« Si rien n’est fait, le pire est devant nous » : énième coup de pression sénatorial pour réguler la liberté d’installation

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Publié le 29/03/2024
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Deux ans après son rapport réclamant la mise en place d’un conventionnement sélectif, la commission de l’aménagement du territoire du Sénat a remis la pression sur la profession en recommandant au gouvernement de prendre des mesures directives pour mieux répartir les médecins libéraux.

Crédit photo : GARO/PHANIE

« La situation générale de l’accès aux soins ne s’est malheureusement pas améliorée », a asséné Jean-François Longeot, sénateur centriste et président de la commission de l’aménagement du territoire de la Haute-Assemblée. Lors d’une audition publique sur les déserts médicaux – en présence de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) – l’élu du Doubs a décoché ses flèches. « J’ai le sentiment qu’on est resté au milieu du gué et que la puissance publique n’a pas épuisé toutes les solutions pour répondre aux attentes de la population  », a-t-il jugé.

« Le législateur a avancé à petits pas, sans parler du pouvoir réglementaire qui tarde trop

Bruno Rojouan, sénateur LR

Deux ans après un rapport sur l’accès aux soins, l’influente commission sénatoriale – qui a fait des déserts médicaux un de ses chevaux de bataille – a voulu faire un bilan des évolutions intervenues. Fin du numerus clausus, transfert de compétences, accès direct pour certains paramédicaux, déploiement des assistants médicaux… « Le législateur a avancé à petits pas, sans parler du pouvoir réglementaire qui tarde trop fréquemment à appliquer les textes votés par le Parlement », a grincé le sénateur (LR) de l’Allier Bruno Rojouan.

Les remèdes aux déserts médicaux ne produisent pas (assez) leurs effets sur le terrain, ont embrayé plusieurs sénateurs, à l’heure où « 30 % de la population » vit dans un désert médical. L’impatience sénatoriale a été notamment partagée par Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire), auditionnée par la commission. En 2019, face au manque de praticiens disponibles pour délivrer un certificat de décès, l’édile avait… interdit à ses administrés de mourir les week-ends et jours fériés. Un arrêté absurde, qui avait fait beaucoup de buzz. « La semaine dernière encore, un patient décédé est resté trois heures sur la route avant qu’on trouve un médecin pour faire le constat de décès, a témoigné l’élue. C’est inacceptable. La loi Valletoux prévoit bien que les infirmiers puissent faire des certificats de décès mais ce n’est pas encore complètement opérationnel. je trouve le temps long, trop long ».

Maxime Lebigot, coprésident de l’association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM), a lui aussi plaidé en faveur de mesures plus autoritaires. L’infirmier libéral a rappelé que les écarts d’espérance de vie entre la ville et les zones rurales fragiles sont « édifiants », selon une étude de 2021 menée avec le géographe Emmanuel Vigneron sur les déserts médicaux (2,2 ans pour les hommes et de 9 mois pour les femmes). « C’est insupportable d’entendre cela. Notre association revendique du courage politique pour réguler de façon temporaire les médecins en les décourageant de s’installer dans les zones déjà dotées », a réclamé Maxime Lebigot.

Notre association revendique du courage politique pour réguler de façon temporaire les médecins

Maxime Lebigot, coprésident de l’association de citoyens contre les déserts médicaux

Le sénateur Bruno Rojouan a justement déposé (en vain) en 2022 une proposition de loi (PPL) visant à introduire le principe du conventionnement sélectif. « On voudrait nous faire croire qu’il n’y a pas de zones surdotées en France », s’agace-t-il. Cet « alibi » est même régulièrement utilisé, toujours selon cet élu, pour refuser tout « conventionnement sélectif temporaire » qui permettrait pourtant de « rééquilibrer les installations » vers les secteurs sous-dotés et de réduire les « fractures médicales ». « Pourquoi ne pas aussi mettre en place des quotas comme dans les grandes écoles ? On sait que les médecins qui s’installent dans les territoires ruraux sont issus de ces zones ?  », a suggéré le parlementaire de l’Allier. « Franchement, le gouvernement ne prend pas la mesure de la gravité de la situation », s’est agacé Fabien Genet, sénateur LR de la Saône-et-Loire. Car « si rien n'est fait, le pire est devant nous », a-t-il alerté.

Ne pas faire fuir les jeunes

Invitée également à cette audition, Julie Pougheon, conseillère spéciale de la Directrice générale de l’offre de soins (DGOS, ministère), a écarté toute solution coercitive repoussoir, dans la droite ligne de la politique gouvernementale . « C’est un bâton à manier avec précaution si on ne veut pas faire fuir les jeunes médecins », a-t-elle argumenté. La représentante du ministère a souligné que la situation actuelle « n’appelle pas de solutions miracles ». Et elle a précisé que certains leviers (inciter les docteurs juniors à faire des stages en zones sous denses, développer l’exercice coordonné via les maisons de santé, déployer des assistants médicaux, valoriser les consultations avancées) ne produiront leurs effets « qu’à moyen ou long terme ». La DGOS travaille à d’autres mesures comme le partenariat avec les élus pour promouvoir les aides à l’installation auprès des étudiants, la territorialisation de la formation, les passerelles entre métiers, l’accueil de médecins formés à l’étranger ou encore l’anticipation des départs à la retraite.

Mais ces arguments ont toujours du mal à convaincre certains sénateurs, qui exigent des résultats immédiats. Pour Simon Uzenat (PS, Morbihan), « l’heure est grave, il faut aller plus loin et plus vite. Et sur la régulation, la puissance publique doit avoir une position claire, il faut assumer. »


Source : lequotidiendumedecin.fr