Monsieur B., âgé de 56 ans, consulte pour des douleurs pharyngées ayant débuté il y a environ deux mois, latéralisées à gauche. Initialement, elles ne survenaient que lors de la déglutition, mais sont maintenant devenues permanentes, l’obligeant à prendre du paracétamol codéiné trois à quatre fois par jour, sans réelle efficacité. Il signale une irradiation des douleurs vers l’oreille gauche depuis leur apparition. Il se plaint également d’une importante halitose apparue récemment et de quelques crachats sanguinolents. Du fait de ces douleurs, l’alimentation est difficile, et il rapporte une perte de 5 kg en un mois (pesait 56 kg, est maintenant à 51 kg), ainsi qu’une grande fatigue. Il a remarqué, en se rasant, la présence d’une tuméfaction cervicale gauche sous l’angle mandibulaire, indolore.
Il rapporte un tabagisme actif à 40 paquets-année et un éthylisme chronique à 75 cL de bière par jour.
Par ailleurs, il n’a pas d’antécédent médical ou chirurgical particulier et ne prend pas d’autre traitement que le paracétamol codéiné.
Quelle analyse sémiologique faire de ce tableau ? Quels sont les éléments de l’interrogatoire qui orientent vers une pathologie maligne ?
♦ Il s’agit d’un homme entre 40 et 60 ans, présentant une symptomatologie ORL avec des douleurs pharyngées persistantes depuis plus de trois semaines. Ces douleurs ont un retentissement important sur son état général, puisqu’il a déjà perdu quasiment 10 % de sa masse corporelle.
♦ Les douleurs pharyngées irradiant vers l’oreille ne sont pas spécifiques d’une étiologie donnée, mais leur survenue lors de la déglutition signe l’otalgie réflexe, là encore peu spécifique, mais qui oriente vers une pathologie oropharyngée ou hypopharyngée homolatérale.
♦ L’halitose n’est pas non plus spécifique.
♦ La tuméfaction cervicale indolore sous mandibulaire homolatérale aux douleurs oriente vers une adénopathie satellite non inflammatoire.
♦ Au total, ce patient est fortement suspect d’une pathologie ORL maligne oropharyngée ou hypopharyngée avec une extension ganglionnaire déjà présente, comme le fait suspecter le faisceau d’arguments suivants : douleurs latéralisées persistantes depuis plus de trois semaines, otalgie réflexe, halitose, crachats sanglants, altération de l’état général (asthénie, amaigrissement), adénopathie cervicale indolore, contexte éthylo-tabagique actif.
L'examen clinique ORL
Il est important de bien distinguer l’examen de la cavité buccale et de l’oropharynx. En effet, ceux-ci sont séparés par l’isthme du gosier, qui correspond aux piliers antérieurs des amygdales latéralement, le V lingual en bas et le voile du palais en haut.
L’oropharynx comprend donc les piliers amygdaliens, les loges amygdaliennes, le voile du palais, la paroi pharyngée postérieure et la base de langue.
→ L'examen de la cavité buccale recherche et mesure le trismus en « travers de doigt » témoignant d’une infiltration des muscles masticateurs ptérygoïdiens, l'état dentaire (intérêt en pré-thérapeutique), une lésion muqueuse (faces internes de joue, plancher buccal, langue, palais osseux, lèvres, gencives), et la palpation permet d'objectiver une induration.
→ L'examen de l’oropharynx recherche une lésion des loges amygdaliennes, de la paroi pharyngée postérieure, de la base de langue, mais seule la partie très antérieure de cette dernière est visualisable.
La palpation des loges amygdaliennes et de la base de langue complète l’examen visuel. Il est important de bien examiner le côté sain pour comparer avec le côté pathologique.
→ Otoscopie : le patient se plaignant d’une otalgie gauche, il est nécessaire d’éliminer une pathologie du conduit ou du tympan associée.
→ L'examen cervical recherche une atteinte cutanée en regard de l’adénopathie, d’autres adénopathies homolatérales et controlatérales, avec palpation des aires I, II, III, IV et V.
Le caractère dur et fixe d’une adénopathie cervicale fait suspecter fortement sa malignité, de même qu’une atteinte cutanée (perméation).
L’ouverture buccale est conservée, et vous constatez une lésion (cf. photo 1). La loge amygdalienne est occupée par une tumeur ulcéro-bourgeonnante, sans extension évidente au voile du palais. La palpation retrouve une induration de toute la loge amygdalienne étendue au pilier antérieur, sans induration sous-muqueuse du voile, ni de la région sous-amygdalienne, ni de la base de langue. La tumeur est fixée au plan profond. La taille tumorale est estimée à 2,5 cm. Il n’y a qu’une seule adénopathie palpable, dans l’aire IIa de la classification de Robbins (Robbins et al, 2008). Les dents sont en piteux état. L’otoscopie est normale.
Quel bilan d’imagerie prescrire avant d’adresser le patient à l’ORL ?
→ Actuellement, la meilleure modalité d’imagerie pour une tumeur de l’oropharynx est l’IRM cervico-faciale injectée (Antoniou et al., 2014). La tumeur est bien visualisable sur les différentes séquences et l’intérêt majeur de cet examen est l’évaluation de l’extension en profondeur, qui peut changer radicalement la classification TNM de la tumeur. L’extension aux muscles constricteurs du pharynx est bien évaluée par l’IRM, et dans le cas ci-présent, la fixation de la lésion au plan profond à la palpation signe l’infiltration du constricteur moyen du pharynx. Dans ce cas, une lésion mesurée à 2,5 cm serait classée T2, mais en cas d’extension aux muscles extrinsèques de la langue (peu visible sur un scanner), elle passerait en T4a.
L’IRM est également performante pour l’évaluation de l’extension ganglionnaire.
→ Un scanner cervico-facial injecté pourra être réalisé si l’IRM n’est pas possible dans des délais raisonnables ou en cas de contre-indication à l’IRM.
→ Le scanner thoracique injecté est à réaliser afin d’évaluer l’extension métastatique.
→ Un panoramique dentaire est indispensable en prévision d’une éventuelle radiothérapie pour la prévention de l’ostéoradionécrose mandibulaire ou maxillaire supérieure. Les soins dentaires doivent idéalement être réalisés plusieurs semaines avant le début de la radiothérapie le cas échéant.
Conclusion du cas clinique
→ Les tumeurs ORL se manifestent toujours par des signes cliniques a priori banals, mais c’est leur persistance sur plusieurs semaines qui doit alerter. L’examen clinique est fondamental pour trouver le primitif, et même en l’absence de lésion évidente, il faut rapidement adresser le patient à l’ORL. La prescription du bilan d’imagerie avant la consultation ORL permet de gagner un temps précieux sur les délais de la prise en charge, qu’elle soit chirurgicale ou non.
→ L’évaluation de l’état nutritionnel du patient est importante en pré-thérapeutique et la prescription de compléments nutritionnels oraux dès la consultation de médecine générale permet de limiter la dénutrition avant le début de la prise en charge.
→ Le traitement de la douleur peut rapidement faire appel à des paliers 3, et il faut adapter la formulation des traitements en fonction des possibilités de prise orale ou non (patchs, formes oro-dispersibles, sprays notamment).
BIBLIOGRAPHIE
1- Anatomie ORL 3e édition. Pierre Bonfils, Jean-Marc Chevallier, Editions Lavoisier, 2011.
2- Le Livre de l’Interne-ORL. Sous la direction de Pierre Bonfils, Editions Lavoisier, 2017.
3- Robbins KT, Shaha AR, Medina JE et al. Consensus statement on the classification and terminology of neck dissection. Arch Otolaryngol Head Neck Surg/Vol 134 (N°. 5), May 2008
4- Antoniou AJ, Marcus C, Subramaniam RM. Value of imaging in head and neck tumors. Surg Oncol Clin N Am. 2014 Oct;23(4):685-707
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