La matinée démarre par deux bonnes heures d’échanges à cœur ouvert entre le Pr Fabrice Michel, chef de service en réanimation pédiatrique de la Timone (Hôpitaux universitaires de Marseille, AP-HM) et les huit internes en apprentissage. « Ça nous enrichit d’avoir vos retours d’expérience », souligne le spécialiste, en prélude à la formation qu’il anime en binôme avec une psychologue sur la communication avec les familles.
Pour libérer la parole, le pédiatre réanimateur n’hésite pas à insister d’emblée sur les cas très difficiles, à commencer par l’affaire Marwa, une expérience clé dans la mise en œuvre de ce projet, mise en lumière par le documentaire « Au cœur de l’annonce ». Cette histoire, du nom d’une petite fille hospitalisée en septembre 2016 après avoir contracté un virus foudroyant, entraînant de graves lésions neurologiques, avait défrayé la chronique. Ses parents, opposés à une décision de limitation des traitements, avaient saisi la justice et recueilli 290 000 signatures de leur pétition. « Cette situation particulière nous a mis en très grande difficulté et nous a fait réfléchir à comment on essaie d’éviter ces conflits dévastateurs pour les parents comme pour les soignants », explique le praticien, qui a pris la tête du service peu de temps après.
Le fond et la forme
Chaque année, plus d’une quarantaine d’internes, de passage dans ce service, suit donc cette formation de deux jours, conçue avec la psychologue de l’équipe Rachel Ohnouna. Titulaire d’un master d’éthique à la faculté de médecine de l’université d’Aix-Marseille, elle exerce dans le service depuis près de dix ans. « Rapidement, je me suis rendu compte que les familles étaient très souvent impactées psychiquement et émotionnellement par les annonces, explique-t-elle. Au-delà du contenu traumatique de l’annonce elle-même, il y avait parfois beaucoup de souffrance ajoutée par la manière dont elles avaient vécu les entretiens. »
Comment accueillir les familles ? Que faire lorsque les patients sont dans le déni ? Comment réagir face à une situation émotionnellement intense ? Comment aborder le sujet de la mort ? Comment prendre le temps d’informer les proches quand on est débordé ? « On est toujours en difficulté quand on annonce une mauvaise nouvelle », prévient le Pr Michel, qui a été membre du comité d’éthique de la Société française d’anesthésie-réanimation.
Simulation d’entretien
En fin de matinée, les participants entrent dans le dur avec la première séance de simulation. Quatre volontaires se répartissent les rôles, deux « soignants » et deux « parents ». La séquence se déroule dans la salle dédiée aux entretiens avec les familles, elle est enregistrée et retransmise en direct devant leurs camarades spectateurs. « Ce qui se passe ici, reste ici » : telle est la règle qu’a suivie Le Quotidien en anonymisant les échanges. Dans ce scénario, le neurochirurgien et l’interne d’anesthésie-réanimation informent un couple de l’état de leur fille, admise après une chute de cheval, entraînant un traumatisme sévère.
En dépit du jeu d’acteurs, tout le monde est entré dans le récit. « Qu’est-ce que vous avez ressenti ? », demande le Pr Michel, à chaud. Le débrief est divisé en deux parties, émotionnel puis technique. « De la sidération », lance l’interne qui jouait la mère. « Du stress, de l’incompréhension. Je n’écoutais pas les explications », embraye le père fictif. « Cela s’est déroulé de façon calme, apaisée, poursuit l’interne. Mais c’est dur de dire que l’on ne sait pas. »
Les questions sont multiples : comment adapter son discours ? Comment gommer le réflexe de se retrancher derrière des détails techniques ? Quel niveau d’inquiétude faire passer ? « On ne va pas vous donner un guide des bonnes pratiques avec ce qu’il faut dire ou pas », souligne la psychologue. « Savez-vous combien de temps ça a duré ? », interroge le chef de service. « Vous voyez, vous n’avez pas le même vécu de la temporalité », constate-t-il devant les réponses éparses du groupe.
Être médecin, ce n’est pas juste être dans la technique
Un interne en anesthésie-réanimation
L’après-midi, les quatre autres internes se lancent dans l’exercice. L’un d’eux va très loin dans la simulation, prostré, la tête dans les bras, tout au long du scénario. « Je me suis auto-paniqué », confie celui qui interprétait le père d’un bébé hospitalisé pour une bronchiolite. « J’étais déstabilisée de n’avoir aucun contact », décrit sa consœur.
Jonathan Duquet, 34 ans, sort de cette journée avec « deux ou trois astuces à réutiliser ». « J’ai beaucoup apprécié cette formation », souligne l’interne en anesthésie-réa. « Être médecin, ce n’est pas juste être dans la technique, le diagnostic et le traitement, il y a une part de relationnel très importante dans notre métier. » Pour Samuel Dahan, 30 ans, docteur junior en anesthésie-réa, cette formation est « très complémentaire du compagnonnage ». Durant ces deux jours, « on apprend que les familles ont une place presque aussi importante que le patient et que le fait d’être bienveillant et à l’écoute peut changer clairement les prises en charge et le vécu de l’hospitalisation », insiste le Pr Michel. « C’est aussi comme ça que l’on a la confiance des gens », renchérit-il, convaincu que la perte de ce lien contribue à la perte de sens que subissent certains soignants.
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