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Une « nouvelle gouvernance » venait en 2007 modifier les relations des médecins et de l’administration hospitalière. S’agissant d’un impératif économique, cette réforme s’accompagnait de la mise en place de la tarification à l’activité. Ces outils étaient parés de vertus pédagogiques et professaient la responsabilisation des médecins. Ils promettaient la récompense des vertus gestionnaires des « médecins responsables » médico-économique de pôles.
La création des pôles venait modifier le découpage de l’hôpital, assurant le regroupement des services de spécialités médicales. D’aucuns hypothéquaient la formule dont le caractère vertueux apparaissait moins évident qu’il ne l’était à sa promotion. Je ne reviendrai pas sur ce propos, (i.e. A. Grimaldi « L’hôpital malade de la rentabilité », Fayard ed.) sinon pour souligner que la méthode n’était pas si efficace, qu’il n’ait fallu, dès 2009, soumettre la gouvernance hospitalière à un nouvel avatar.
Le contexte est sérieux puisqu’il concerne la maîtrise des dépenses de santé. Ne sommes-nous pas tous, soignants et soignés, des contribuables et, par là même, respectueux de chaque euro qui nous est confié pour répondre aux besoins de soins ? Néanmoins, la gestion médico-économique des pôles ne permit pas d’atteindre les objectifs escomptés et l’hôpital continuait de souffrir de sa gouvernance. Son état de santé s’aggravait quand bien même il était confié à des médecins !
Que faire pour accroître l’efficience des thérapeutes ? Promouvoir le responsable médical du pôle en… chef de pôle ! Le chef de pôle se substitue aux chefs de services. Il est seul détenteur de l’autorité, n’est plus élu par ses pairs mais désigné par un directeur général dont il met en place la politique. Ce dernier conserve d’ailleurs sur le chef de pôle un pouvoir de révocation. C’est une politique d’exception. Nous perdons l’essence des principes démocratiques mais aussi moraux qui ont fondé la politique de santé. Extraire un individu du groupe, le désigner comme détenteur de l’autorité consiste à ériger en règle le conflit d’intérêt. On s’en remet à son intégrité quand on nous affirme que, lorsqu’il était chef de service, son individualisme ne permettait pas la neutralité requise. Le contraste entre la capacité du chef de pôle à régler le conflit d’intérêt et celle que l’on accorde à chacun d’entre nous face à l’industrie du médicament et saisissant. La Loi ne gère pas le même dilemme dans les mêmes termes…
Outre la morale, le principe de compétence est malmené. Prenons l’exemple des activités soumises à autorisation spécifiques délivrées par l’Agence de la biomédecine et les ARS. Elles comprennent des activités intriquées cliniques et biologiques, procréation médicalement assistée, génétique médicale… On voudrait qu’elles soient incluses dans des laboratoires hospitaliers uniques regroupant les différentes disciplines. Ceci reviendrait, le plus souvent, à en confier la responsabilité à un chef de pôle, qui ne serait titulaire ni des autorisations d’exercice obligatoires, ni même parfois d’un doctorat de Médecine. On peut d’ailleurs s’interroger sur le conflit avec les textes encadrant la pratique de la génétique en particulier l’article R-1131-8 du code de la Santé publique qui stipule que le praticien autorisé à la pratique des analyses doit être directeur ou directeur adjoint du laboratoire.
Certains d’entre nous auront sans doute, par la pertinence des organisations locales, les moyens de poursuivre leur mission. La situation demeure ambiguë et peut permettre à des chefs de pôle d’infléchir des objectifs nationaux comme le plan maladie rare. Il n’est pas de leur ressort de s’affranchir des contradictions de la gouvernance actuelle. Ils enfreindraient les textes en consentant des délégations larges aux vrais responsables des unités médicales. C’est pourtant ce que l’abnégation due à leur charge devrait les conduire à faire.
L’amalgame des disciplines au sein du pôle génère un conflit d’intérêt. Il empiète sur des prérogatives et objectifs nationaux, entre en contradiction avec le Code de la Santé publique. Il apparaît donc nécessaire, aussi bien pour les principes moraux, que l’efficience médicale, d’amender une loi irrespectueuse de ses propres objectifs.
* Chef de Service de Génétique Médicale, CHU de Toulouse
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