physiothérapeutique. Pourtant, de nombreux patients reçoivent une prescription d’examens complémentaires et de médicaments inutiles. Forts de ces constats, la Haute autorité de santé et le Collège de la masso-kinésithérapie ont produit en décembre 2017 une recommandation de bonne pratique pour aider le médecin de premier recours à assurer son diagnostic et orienter le patient avec pertinence, en valorisant les thérapeutiques reconnues comme efficaces et sûres.
La HAS insiste sur le fait que la prise en charge du patient souffrant de VPPB « ne s’improvise pas et nécessite une formation théorique et pratique spécifique », tant pour les MG que pour les kinésithérapeutes.
QUI SOUFFRE DE VPPB ?
20 à 30 % des Français connaîtront dans leur vie au moins un phénomène de vertiges. Inconnue en France, la prévalence “vie entière” du VPPB est de 2,4 % En Allemagne. Aux États-Unis, 17 à 42 % des patients souffrant de vertiges ont reçu un diagnostic de VPPB, qui affecte deux fois plus les femmes que les hommes. Sa prévalence est sept fois plus élevée après 60 ans, avec un pic entre 70 et 78 ans, générant chez les patients âgés une morbidité importante secondaire aux chutes et à la fragilité.
Dans une étude épidémiologique nord-américaine, les dépenses en lien avec le VPPB atteignaient 2 000 dollars par patient, dont l’essentiel était à rapporter à une errance diagnostique et des traitements non adaptés.
UN DIAGNOSTIC CLINIQUE
L’anamnèse permet à elle seule d’assurer une forte présomption diagnostique, et surtout d’éliminer des diagnostics différentiels graves et/ou urgents.
► Dans le VPPB, le vertige :
– est occasionnel et répété ;
– se déclenche lors d’un changement de position de la tête ;
– a le plus souvent une prédominance matinale et a tendance à s’améliorer dans la journée ;
– présente un paroxysme au bout de quelques secondes ;
– dure moins d’une minute (le plus souvent < 20 secondes) ;
– s’associe souvent à des signes neurovégétatifs : nausées/vomissements, anxiété, fatigue, céphalées de type migraineux (34 %), HTA (52 %) ;
– n’est pas associé à des symptômes neurologiques, ni à une perte auditive, des céphalées non migraineuses et des acouphènes ;
– n’est pas associé à des anomalies otoscopiques ;
– est contemporain d’un nystagmus.
Le nystagmus est vertical battant vers le haut, et torsionnel lorsque le canal postérieur est incriminé (85 % des cas).
► L’examen clinique en dehors des crises de vertige est normal : pas de nystagmus spontané ou provoqué, pas de déviation posturale (déviation des index, épreuve de Romberg, marche aveugle ou test de Fukuda).
► Les patients rapportent souvent un déclenchement du vertige lors du retournement dans le lit, au lever et au coucher ; lorsqu'ils se penchent puis se redressent (par exemple au moment de lacer leurs chaussures) ou étendent leur nuque (par exemple au moment de regarder vers le haut pour atteindre l'élément d’une étagère). Ils repèrent ces mouvements et adoptent rapidement des conduites d’évitement.
► Le VPPB tend à se présenter avec des épisodes récurrents dans une période de temps limitée (phase “active”), suivie d’un intervalle sans attaque (période “inactive”), avant de se répéter de nouveau après une rémission de durée variable.
► Le VPPB peut être idiopathique (58 % des cas) ou secondaire à un traumatisme crânien (8-18 %), une maladie virale ou une manipulation cervicale. Cependant, il n’y a pas de critère spécifique formel pour affirmer le caractère secondaire du VPPB. Notamment, certains auteurs recherchent un traumatisme crânien ou cranio-cervical mineur/sévère dans les trois jours précédant le vertige, tandis que d’autres étendent cette période à trois mois !
Le traitement des formes secondaires peut nécessiter plus de manœuvres thérapeutiques que les VPPB idiopathiques, en particulier dans les formes post-TC qui impliquent plus souvent plusieurs canaux semi-circulaires : 67 % nécessitent plusieurs manœuvres, contre 14 % des formes idiopathiques.
UN BÉNIN PARFOIS SÉVÈRE !
Bien que qualifié de “bénin”, le VPPB n’est pas anodin car certains patients peuvent vivre une importante limitation d’activités.
Le VPPB peut être à l’origine de troubles de l’équilibre, voire de chutes. L’association de facteurs de risque déjà présents chez des patients peut augmenter le risque de chute, de fracture et de handicap.
► Concernant le pronostic, quelques facteurs de mauvais succès thérapeutique sont évoqués par la littérature : maladie migraineuse (migraine vestibulaire), incapacité à mobiliser la tête ou le corps, déficience sensorielle distale (neuropathie par exemple), altération visuelle (strabisme, cataracte, dégénérescence maculaire, glaucome), troubles cognitifs, comorbidités psychiatriques (anxiété notamment), syndrome post-chute.
HISTOIRE NATURELLE
L’évolution spontanée du vertige positionnel paroxystique bénin peut être spontanément favorable : de l’ordre de 30 % en sept jours. Parfois, l’amélioration spontanée nécessite plusieurs semaines voire mois. Il est possible que celle-ci résulte de conduites d’évitement : ces patients réduisent leur amplitude de mouvement pour rester asymptomatiques.
► La durée, la fréquence et l’intensité des symptômes du VPPB varient selon les patients. En particulier, les femmes souffrent d’un taux de récurrence plus élevé que les hommes (58 % contre 39 %).
Dans une cohorte de 125 patients [4] atteints d’un VPPB du canal semi-circulaire postérieur et traités par rééducation vestibulaire, le taux de récurrence était de 50 % sur les 10 ans de suivi. Dans un autre travail [5], les patients ayant récidivé rapportaient en moyenne 2,2 crises durant le suivi de trois ans.
Il ne semble pas possible de prédire la récidive, bien qu’elle semble apparaître plus fréquemment du même côté que le précédent épisode.
DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS PÉRIPHÉRIQUES
Tandis que le VPPB est caractérisé par des épisodes aigus de vertiges positionnels brefs sans perte auditive, les causes otologiques se manifestent en particulier par une perte auditive.
► La maladie de Menière comporte des attaques épisodiques avec une triade “vertige soutenu + fluctuation des pertes auditives + acouphènes”. Le vertige dure plus longtemps que dans le VPPB (habituellement plusieurs heures, contre moins d’une minute dans le VPPB), et est typiquement plus invalidant : des nausées prolongées et des vomissements peuvent accompagner l’attaque. Toutefois, l’évolution de la maladie de Menière peut mener à d’authentiques épisodes de VPPB (récurrence supérieure à celle de la population générale).
► Les syndromes de dysfonction vestibulaire périphérique aiguë les plus fréquents sont la névrite vestibulaire ou la labyrinthite. Il s’agit de vertiges sévères, non précédés de sensations subjectives de mouvements rotatoires. Si la portion auditive de l’oreille interne est affectée, une perte auditive et des acouphènes sont associés. Ces syndromes sont communément précédés par un épisode viral. Le vertige démarre graduellement, augmente sur plusieurs heures et peut se maintenir pendant plusieurs jours à plusieurs semaines. Il est présent au repos sans nécessiter de changement de position ; par contre, comme dans le VPPB, il peut être exacerbé par les changements de position.
► Le syndrome de déhiscence du canal supérieur est cliniquement caractérisé par des épisodes fulgurants de vertige, une surdité mixte et une oscillation de haut en bas (sensation que les objets regardés se déplacent ou oscillent de haut en bas) souvent provoqués par des sons forts, des manœuvres de Valsalva ou des changements de pression dans les canaux auditifs externes.
► Le vertige post-traumatique est différent du VPPB secondaire à un TC décrit plus haut : en effet, le patient présente non seulement un tableau vertigineux mais également d’autres symptômes : déséquilibres, acouphènes et céphalées. Il peut s’inscrire dans le cadre des “syndromes post-commotionnels” [6] où l'on constate un contraste frappant entre la pauvreté de l’examen clinique et la richesse des plaintes subjectives : céphalées, vertiges, fatigue, troubles de mémorisation et de concentration, irritabilité, labilité émotionnelle, dépressivité, anxiété, trouble du sommeil, intolérance au stress.
► Enfin, pour complexifier encore plus la démarche diagnostique, plusieurs désordres vestibulaires peuvent coexister ! Cette hypothèse doit être évoquée chez un patient qui ne présente pas les symptômes spécifiques d’une entité vestibulaire simple…
DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS CENTRAUX
Bien qu’essentielle, la distinction central/périphérique peut être complexe. Trois diagnostics “centraux” principaux sont retrouvés dans la littérature.
La migraine vestibulaire peut fréquemment mimer un VPPB. On retrouve des symptômes vestibulaires épisodiques, un diagnostic de migraine (critères de l’International Headache Society) et, durant au moins deux épisodes de vertiges, au moins deux symptômes – migraine, photophobie, phonophobie ou autre aura –. Le diagnostic est difficile et le plus souvent, des examens complémentaires sont justifiés pour écarter des diagnostics différentiels. Le traitement est similaire à celui de la migraine commune.
► Un vertige isolé peut être d’origine ischémique. Le type de nystagmus, la sévérité de l’instabilité posturale et la présence de signes neurologiques additionnels sont les principales différences avec le VPPB. Le nystagmus de cette atteinte artérielle ne fatigue pas et n’est pas facilement supprimé par la fixation du regard.
► Les tumeurs intracrâniennes et les autres lésions du tronc cérébral présentent rarement une anamnèse et une symptomatologie similaires à celles du VPPB. Par contre, le patient présente quasi constamment la crainte d’une telle pathologie, en l’exprimant explicitement ou non. Des symptômes associés tels que les acouphènes, la perte auditive, la migraine, la céphalée, l’ataxie, le vomissement, l’altération de l’état général et/ou divers symptômes neurologiques aident à différentier ces diagnostics du VPPB.
ET LES AUTRES…
Un VPPB peut ressembler aux symptômes de multiples “désordres non-otologiques et non-neurologiques”.
► Notamment, les patients atteints d’anxiété, de trouble panique, d’agoraphobie peuvent rapporter des pseudo-vertiges, souvent attribués à l’hyperventilation. Cependant, la prévalence de dysfonctions vestibulaires authentiques est plus forte chez ces patients !
► Les vertiges d’origine cervicale découlent possiblement de troubles dégénératifs des articulations du rachis cervical. Les symptômes sont parfois très similaires à ceux du VPPB, en raison d’anomalies proprioceptives découlant du dysfonctionnement du rachis cervical.
La plupart de ces désordres peuvent être distingués du VPPB via la réponse aux tests spécifiques – Dix-Hallpike, test positionnel rotatoire couché –.
QUI ORIENTER VERS LE SPÉCIALISTE ?
Le patient doit être adressé à un médecin oto-neurologue :
– en présence d’un drapeau rouge : céphalées, diplopie, ataxie, acouphènes, otalgie, cervicalgies et/ou tout autre signe neurologique ;
– en cas de nystagmus spontané ;
– nystagmus spontané torsionnel et vertical. Dans le VPPB du du canal semi-circulaire postérieur, le nystagmus est torsionnel et vertical, mais pas spontané ;
– nystagmus s’inversant selon la position du regard ;
– nystagmus s’inversant spontanément ;
– nystagmus spontané sans vertige ;
– en cas d’apparition, immédiatement après la manœuvre déclenchante, d’un nystagmus qui dure quelques minutes, de vitesse constante sans paroxysme et ne s’accompagnant pas d’une sensation de vertige ;
– en cas d’évolution inattendue.
Dans tous les cas, s’ils n’ont pas suivi de formation spécifique, les médecins et les masseurs-kinésithérapeutes doivent réorienter un patient présentant un VPPB vers un professionnel formé.
PRESCRIRE JUSTE
Qu’il soit idiopathique ou post-traumatique, le VPPB est supposé être causé par un déplacement d’otolithes dans les canaux semi-circulaires. La prise en charge des vertiges positionnels paroxystiques bénins a beaucoup progressé, notamment grâce aux techniques de repositionnement des otolithes. En première intention, les patients doivent rapidement être orientés vers un traitement rééducatif.
► La HAS recommande la prescription : « bilan-diagnostic kinésithérapique, manœuvres thérapeutiques pour vertige positionnel et contrôle si nécessaire ».
Le rapport fait part d'une incontestable inégalité d’accès à la rééducation vestibulaire sur le territoire national. La Société internationale de réhabilitation vestibulaire regroupe sur son site un annuaire (www.vestib.org/annuaire.html) qui, bien que non exhaustif, donne les adresses de professionnels de santé formés.
► Chez neuf patients sur dix, une seule séance suffit pour traiter l’atteinte du canal semi-circulaire postérieur dans les VPPB primitifs. Il est fréquent que plusieurs séances soient nécessaires en cas de VPPB post-traumatique.
► Après le traitement, les restrictions posturales pendant quelques jours (dormir en position redressée, porter un collier cervical mousse, éviter les extensions cervicales, éviter de s’allonger sur l’oreille affectée), bien qu’encore souvent préconisées, n’ont pas démontré leur bénéfice.
► Aucune recommandation ne soutient la prise de médicaments pour traiter le VPPB dans un but préventif ou curatif. Les suppresseurs vestibulaires (neuroleptiques, benzodiazépines, anti H1 sédatifs, acétylleucine) peuvent retarder les processus centraux de compensation et augmenter le risque de chute. Les patients bénéficiant d'une rééducation vestibulaire seule récupèrent mieux que ceux prenant un traitement sédatif associé à la manœuvre.
► Il est recommandé de réévaluer le patient un mois après le traitement pour confirmer la résolution des symptômes et l'orienter vers le médecin spécialiste si l’évolution est inattendue.
La littérature ne permet pas de recommander de conseils à prodiguer aux patients en prévention secondaire ; on ne sait pas non plus s’il faut recommander ou réfuter les auto-traitements utilisant la manœuvre de Sémont ou celle de repositionnement des canalithes.
Concernant l’éducation thérapeutique, le patient doit être sensibilité au risque de chute, notamment s’il a des critères de fragilité.
BIBLIOGRAPHIE
1- Haute autorité de santé. Vertiges positionnels paroxystiques bénins : manœuvres diagnostiques et thérapeutiques. Décembre 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2819896/fr/vertiges-positionnel…
2- Haute autorité de santé et Collège de la masso-kinésithérapie. Vertiges positionnels paroxystiques bénins : manœuvres diagnostiques et thérapeutiques. Synthèse de la recommandation de bonne pratique (3 pages). Décembre 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2018-01/ve…
3- Haute autorité de santé et Collège de la masso-kinésithérapie. Vertiges positionnels paroxystiques bénins : Manœuvres diagnostiques et thérapeutiques. Recommandation de bonne pratique. Décembre 2017. Disponible sur https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2018-01/ve…
4- Brandt T, Huppert D, Hecht J, Karch C, Strupp M. Benign paroxysmal positioning vertigo : a long-term follow-up (6-17 years) of 125 patients. Acta Otolaryngol 2006 ; 126 (2) : 160-3
5- Toupet M, Bozorg Grayeli A. Vertige positionnel paroxystique bénin. Encycl Méd Chir Neurologie 2014 ; 17-018-A-10.
6- Auxéméry Y. Traumatisme crânien léger et syndrome post-commotionnel : un questionnement ré-émergent. L’Encéphale 2012 ; 38 : 329-335. Disponible sur http://www.encephale.com/content/download/91036/1648762/version/1/file/…
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