Les hôpitaux français étaient-ils suffisamment armés pour faire face au choc qu’a représenté l’épidémie de Covid-19 ? Dans son rapport public annuel 2021 rendu public jeudi 18 mars, la Cour des comptes tire les premiers enseignements d’une crise dont l’issue reste incertaine. Sa principale conclusion est celle d’un état d’impréparation relatif des établissements français face à l’épidémie.
Les sages de la rue Cambon ont passé au crible le comportement, lors de la première vague, de dix établissements de premier recours et de proximité (dont deux CHU et une clinique privée) situés dans deux régions : la Nouvelle-Aquitaine, assez préservée au printemps, et la Bourgogne-Franche-Comté, frappée de plein fouet par l’épidémie. De manière plus précise, la juridiction financière épingle un modèle de réanimation et de soins critiques à « repenser après la crise ». « La réanimation constitue une activité hospitalière très spécifique, parfois peu connue du grand public, alors qu’elle conditionne depuis le début nombre de décisions qui non seulement régissent notre système de santé mais influent aussi sur notre vie économique et sociale et même sur nos libertés publiques », a cadré Pierre Moscovici, à la tête de la Cour des comptes.
Charge financière massive
Les magistrats s’étonnent tout d’abord du recours presque systématique au plan blanc, jugé « peu adapté » alors qu’il existe un « plan national dédié aux risques épidémiques » appelé ORSAN-REB (pour risques épidémiques et biologiques).
Ensuite, si les établissements ont réussi à adapter rapidement leurs capacités de réanimation et de soins intensifs, ils ont dû faire face à des tensions d’approvisionnement en moyens de protections et en respirateurs. Pénurie à laquelle ils ont dû répondre « y compris en sollicitant des dons d’entreprises privées, en tout cas en recherchant par eux-mêmes des fournisseurs, ce qui a au moins localement provoqué des tensions sur les prix », pointent les sages. Aussi, l’acheminement des dotations nationales par Santé publique France (SPF) s’est fait au prix de la mise en place d’une « plateforme logistique consommatrice de moyens » par les groupements hospitaliers de territoire (GHT).
Déprogrammations à risques
Mais ce sont surtout les conséquences des déprogrammations massives qui inquiètent la Cour des comptes. « C’est au prix d’un renoncement aux autres soins sans précédent que la mobilisation des services de réanimation s’est fait », insiste Pierre Moscovici qui évoque « des conséquences qu’il faudra évaluer sur le long terme ».
Cette stratégie, prise au niveau national lors de la première vague, a conduit à une chute d’activité pour tous les établissements. Et malgré les mécanismes de garantie accordés par l’État – qui leur assure une dotation correspondante aux séjours réalisés sur la même période en 2019 – certains hôpitaux pourraient pâtir financièrement de la crise. C’est le cas de ceux qui anticipaient une hausse d’activité dans leurs prévisions budgétaires pour 2020 et la création d’une offre nouvelle. Celle-ci ne sera « pas prise en compte et compensée, dès lors qu’elle ne s’est pas réalisée », pointe le rapport.
À l’inverse, la Cour des comptes salue la prise en charge par l’Assurance-maladie de la prime Covid − bien que ses conditions d’octroi « ont entraîné çà ou là des difficultés d’attributions » − et des surcoûts générés par la crise. Elle appelle néanmoins à l’avenir à une clarification de la répartition de « la charge financière massive » entre l’Assurance-maladie et les établissements eux-mêmes. Il est en outre suggéré de mettre en place au niveau national « un modèle d’organisation et de coordination des soins critiques et un mode de gouvernance qui soit en mesure d’inclure les structures publiques et privées ».
Soins critiques, réa : inégalités territoriales
En élargissant son analyse à tous les établissements de santé français, la Cour des comptes appelle à repenser le modèle des services de réanimation et de soins critiques après la crise. Lors de la première vague, ces derniers ont connu « une hausse brutale et massive » – à hauteur de 65,3 % de leur activité sur la semaine du 18 mars. Qui plus est, la durée d’hospitalisation a été presque doublée sur la période.
Mais les sages notent un choc très inégal en fonction des régions et une inadéquation des moyens. Hors crise, sur l’année 2019, le taux de recours aux lits de réanimation était le plus élevé en Bourgogne-Franche-Comté avec 16 séjours pour 1 000 habitants (contre 10 pour l’Île-de-France). Or, elle n’était pas la région la mieux dotée en lits, située derrière PACA et l’Île-de-France. Si la Cour reconnaît la pertinence d’une concentration « des unités de soins critiques sur des plateaux techniques mieux étoffés », elle appelle les pouvoirs publics à « rechercher l’adaptation du nombre de lits aux besoins croissants d’une population qui vieillit ».
La rue Cambon alerte enfin sur l’état des ressources humaines dans ces services. Elle s’inquiète du taux de vacance statutaire des médecins intensivistes-réanimateurs (MIR) et des médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR). Une situation qui risque de « s’accroître compte tenu de la pyramide des âges ». Les sages soulignent en outre que « le nombre de postes de MIR proposés à l’internat demeure trop faible. Celui des MAR beaucoup plus élevé, n’a que très peu progressé ». Chez les paramédicaux, et notamment les infirmiers, le problème relevé est celui de la fidélisation avec un turn-over estimé à 24 % en 2015.
La T2A, un non-sens en réa
Enfin, le mode de financement des services de réanimation et de soins critiques est pointé du doigt. La Cour des comptes estime à 115 000 euros par an le déficit créé par l’ouverture d’un lit de réa médicale. Ceci résulte « d’un effet ciseau entre des baisses de tarifs et une augmentation des charges », analysent les sages. « La Cour pense que ce modèle de financement doit être aujourd’hui revu », recadre Pierre Moscovici. Le rapport suggère en effet de déterminer un « nouveau modèle de financement des soins critiques afin de garantir la neutralité de la tarification à l’activité [T2A, NDLR] ».
Si le président de la Cour des comptes reste persuadé que la T2A est pertinente dans la majorité des disciplines car elle incite les établissements « à mettre en adéquation l’offre et la demande de soins », elle est un « non-sens » à ses yeux s’agissant des soins critiques. « À la différence de la chirurgie en hospitalisation complète, il n’existe aucune alternative à l’hospitalisation en réanimation », avance Pierre Moscovici.
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