Le grand public l’a découvert le 1er juin dernier dans « Complément d’enquête », sur « France Télévisions ». Dans ce numéro intitulé « Quand les urgences ne répondent plus », le Dr Sébastien Harscoat, urgentiste aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), racontait comment certains décès auraient dû être évités. En décembre 2021, c’est ce même urgentiste qui avait initié une opération originale : respecter une minute de silence, chaque vendredi, pour protester contre « la mort programmée de l’hôpital public ». Pour Le Quotidien, il revient sur la situation aux urgences du CHU de Strasbourg. Mais aussi sur l’avenir de l’hôpital et le discours du ministre qu’il accuse « d’enjoliver la réalité ».
LE QUOTIDIEN : Comment s’est passé l’été aux urgences des HUS ?
Dr SÉBASTIEN HARSCOAT : Fort heureusement, l’activité n’a pas été si importante (les passages ont baissé cet été par rapport à l'an dernier : - 5,2 % en juillet, - 9,8 % en août, selon la direction, NDLR). Mais, le problème, c’est que l’on s’habitue à tout. Notamment à la dégradation continuelle de nos conditions de travail. La semaine dernière, quatre patients étaient dans la zone d’accueil depuis quatre jours, un autre depuis six jours… Certains patientent 15 heures en zone d’attente, avant d’être pris en charge. Quelle sera la prochaine étape : attendre 24 heures ? Faute de places d’hospitalisation, nous sommes contraints de gérer le flux au goutte-à-goutte. La zone d’attente est sursaturée en permanence, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. Les conditions de travail du personnel médical et paramédical ne cessent de se détériorer.
Quelles sont les conséquences pour les patients ?
Interviewé récemment par « France Inter », le Pr Ferhat Meziani, chef du pôle Samu, urgences, médecine intensive et réanimation aux HUS a reconnu que nous ne travaillions pas dans des « conditions adéquates pour prendre en charge dans les règles de l’art ». Mais il explique aussi qu’il n’y a pas de danger pour les patients. Mais bien sûr que les patients sont en danger ! Selon une étude récente du Pr Yonathan Freund, le risque de mourir aux urgences est 46 % plus élevé pour les patients de plus de 75 ans qui passent une nuit sur un brancard. Alors, imaginez quand un patient passe quatre jours sur un brancard… Il y a déjà eu des morts des urgences et il continuera à y en avoir.
Quel est le discours de la direction ?
Quand nous n’avons pas la possibilité de faire telle ou telle activité en raison du manque de personnel, ils nous disent : « On va réduire encore les effectifs car on fait moins d’activité ». C’est ce qu’ils ont expliqué récemment aux anesthésistes. Mais, au final, c’est l’inverse qui se produit : on réduit l’activité en raison du manque de personnel. Le trou est de plus en plus grand et la direction cherche à creuser encore plus profond ! Sauf qu’à un moment donné, ce n’est plus possible.
Le rôle de la direction, c’est de faire en sorte de garder le personnel. Certes, ils font de temps de temps des actions de recrutement (salons, job dating etc.), mais il n’y a pas véritablement de plan Marshall de recrutement. Il faudrait lancer une grande campagne de recrutement. Et surtout, faire en sorte que les personnels travaillent dans de bonnes conditions pour réduire le nombre de départs.
Comment faire pour fidéliser le personnel ?
La première chose à faire, c’est de mettre en place des ratios soignants-soignés. C’est l’une des clefs majeures du problème. Il faut également, en collaboration avec les institutions et les ARS, améliorer le parcours de soins des patients, pour pouvoir les évacuer, permettre aux soignants de souffler. Il va aussi falloir augmenter les salaires des agents.
Il y a aujourd’hui une inadéquation entre les besoins et les moyens accordés. Mais c’est un peu facile de dire que l’on ne peut rien faire. Certes, il sera difficile de redresser la barre. Mais, pour cela, il faut mettre rapidement des moyens conséquents pour renforcer les effectifs des hôpitaux.
Sauf que le gouvernement s’est opposé à la proposition de loi du sénateur Jomier relative au ratio de soignants par patient hospitalisé…
Cela n’est pas étonnant car cette mesure va coûter de l’argent à l’État. L’autre risque, c’est que la mise en place de ces ratios pourrait sauver l’hôpital ! On a beaucoup parlé du virage ambulatoire. Mais, aujourd’hui, j’ai le sentiment que le gouvernement veut accélérer le virage vers le privé. Je n’ai rien contre le secteur privé, mais il faut aussi que le secteur public fonctionne correctement, pour pouvoir apporter du soin de qualité à la population.
On a parfois l’impression que tout est affaire de rentabilité. Or, les politiques de réduction des coûts conduisent à un service public en perdition, extrêmement déficient. Dans le futur, il faudra avoir suffisamment d’argent pour se faire soigner, à l’image du système de santé américain. À qui profitera le crime ? Ce seront sans doute des grands consortiums qui rachèteront demain les hôpitaux publics… On va financiariser la santé qui est devenue un marché très lucratif pour les investisseurs.
Selon Aurélien Rousseau, « l’hôpital a tenu et tiendra »...
Tout dépend du référentiel. Oui, on peut dire que les murs des hôpitaux tiennent ! Mais, est-ce que l’hôpital tient en termes de qualité des soins et d’accès aux soins ? Non. Dire le contraire revient à mentir. On peut toujours faire de la com', essayer d’enjoliver la réalité, mais c’est malhonnête. Il faut arrêter de dire que cela va bien à l’hôpital.
Quel regard portez-vous sur les négociations avec le ministère sur l’attractivité ou la permanence des soins ?
Quand le président de la République a déclaré aux Français que l’hôpital public était un bien commun qu’il fallait préserver « hors des lois du marché », il l’a dit en regardant les gens droit dans les yeux. Mais il a fait tout le contraire. Et pourtant, certains soignants continuent à y croire. Mais les choses ne changent pas et ne changeront jamais.
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