« La catastrophe annoncée ne s’est pas produite » dans les services d’urgences cet été, affirmait fin août François Braun, dans un entretien au « Quotidien ». Moins de quatre mois plus tard, ses ex-collègues de Samu-Urgences de France (SUdF) ont dressé un bilan plus mitigé, voire sévère, de cette période estivale, lors de leur journée annuelle. Directrice médicale adjointe du Samu 94, la Dr Charlotte Chollet-Xémard n’a pas mâché ses mots devant ses confrères. « La catastrophe était attendue, elle est survenue, a-t-elle recadré. L’été 2022 fut le pire été que les professionnels de santé aient connu. »
L’urgentiste de l'hôpital Henri-Mondor (AP-HP) considère que les structures d’urgences ont été mises « en surtension » durant l’été pour les raisons bien connues : crise sanitaire, « tensions majeures » sur les ressources humaines, fermeture de lits d’hospitalisation, « moindre disponibilité de l’offre de soins libérale » liée aux congés estivaux, etc. Et si le système de santé a finalement réussi à « tenir », concède la Dr Chollet-Xémard, c’est avant tout « grâce aux capacités d’adaptation et à la résilience » de tous les professionnels des urgences. Mais cette résilience a « atteint ses limites » car « tous les indicateurs montrent que la rupture est consommée », s’est empressée d’ajouter l’urgentiste.
« 2 000 à 3 000 morts liés à l’overcrowding » ?
Les résultats de deux enquêtes estivales du SUdF ont été présentés pour illustrer les difficultés des services. Publiée en août, la première a considéré que les recommandations de la mission Braun ne permettaient pas « d’assurer une fluidité et un fonctionnement sécuritaire » aux urgences, tout en alertant sur une « situation explosive ». La deuxième a tiré mi-septembre un bilan contrasté des mesures estivales. Elle fustige « le problème crucial de dysfonctionnement des SU », tout en réclamant, à terme, une généralisation de la régulation médicale préalable.
Aujourd'hui, le malaise des blouses blanches semble toujours palpable. Le Dr Jean-François Cibien, vice-président du SUdF, considère qu’il y a un « gouffre » entre la satisfaction de François Braun et le ressenti des soignants. « On nous dit que l’hôpital a tenu cet été, mais à quel prix ? On n’a jamais eu autant de tentatives de suicides depuis cet été, jamais eu autant de gens au bord de l’épuisement », analyse l’urgentiste du centre hospitalier d'Agen. Quant à la saturation des services, elle n'aurait pas été sans conséquences. Le Dr Cibien estime qu’il y aurait eu « 2 000 à 3 000 morts liés à l’overcrowding (encombrement des services d'urgences, NDLR) cet été ».
Inquiétudes sur la fin de l'année
Celui qui est président de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH) trouve que le ministre n’est pas allé assez loin dans la mise en place de mesures d’attractivité. Si les indemnités de garde des PH ont bien été revalorisées de 50 %, celui-ci fait valoir qu’il était question au départ de « doubler les gardes ». Quant au doublement de l'indemnisation des demi-périodes de temps de travail additionnel (TTA), « il ne s’agit pas d’une mesure de la mission Braun, mais d’une mesure Covid », relativise l’urgentiste.
Successeur de François Braun à la tête de SUdF, le Dr Marc Noizet a évoqué lui aussi des hôpitaux « complètement saturés » et des « difficultés qui vont encore s’accroître ». En cause, « les problématiques épidémiques actuelles » et « ce que nous réserve la fin d’année avec la pression libérale ».
D’où l’importance à ses yeux de recenser les « morts inattendues » dans les structures d'urgences avec le nouvel indicateur du syndicat : le « no dead ». Le 13 décembre, en une douzaine de jours, « six patients ont été déclarés comme étant décédés de manière inattendue dans les services des urgences », assure le président de SUdF qui incite ses confrères à opérer ce type de recensement pour alerter l’opinion.
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