Parmi les récentes revendications des médecins hospitaliers - tels que le Pr Remi Salomon (AP-HP, Paris), par exemple – la majoration des heures de travail de nuit et de week-end est mise en avant pour redonner de l’attractivité aux métiers de soignants hospitaliers. Cette mesure pourrait-elle suffire ? En effet, une des difficultés exposées par les agents hospitaliers vient de la nécessité de passer d’horaires de jour à des horaires de nuits, parfois même plusieurs fois dans le mois pour les médecins, ce qui influe négativement sur la santé (1).
Aux États-Unis, pour limiter la fuite des médecins hospitaliers fatigués par des obligations de gardes, un nouveau métier a émergé dans les années 2000, celui de Nocturnist (2). Il s’agit d’un travail choisi en horaires nocturnes exclusif, mieux payé, avec des horaires allégés et qui permet de libérer les confrères des obligations de garde. Une niche ? Pas tout à fait. 8 % des annonces d’emploi du NEJM concernent des postes de Nocturnists qui sont plébiscités par des jeunes médecins, souvent des femmes et, si l’on en croit les communautés sur les réseaux sociaux (@thenocturnists), des personnes issues de minorités ethniques.
Une nouvelle façon d'exercer
Il a été prouvé de longue date que le travail en rythme atypique majore les troubles du sommeil et les risques métaboliques, du fait d’un déficit chronique en sommeil (réduction d’une à deux heures de sommeil par nuit) et d’un sommeil moins réparateur (3). Il est aussi probable que les alternances jour-nuit puissent affecter la santé psychique, les performances cognitives, majorent les risques de prise de poids voire d’obésité, ainsi que le diabète de type 2 et les maladies coronariennes (ischémie coronaire et infarctus du myocarde). D’autres pathologies pourraient être plus fréquentes chez les personnes travaillant en horaires décalés (4) : dyslipidémie, hypertension artérielle, accidents vasculaires cérébraux, cancer du sein…
Avec l’âge, les personnes qui alternent jour-nuit ont tendance à dormir de moins en moins et une récente étude française (5) montre que chez les plus de 50 ans une durée de sommeil de moins de 5 heures majore, par rapport à un sommeil de 7 heures, de 20 à 30 % la survenue de 13 maladies chroniques : diabète, cancer, maladie coronarienne, accident vasculaire cérébral (AVC), insuffisance cardiaque, maladie rénale chronique, maladie hépatique, dépression, démence, troubles mentaux autres que la démence et la dépression, maladie de Parkinson, maladie rhumatologique (polyarthrite rhumatoïde, arthrose).
Travailler en horaire de nuit exclusif ne met pas totalement à l’abri des pathologies liées aux alternances jour-nuit. Néanmoins, parmi les avantages énoncés par les « médecins de nuits », on retrouve entre autres une meilleure gestion du temps et de la famille, des contraintes hiérarchiques moindres, une camaraderie prononcée, un rythme régulier permettant d’éviter la fatigue et de pratiquer des activités sportives et un risque de burn-out minoré (2).
Moins d'erreurs chez les « médecins de nuit »
Les hôpitaux américains ont plébiscité le recours aux Nocturnists, même si leur salaire est majoré de 15 % environ par rapport à leurs confrères et que leur temps de travail est abaissé de 20 %. Il faut dire qu’ils permettent d’assurer la continuité des soins hors services d’urgences avec un risque d’erreur bien moindre que lorsque des internes s’occupent des « gardes d’étage ». Moins de mauvaises prises en charge – dont la fréquence augmente nettement la nuit - permet aussi de minorer les recours judiciaires, particulièrement fréquents aux États-Unis.
Des missions d’analyse de dossiers (préparation des réunions de concertations pluridisciplinaires) sont aussi affectées à ces médecins qui peuvent se pencher sur les cas les plus graves, avec une bien meilleure concentration puisqu’ils ne sont pas dérangés de façon itérative. Enfin, les employeurs voient dans ces praticiens présents de façon prolongée auprès des équipes de soignants de nuit, un facteur de cohésion de groupe.
Exergue : Travailler en horaire de nuit exclusif ne met pas totalement à l’abri des pathologies liées aux alternances jour-nuit.
(1) INRS. Travail en horaires atypiques. https://www.inrs.fr/risques/travail-horaires-atypiques/effets-sur-la-sa…
(2) All in a Night’s Work. https://medicine.stanford.edu/2020-report/all-in-a-nights-work.html
(3) Scott A. Shift work and health. Prim Care. 2000 Dec;27(4):1057-79. doi: 10.1016/s0095-4543(05)70189-5.
(4) Kervezee L, Schechter A, Boivin D. Impact of Shift Work on the Circadian Timing System and Health in Women. Sleep Med Clin. 2018 Sep;13(3):295-306. doi: 10.1016/j.jsmc.2018.04.003.
(5) Sabia S, Dugravot A, Léger D et coll. Association of sleep duration at age 50, 60, and 70 years with risk of multimorbidity in the UK: 25-year follow-up of the Whitehall II cohort study. Plos Medicine. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1004109
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