Interne en 5e semestre de psychiatrie, Bertrand Thévenot a participé à la grève des 10 et 17 décembre à Limoges. Ce lundi, il portera probablement un brassard. Bertrand n'est pourtant pas un habitué des manifestations de colère. Il a vécu ses premières grèves en décembre. Il partage aujourd'hui avec « Le Quotidien » son vécu hospitalier et les raisons qui l'ont fait basculer.
Passé par un stage au CHU de Limoges*, le psychiatre en formation livre un vécu difficile, reflet aussi du marasme de la psychiatrie publique, où il faut faire plus avec moins de moyens et où les jeunes médecins servent principalement à pallier « les manques médicaux intra-hospitalier au détriment d'un accompagnement structuré ».
« Je me sens pressurisé, raconte-t-il. Je me spécialise dans une formation de psychiatrie. Pour autant, mon quotidien m'embarque dans une polyvalence délétère. Je prends en charge des patients dans un hôpital d'environ 400 lits. Je me suis déjà retrouvé seul en garde, car le médecin senior est aux urgences, il peut être appelé à gérer des situations différentes, en pédopsychiatrie, en secteur fermé adulte ou d'autres unités ».
À cette difficulté s'ajoutent des tâches et des besoins qui dépassent le cadre de sa fonction. L'impression d'être à la fois « médecin psychique, médecin somaticien, sociologue, conseiller conjugal, conseiller Pôle Emploi » avec un salaire déraisonnable par rapport « au service rendu ».
Virage ambulatoire mal réfléchi
Pour Bertrand Thévenot, le gouvernement manque totalement de vision et d'ambition pour la filière psychiatrique, sans réflexion autour de la pratique quotidienne des métiers concernés. « Le virage ambulatoire n'est pas réfléchi par rapport aux enjeux de la psychiatrie. Des lits ferment, il y a une saturation des consultations dans les centres médico-psychologiques. On se retrouve écartelé entre la logique comptable où il faut faire tourner les services, les difficultés liées à notre pratique et la prise en charge de nos patients », cite-t-il.
Le flou et les aléas de la formation est un autre point d'achoppement. Déjà issu de la « promofiasco » des ECNi 2017 (qui avait vu l'annulation d'épreuves), Bertrand estime essuyer les plâtres du nouvel internat. Il pointe du doigt l'opacité de la dernière phase de l'internat, dite de consolidation, et le nouveau système de distribution des stages (big matching), attendu dès 2020. « On ne sait toujours pas ce que ça impliquera d'être docteur junior en termes de responsabilité et de salaire. On fait partie d'une expérimentation et c'est pour ça que je me retrouve dans le mouvement des internes. »
Au bout du compte, cette situation pèse au quotidien et devient source de frustration. « Je me demande si je fais bien mon travail, je m'interroge, témoigne-t-il. Je ne me suis pas toujours senti bien encadré, parfois parce que le médecin a lui même une charge de travail trop importante. Ces missions débordent sur l'équipe, toute la chaîne est impactée. Je sens que je ne peux pas organiser mon temps de travail comme je le veux. Je ne peux pas voir les patients autant de fois que je le souhaiterais dans la semaine. Je ne peux pas prendre le temps non plus d'expliquer au patient et à la famille l'hospitalisation ou le diagnostic aussi bien que ce que je voudrais. »
* Il est aujourd'hui au CH de Brive.
Article précédent
Justin Breysse (ISNI) : « Nous voulons un décompte horaire du temps de travail »
Repères
Justin Breysse (ISNI) : « Nous voulons un décompte horaire du temps de travail »
Gardes en solo, logique « comptable », polyvalence « délétère » : le témoignage d'un interne en psychiatrie « écartelé »
« Pour la coupe du monde, un ami a proposé quatre fois le prix » : le petit business de la revente de gardes
Temps de travail des internes : le gouvernement rappelle à l’ordre les CHU
Les doyens veulent créer un « service médical à la Nation » pour les jeunes médecins, les juniors tiquent
Banderole sexiste à l'université de Tours : ouverture d'une enquête pénale