« Toutes les cliniques privées seront en grève le 3 juin, y compris le service des urgences. Et nous fermerons les blocs opératoires », avait lancé Lamine Gharbi, président de la FHP, face à la presse, le 25 avril. La raison ? L’inégalité d’évolution tarifaire entre le public (+4,3 %) et le privé (+0,3 %) dans le cadre de la campagne tarifaire 2024.
Consultations annulées, opérations déprogrammées, urgences transférées : la perspective de cet arrêt d’activité massif du privé lucratif, incluant les soins urgents (non vitaux), préoccupe le secteur public hospitalier, dans un contexte de pénurie chronique de ressources humaines médicales et paramédicales.
Anesthésistes-réanimateurs, spécialistes de bloc et urgentistes s’inquiètent particulièrement des répercussions de ce mouvement sur l’hôpital public, déjà sous forte tension. La Dr Anne Geffroy-Wernet, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargis (Snphare), redoute une situation « similaire à celle du Covid » et s’inquiète ouvertement des modalités de prise en charge des patients relevant de l’urgence à partir du 1er juin. « L’hôpital public ne pourra absorber la surcharge d’activité induite par la grève des cliniques sans anticipation et aménagement du capacitaire et des moyens humains, a fortiori dans le contexte de pénurie actuelle de professionnels de santé dans les spécialités à forte contrainte en permanence des soins, explique-t-elle. Les expériences récurrentes de fermeture temporaire inopinée d’une maternité, d’un bloc opératoire ou d’un service d’urgence et leurs conséquences sur les autres établissements nous le rappellent… ».
Porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France (Amuf), le Dr Christophe Prudhomme exprime sa crainte d’une saturation des urgences, déjà existante au demeurant. « Les cliniques privées assurent au niveau des urgences une part qui reste significative », rappelle-t-il.
Dans certaines villes comme Toulouse, où le privé a une activité d’accueil d’urgence importante, cela va être compliqué
Dr Marc Noizet (Samu-Urgences de France)
Le transfert des urgences médico-chirurgicales vers l’hôpital, qui assume déjà plus de 80 % de la permanence des soins, nourrit les craintes. Le Dr Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France (SuDF), redoute carrément « une perte de chance pour les patients », même si la réalité territoriale risque d’être très variable. « Il est évident que, dans certaines villes comme Toulouse, où le privé a une activité d’accueil d’urgence importante, cela va être compliqué », confie-t-il.
Le rôle des ARS
D’autres syndicats de praticiens hospitaliers se montrent moins alarmistes. La Dr Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicat national des PH (INPH), affiche même une forme de sérénité. « C’est dans un mois. Pour l’instant, il n’y a pas d’inquiétude au sein des hôpitaux par rapport à cette mobilisation, on verra… », exprime-t-elle, un brin fataliste. Des propos corroborés par le Dr Jean-François Cibien, président de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH) : « On va s’organiser comme d’habitude… Et je pense que certaines structures du privé seront réquisitionnées ». Le Pr Sadek Beloucif, président du Syndicat national des médecins, chirurgiens, spécialistes, biologistes et pharmaciens des hôpitaux publics (Snam-HP), insiste sur le travail en amont des agences régionales de santé (ARS) pour anticiper les organisations et gérer au mieux les différents types d’urgences (vitales, différées et relatives).
C’est assez original de voir des patrons inciter leurs employés libéraux à se mettre en grève. Je suis un peu interloqué
Dr Jean-François Cibien, président d’APH
Déprogrammations
En pratique, dans la deuxième quinzaine de mai, les patients concernés dans les cliniques en grève seront prévenus et éventuellement déprogrammés (dès le 27 mai pour la semaine du 3 juin). Un temps jugé suffisant pour se retourner, explique la FHP. « Sans compter la forte couverture médiatique qui a permis d’informer les patients en amont de contacter leur médecin », veut croire un porte-parole du lobby des cliniques.
Sur le fond, chacun attend que le ministère de la Santé, via les préfets et les ARS, prenne les dispositions nécessaires pour garantir la continuité des soins, y compris sous la forme de réquisitions massives avant la grève. « Aucun praticien ne souhaite être dans une situation dépassée, notamment la nuit, le week-end et les jours fériés, faute de moyens suffisants pour prendre en charge l’ensemble des urgences vitales et non vitales », alerte la Dr Anne Geffroy-Wernet (Snphare) qui a écrit en ce sens aux directions des ARS. Elle insiste une fois encore sur les solutions « qui doivent être anticipées » : augmentation du capacitaire (locaux, moyens humains), réquisition des praticiens grévistes et déprogrammations.
Dans cette situation d’incertitude, certains leaders syndicaux ne font pas mystère de leur agacement. « C’est assez original de voir des patrons de cliniques inciter leurs employés libéraux à se mettre en grève, déclare au Quotidien le Dr Jean-François Cibien (APH). Je suis un peu interloqué. »
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