LE QUOTIDIEN : Vous allez prendre la tête du Samu 75 à l’été prochain. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Pr FRÉDÉRIC ADNET : Le Samu de Paris est une institution prestigieuse. Il est à l’origine de nombreux progrès dans la médecine d’urgence préhospitalière. Je pense notamment à la fibrinolyse pré-hospitalière qui permet une prise en charge de l’infarctus du myocarde. Il est désormais possible de déboucher les coronaires au domicile du patient, sur la voie publique ou dans l’ambulance. Bref, bien en amont du service des urgences. Cela fait gagner un temps considérable aux patients et cela a permis de réduire la morbimortalité hospitalière de l’infarctus du myocarde. On peut aussi citer l’Ecmo, une technique d'assistance circulatoire qui permet une prise en charge et un diagnostic très précoces des AVC. Le Samu 75 a toujours été à la pointe des innovations thérapeutiques.
Vous remplacez le Pr Pierre Carli, figure historique, qui était à la tête du Samu 75 depuis 25 ans. Que représente-t-il pour vous ?
C’est un honneur d’avoir été choisi pour succéder au Pr Carli qui est l’un des fondateurs de la médecine d’urgence en France. Il ne faut pas oublier que, dans les années 2000, il a réussi le coup de force, avec le Dr Patrick Goldstein et d’autres, de réunifier les urgences pré-hospitalières et intra-hospitalières. Cela a donné naissance à la médecine d’urgence qui est progressivement devenue une spécialité médicale.
Le Pr Carli a également réussi à faire face à des situations sanitaires exceptionnelles, notamment durant la pandémie. Le Samu 75 a organisé le transfert de patients Covid de Paris vers la province en TGV sanitaires, mais aussi à partir des départements d’outre-mer via des ponts aériens. Je suis en phase avec la politique qu'il a menée.
Comment allez-vous accompagner la mise en place du service d'accès aux soins (SAS) en Ile-de-France ?
Le SAS va élargir l’éventail des réponses aux appels d’urgence sanitaire en incluant deux niveaux de réponses. Le premier niveau est une réponse rapide qui vise à détecter immédiatement les urgences vitales. Un assistant de régulation médicale (ARM) détermine le degré d’urgence de l'appel. En cas d'absence d'urgence vitale, il oriente le patient soit vers la filière aide médicale d’urgence (AMU), soit vers la filière médecine libérale qui est chargée de la permanence des soins (PDS). La phase expérimentale du SAS est déjà bien avancée. Nous en sommes aux deux tiers du chemin. Sur le premier niveau de réponse, nous obtenons un taux de décroché tout à fait satisfaisant : 95 % en moins de trente secondes.
Mais il existe encore des freins au second niveau, en particulier sur la PDS. Nous devons, par exemple, terminer le recrutement des opérateurs de soins non programmés qui répondent à des appels non urgents (conseils médicaux, prise de rendez-vous). Nous devons finaliser ce dispositif, avec l’aide des médecins généralistes, des organisations de médecine générale et de l’Ordre des médecins. Nous devons enfin mettre en place le logiciel de prise de rendez-vous qui permettra d’obtenir des rendez-vous rapides en médecine générale pour les patients qui appelleront le SAS. Mais tout cela est en bonne voie.
Comment se passe la préparation sanitaire des JO 2024 ?
C'est ma seconde priorité avec le SAS. Il va falloir anticiper tous les risques inhérents à un rassemblement de foule extrêmement important. Nous attendons 1,6 million de spectateurs et énormément d’athlètes. Notre premier axe de travail, c’est la prise en charge des situations d'urgences. Il y a déjà des groupes de travail dédiés au transport sanitaire, à la prise en charge et aux parcours des patients dans les hôpitaux. Des hôpitaux référents ont été définis : Bichat pour les athlètes, Avicenne pour la presse accréditée et la Pitié Salpêtrière pour les pathologies extrêmement graves. Il y a aura également une clinique médicale dans l’enceinte des JO pour soigner la plupart des patients. Notre deuxième axe de travail, c’est la prévention des situations sanitaires exceptionnelles (attentats, les accidents/catastrophes). Le travail est amorcé et les dispositifs ont été prépositionnés.
Comment sont aujourd'hui les relations entre le Samu 75 et la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) ?
Il faut dédramatiser les situations qui peuvent être perçues comme une concurrence. Le Samu 75 doit retrouver des relations apaisées avec la BSPP. Ces derniers sont les maîtres d’œuvre sur les prompts secours, tandis que le Samu 75 l'est dans l’expertise médicale pré-hospitaliere. J’engagerai un dialogue pour que les deux institutions gagnent en complémentarité. Il s’agira de construire de véritables interfaces avec la coordination médicale des pompiers et de véritables protocoles communs de prise en charge. Il faudra également réduire les interventions évitables des sapeurs-pompiers et faire converger les deux systèmes d'information. Cela a été une erreur historique de ne pas avoir assez travaillé sur une interface pour nos deux systèmes informatiques.
Vous voulez redéfinir la médicalisation pré-hospitalière. Qu'est-ce à dire ?
Nous devons intégrer les progrès technologiques dans nos algorithmes décisionnels. Jusqu'à présent, nous envoyons les unités mobiles hospitalières (UMH) sans avoir une connaissance fine du patient. On raisonne essentiellement sur les motifs de recours. Mais il sera bientôt possible de télétransmettre tous les paramètres physiologiques et vitaux à la régulation : pression artérielle, fréquence cardiaque, dextro, saturation pulsée en oxygène et l’électrocardiogramme (ECG). Ce progrès technologique devra être intégré dans nos protocoles de déclenchement des ambulances médicalisées. L’étape suivante devrait être la webcam.
Quels autres défis technologiques vous attendent ?
L’intelligence artificielle arrive en force dans la médecine. En radiologie, nous avons des logiciels d’IA qui diagnostiquent les fractures avec une énorme fiabilité. En neurovasculaire, l’IA interprète et fait des diagnostics. L’IA est aussi un formidable outil pour interpréter les ECG. Il y a aussi des voies de recherche dans le domaine de l'aide à la régulation. Des programmes d’IA analysent l’appel, sa sonorité et les mots employés. Cela permet de déterminer le degré d’urgence, avec une très bonne pertinence. Les résultats sont bluffants !
Faut-il, selon vous, généraliser la régulation préalable avant l'entrée des services d'urgences ?
J’ai l’impression que l’on redécouvre le rôle fondamental du Samu : réguler les appels urgents en amont des urgences, évaluer la gravité du patient, pour, le cas échéant, éviter un passage aux urgences. Certes, les appels au Samu ont augmenté, mais je n’ai pas eu non plus connaissance de Samu complètement débordés. Nous sommes néanmoins en train de nous redimensionner en termes de ressources humaines, pour pouvoir faire face aux nombreux appels.
Le Samu de Paris entend-il aller vers la paramédicalisation du préhospitalier ?
La paramédicalisation des unités mobiles hospitalières paramédicalisées n’est pas à l’ordre du jour en Île-de-France. Ma priorité est plutôt de redéfinir la place du médecin dans les UMH et d’intégrer les progrès techniques pour rendre plus efficient l’envoi de moyens médicalisés. Je comprends néanmoins que, dans certaines régions, les premiers secours se paramédicalisent de plus en plus.
Quelles relations entretenez-vous avec les médecins libéraux ?
La médecine libérale s’implique à deux niveaux avec le Samu. Il y a tout d’abord les régulateurs qui interviennent de plus en plus aux côtés des hospitaliers, en particulier depuis l'été dernier. Cette présence sera encore renforcée avec le SAS qui permettra une co-gouvernance du Samu. Le poids de la médecine libérale dans les structures du Samu a donc vocation à augmenter à l'avenir.
Dans votre livre « Les fantassins de la République » paru en 2020, vous racontez comment la première vague a impacté le Samu d’Avicenne. Quels enseignements en avez-vous tirés ?
À l’époque, nous avions l’étrange sentiment d’être les derniers combattants, les derniers à défendre l’hôpital public. On se disait qu'il n’y aurait peut-être bientôt plus personne pour accueillir ces malades et que l’hôpital allait s’écrouler. Finalement, ce n’est pas ce qui s’est passé. Le service public était au pied du mur et il s’est mis à fonctionner de manière optimale. Il n’était plus question de budget et d’optimisation des dépenses. Je n’avais jamais vu les professionnels aussi solidaires entre eux. Ce mode de fonctionnement m’a beaucoup appris et quelque part rassuré. Quand on est dans une situation dramatique, on peut toujours compter sur les personnels pour trouver des solutions que l’on n’avait pas imaginées. Mais, malheureusement, l’hôpital est aujourd’hui revenu dans la plupart de ses travers. Nous n'avons pas assez tiré de leçons de cette crise.
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