La pédiatrie subit « une crise sans précédent », alerte le Dr Emmanuel Cixous, président du Syndicat national des pédiatres des établissements hospitaliers (SNPEH). Avec la conjonction de plusieurs épidémies depuis l'automne, des « accidents graves » touchant des enfants risquent de survenir si rien n'est fait, met en garde le pédiatre du Groupe Hospitalier Seclin-Carvin.
LE QUOTIDIEN : Quelle est la situation dans les services de pédiatrie ?
Dr EMMANUEL CIXOUS : Chaque hiver, nous sommes confrontés à un afflux de bronchiolites au niveau national, ce qui entraîne des difficultés pour les urgences et l’hospitalisation. Chacun, dans sa région, essaie de les faire remonter à son ARS, sans obtenir des moyens adaptés. Ce qui a changé cette année, c’est l’arrivée précoce des bronchiolites, plus importantes et plus graves que d'habitude. Nous avons plus d’enfants malades – et surtout très malades – mais aussi plusieurs types d’épidémies qui se télescopent, alors que c’est plus étalé en règle générale.
D’habitude, les gastro-entérites sont nettement moins nombreuses à cette période. On observe aussi beaucoup plus d’enfants qui vomissent en raison des infections virales. Il semblerait qu’il y ait cette année moins d’immunité globale en raison du confinement. Les infections virales sont plus sévères et se répandent davantage dans la population. Il faut ajouter désormais les nombreux adolescents qui ont besoin d’être hospitalisés pour des problèmes psychologiques.
On était déjà dans une situation difficile depuis des années car on n’augmentait pas les effectifs. Aujourd’hui, on ferme des lits, notamment parce que les gens fuient l’hôpital. Dans le même temps, le nombre de passages a fortement augmenté ces derniers mois. On se retrouve dans des situations où l’on ne trouve plus de places nulle part, y compris dans les autres hôpitaux de la région, quand on essaye de transférer les enfants ! On passe notre temps au téléphone pour essayer d’en trouver. Nous sommes au bord de la rupture.
Vous dites que « rien ne se passe » malgré les promesses de lits supplémentaires…
Lors du Ségur de la santé, Olivier Véran avait annoncé le déblocage de 4 000 lits à la demande pour que les établissements puissent s'adapter à la suractivité saisonnière ou épidémique. On les attend toujours… Cette annonce ne semble pas concerner les épidémies automno-hivernales. Les promesses du gouvernement n’ont pas été tenues. Bien sûr, ces épidémies ne sont pas comparables au Covid-19, qui met en difficulté une partie du monde hospitalier. Mais nous nous sommes confrontées à des situations sanitaires lourdes qui peuvent générer des risques vitaux pour les enfants, alors que la plupart n’ont pas de facteurs de risques en dehors de leur jeune âge. Ces épidémies déstabilisent le monde pédiatrique.
La sénatrice LR de Haute-Savoie Sylviane Noël a évoqué « une perte de chances dans certains services de pédiatrie ». Qu’en pensez-vous ?
De plus en plus d’enfants stagnent aux urgences, donc leur état s’aggrave. Le risque de faire des erreurs augmente car les personnels sont surchargés de travail et ne sont pas assez nombreux. Les risques de se retrouver dans des situations inextricables augmentent. Il n’est pas impossible de retrouver un jour un pédiatre dans l’incapacité de trouver des lits dans sa région à 3h du matin. Un jour ou l’autre, on va finir par commettre des erreurs. Oui, des décès peuvent survenir en raison du manque de moyens.
On essaie de faire passer les enfants en priorité mais quand ils sont tous prioritaires, cela devient compliqué ! Et les risques augmentent quand on attend plusieurs heures sur des pathologies qui doivent être tout de suite prises en charge. Si plusieurs enfants arrivent aux urgences en même temps, s’ils ont besoin d’oxygène et de places dans des boxes, on se retrouve coincés.
Il arrive aussi que l’on renvoie des enfants un peu plus âgés qui ont un taux d’oxygène « limite » ou des enfants qui vomissent qui ne sont pas déshydratés. En temps normal, on les aurait gardés, on aurait pris davantage de précautions. On est sans doute moins prudents car on se dit : « Il faut que je garde les lits pour les cas les plus graves. »
Il ne faut pas attendre que les accidents graves surviennent, il faut les anticiper. C’est pour cela que nous avons besoin de rouvrir des lits et d’un ratio patients/personnel suffisant. On observe déjà de nombreux départs de l’hôpital. Mais si ceux qui restent subissent de grosses difficultés et se retrouvent à faire des erreurs, ils se mettront à leur tour en arrêt maladie. On entretient un cercle vicieux, il ne faudra pas s’étonner qu’il y ait davantage de départs.
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