La mort reste un sujet tabou dans la société, mais également pour de nombreux soignants prenant en charge des patients cardiologiques. Peu d’études s’étaient jusqu’alors intéressées à ce sujet en France, mis à part quelques travaux axés sur les services de réanimation, mais aucune en cardiologie. Pourtant, la majorité des décès recensés chaque année à l’hôpital surviennent dans une unité non spécialisée, dont les services de cardiologie. Un constat qui a conduit trois sociétés savantes, la Société française de cardiologie (SFC), la Société française de chirurgie thoracique et cardiovasculaire (SFCTCV) et la Société anesthésie réanimation cœur thorax vaisseaux (ARCOTHOVA), à lancer une vaste enquête afin de décrypter les conséquences personnelles et émotionnelles de la mort des patients sur les soignants du cœur.
Une situation rencontrée dix fois par an
L’analyse a porté sur 747 questionnaires auto-adressés de juillet à septembre 2021 par des médecins du cœur exerçant en France, des cardiologues dans les trois-quarts des cas, des anesthésistes-réanimateurs cardiaques (12 %), des chirurgiens cardiaques (8 %) et des cardiopédiatres (5 %). En moyenne, les médecins (43 % de femmes) étaient âgés de 45 ans et exerçaient depuis 19 ans. Leur temps de travail hebdomadaire était de 55 heures. Ils ont rapporté être exposés environ dix fois par an à un décès.
Évaluée sur une échelle de 1 à 10, la qualité de la relation des répondants avec leurs collègues a été estimée en moyenne à 7,9, tandis que leur relation avec leur institution a été notée en moyenne à 5.
Anxiété, dépression et consommation de toxiques
De façon générale, l'enquête met en évidence un état psychique inquiétant des soignants du cœur, dont près de la moitié (45 %) présentent des symptômes d’épuisement professionnel. Près de quatre sur dix souffrent d’anxiété et un tiers de dépression, qui nécessiteraient une prise en charge spécifique. Un tiers présente un état de stress post-traumatique.
Chez plus de huit soignants sur dix (83 %), on estime l’effet émotionnel du décès des patients élevé, voire très élevé (≥ 5 sur une échelle de 0 à 10). De plus, un quart des répondants présentent des symptômes inquiétants...
Comme l’a indiqué le Pr Thibaud Damy, un des médecins à l’initiative de cette enquête unique en son genre, l’analyse de l’impact émotionnel de la mort des patients a permis de distinguer quatre groupes de professionnels, pourtant tous exposés au même nombre de décès mensuels. Dans le groupe rapportant l’impact émotionnel le plus élevé (201 médecins, soit à peu près 25 % de l’échantillon), 60 % des soignants présentent des symptômes de stress post-traumatique, la moitié un épuisement professionnel, la moitié également un niveau d’anxiété important et 42 % des symptômes de dépression. Toujours dans ce groupe, 17 % ont indiqué avoir consommé des toxiques après le décès d’un patient, 10 % des anxiolytiques ou des antidépresseurs et 12 % avoir consulté un psychiatre ou un psychologue.
Aucune différence n'était observée entre les quatre groupes de soignants, selon la cotation du soutien apporté par leurs collègues, famille et amis (estimé à 5,5 en moyenne), ou par leur institution (1,5 en moyenne).
Un phénomène d'accumulation
En revanche, les soignants les plus affectés par la mort des patients sont significativement un peu plus âgés (46,7 ans en moyenne). Ce sont plus souvent des femmes (50 %) avec une ancienneté plus élevée, ce qui souligne le caractère cumulatif de l’effet des traumatismes émotionnels au cours de la carrière. Le manque de vacances et des antécédents personnels de stress post-traumatique exercent également un rôle délétère. Les soignants ont déclaré se sentir isolés, ne pas avoir de ressources au sein de l’hôpital et des institutions, autant de voies de progrès possible pour les années à venir.
Après ce volet médecins, l’enquête se poursuit depuis le 14 janvier dernier auprès des professionnels paramédicaux. Mais d’ores et déjà l’objectif est clair : la majorité des soignants n'ayant reçu aucune formation spécifique face à la mort des patients, il faut les aider à prendre soin d’eux, au risque de voir leur qualité de vie et les soins délivrés se dégrader.
D’après une conférence de presse de la Société française de cardiologie du 20 janvier 2022
À l’hôpital psychiatrique du Havre, vague d’arrêts de travail de soignants confrontés à une patiente violente
« L’ARS nous déshabille ! » : à Saint-Affrique, des soignants posent nus pour dénoncer le manque de moyens
Ouverture du procès d'un homme jugé pour le viol d'une patiente à l'hôpital Cochin en 2022
Et les praticiens nucléaires inventèrent la médecine théranostique