LES URGENCES hospitalières vivent une situation sans précédent. Depuis six mois, plusieurs départs de feux aux quatre coins de l’Hexagone témoignent de l’exaspération croissante des médecins, confrontés à des conditions de travail toujours plus précaires. Loin de se laisser abattre, les urgentistes emploient des moyens de plus en plus radicaux pour tenter de se faire entendre. À Roubaix et à Paris (Saint-Louis), la chefferie a démissionné. À Thonon-les-Bains, tout le staff médical a rendu son tablier – hormis le chef de service. À Grenoble, les urgentistes ont menacé de faire de même. Aujourd’hui, c’est Tours et Strasbourg qui voient rouge.
100 heures dans un box.
La fréquentation des services d’urgences reflète l’état de santé d’une population vieillissante. À Tours (Indre-et-Loire), les urgentistes de l’hôpital Trousseau (CHRU) s’inquiètent du danger qu’encourent les patients âgés, nombreux dans ce département durement touché par la pénurie de médecins généralistes. « Souffrant souvent de polypathologies, les personnes âgées ont du mal à se faire admettre à l’hôpital parce qu’elles ne relèvent pas d’une spécialité plus que d’une autre, détaille le Dr Adollës Di Vittorio, urgentiste. Du coup, elles nous retombent dans les bras ». À Trousseau, 15 médecins urgentistes (ETP) assurent la prise en charge de 48 000 patients par an. Récemment, une personne âgée a patienté 100 heures dans un box. Cette dure réalité, nombre de praticiens ont du mal à l’assumer. En avril, les urgences de l’établissement compteront quatre médecins de moins.
À 500 kilomètres de là, le Nouvel hôpital civil et Hautepierre (Hôpitaux universitaires de Strasbourg) font face à la même situation. « Tous les jours, les couloirs sont remplis de brancards d’où gémissent des patients âgés en demande de soins », indiquent les urgentistes des deux établissements, dans une lettre adressée la semaine dernière à leur direction et relayée par les réseaux sociaux. Les médecins réclament des conditions de travail « dignes » afin que cesse ce turnover infernal : plus de 80 % du personnel soignant est parti depuis 2008, indiquent-ils. « Et trois urgentistes supplémentaires, épuisés par des semaines de 60 heures, auront quitté les lieux avant l’été, ajoute le Dr Éric Bayle, du Nouvel hôpital civil. Les 19 médecins des deux services d’urgences adultes soignent 95 000 patients par an. Faute d’embauche et de limitation à 48 heures du travail hebdomadaire, ils préviennent : ce sera la grève.
En catimini à Tours.
Consciente de la colère des urgentistes, Marisol Touraine a multiplié, depuis quelques jours, apparitions et déclarations. Dimanche, au micro de RTL, la ministre a défendu son « engagement » pour les urgences de France. « Je veux que l’ensemble des services d’urgence aient été examinés et que des propositions concrètes d’organisation aient été faites avant octobre prochain, a-t-elle annoncé. Et dans quelques mois seront mis en place des lits qui seront dédiés à l’accueil des personnes âgées sortant des urgences ».
Une idée entendue deux jours avant, lors d’une visite en catimini à l’hôpital Trousseau de Tours. « Nous avons expliqué à Marisol Touraine vouloir créer un service de 20 à 25 lits d’aval dédiés aux patients qui sortent des urgences mais qui seraient administrés par le pôle de médecine, détaille le Pr Pierre-François Dequin, responsable du pôle néphrologie-réanimation-urgences. La ministre connaissait bien ce dossier, tout comme elle avait connaissance de nos difficultés ».
Le Plan Carli.
Si la ministre semble à l’aise sur la question, c’est grâce aux premières propositions remises en janvier par le Conseil national des urgences hospitalières (CNUH). L’instance a été chargée d’établir pour l’automne prochain « un diagnostic des principales difficultés des services d’urgences », de concert avec les agences régionales de santé, (ARS), confirme le ministère. L’instance a pour l’instant concentré sa réflexion sur la réorganisation de l’amont et sur les moyens d’améliorer la prise en charge des patients – notamment les plus fragiles – en aval. « En amont, nous souhaitons travailler à une meilleure identification de la nature de l’urgence, détaille le Pr Pierre Carli, président du CNUH. Par exemple, un syndrome coronarien aigu doit être orienté vers les services spécialisés, et non vers les urgences ». Le médecin estime aussi qu’on doit pouvoir « organiser autrement » la prise en charge en EHPAD.
En aval, l’augmentation du nombre de lits en service de courte durée, bien qu’avancée par le Conseil, « n’est pas la solution principale » précise le Pr Carli. « Plus globalement, il s’agit de réorganiser la gestion des blocs opératoires afin de développer l’ambulatoire et ainsi libérer des lits d’aval, prescrits par les urgences, gérés par les autres services, détaille-t-il. On évitera ainsi aux brancards de stagner dans les couloirs et aux médecins de perdre un temps précieux à courir après un lit vide ».
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