« J'ai cru que cela allait enfin changer, lorsque le candidat Macron a envisagé de réguler l'installation des médecins. J'étais naïf », s'est désolé le sénateur Hervé Maurey (Union centriste, Eure), devant un Sénat aux rangs clairsemés. « Je ne comprends pas que le Sénat, chambre des territoires, soit en retrait sur la défense de l'accès aux soins en zone rurale », a-t-il pesté. Mardi soir, durant plus d'une heure, les sénateurs ont ferraillé dans le cadre de l'examen de la proposition de loi Valletoux sur des amendements de tous bords visant à réguler l'installation des médecins libéraux, contre l'avis du gouvernement.
Des collectivités qui se font concurrence
La gauche jugeait tout naturel d'introduire des mesures directives pour réguler l'installation des libéraux dans un texte portant sur l'accès aux soins par « l'engagement territorial ». La sénatrice communiste Céline Brulin (Seine-Maritime) a assumé le conventionnement sélectif immédiat. « Les mesures d'incitation coûtent beaucoup aux collectivités, qui se font concurrence. Le système est en échec, nos concitoyens sont en grande détresse et en colère. Lorsque le libéral ne répond plus, la puissance publique doit agir ! », a-t-elle asséné. La sénatrice socialiste Florence Blatrix-Contat a présenté un amendement similaire, soulignant que l'Ain, son département, figurait parmi les plus sous-dotés, avec 74 médecins pour 100 000 habitants. « C'est une question d'équité et de justice. Les mesures incitatives ne fonctionnent pas », a-t-elle plaidé.
Le sénateur de la Corrèze Daniel Chasseing (Les Indépendants - République et Territoires), lui-même médecin, a souhaité faire bouger les lignes, si possible avec l'adhésion des médecins. Son amendement prévoyait que, dans les zones excédentaires, « un nouveau médecin ne peut être conventionné qu'en cas de départ d'un autre médecin », après « une concertation avec les syndicats médicaux ». Ce principe « une installation pour un départ » préserverait « la liberté d'installation », s'est-il défendu.
Pas insensibles à l'idée d'une forme de régulation, plusieurs sénateurs de droite (LR) ont présenté un amendement visant à « expérimenter » pendant trois ans le conventionnement sélectif. Un autre visait à contraindre les jeunes médecins à exercer 18 mois en zone non surdotée pendant trois ans, avant de s'installer dans une zone bien pourvue.
L'attractivité, le vrai sujet
Face à ces offensives diverses, d'autres élus ont tenté au contraire de défendre la liberté d'installation, pilier de la médecine libérale. « La menace de coercition est une vraie erreur », a fustigé Bruno Belin (LR, Vienne). « Il faut motiver les jeunes étudiants en médecine. S'il est envoyé au fin fond du Finistère, un jeune médecin fera la tête, ne sera pas motivé et s'occupera mal de sa patientèle ! », a-t-il carrément ajouté, sous les cris d'orfraie du sénateur de la Nièvre Patrice Joly.
Dans un brouhaha, l'élue centriste de Mayenne Élisabeth Doineau s'est employée à calmer les esprits, soulignant que la pénurie détruisait en soi les possibilités de régulation. « À l'hôpital non plus, la régulation ne fonctionne pas », a-t-elle illustré. Le sénateur socialiste parisien Bernard Jomier, lui-même médecin, s'est dissocié de son groupe pour soutenir ses confrères. « Empêcher l'installation dans quelques territoires n'aura aucun effet sur les autres, d'autant que l'on pourra exercer partout en zone surdotée en tant que salarié ! La vraie question est celle de l'attractivité », a-t-il souligné.
Firmin Le Bodo comprend la détresse des élus mais…
Faute de soutien de la commission et du gouvernement, les amendements de contrainte ou d'encadrement n'ont pas été adoptés. « Dans un contexte démographique tendu, la régulation de l'installation serait un signe de défiance et la meilleure façon de décourager les étudiants », a résumé Corinne Humbert (apparentée LR), rapporteure de la commission des affaires sociales.
Pour Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, toute mesure punitive entraînerait un phénomène de « déconventionnement » dont « l'effet serait désastreux pour l'accès aux soins ». « Je comprends la détresse des élus, pour l'être moi-même, mais ce n'est pas en votant une mesure inefficace, voire délétère pour la nouvelle génération, que nous ferons avancer les choses », a recadré la ministre.
« Et les habitants ? », a encore tempêté Thierry Cozic (PS-Sarthe). « Que répondre à nos concitoyens qui ne peuvent se faire soigner ou qui n'ont pas de solution après 20 heures ? », a renchéri uen dernière fois Émilienne Poumirol (Haute Garonne), pourtant opposée à la coercition. Alors que les discussions conventionnelles démarrent, le sénateur de la majorité Olivier Bitz (Orne) a averti la profession. En cas d'échec, « il faudra adopter une méthode plus directive. Nous y sommes parvenus avec les kinés, les infirmiers et les dentistes ».
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