C’EST LE CONSTAT COMMUN de la désertification médicale progressant dans les campagnes qui a poussé la MSA (régime agricole) et l’assureur complémentaire Groupama à présenter un projet commun.
L’idée est simple : les médecins généralistes des secteurs ruraux étant trop souvent débordés par une patientèle nombreuse et vieillissante, les deux protagonistes proposent, après un diagnostic local des besoins de santé d’un territoire, d’offrir gratuitement aux praticiens libéraux une palette de services à la carte leur permettant de les soulager dans leur pratique quotidienne. Exemples : la recherche de remplaçants, la constitution de dossiers médico-administratifs, le regroupement des achats, ou encore l’éducation thérapeutique de patients en ALD, la recherche de consultations spécialisées ou la prévention du surpoids. Le principe d’une expérimentation dans deux départements français, la Dordogne et le Doubs, a été décidé par la MSA et Groupama en 2009. Et depuis 2010, l’expérimentation est en marche.
Harmonisation des dossiers d’admission en EHPAD.
En Dordogne, celle-ci se déroule dans le nord du département, autour de la ville de Nontron. Un secteur couvrant à peu près trois cantons et baptisé « pays de santé » a été défini, qui couvre environ 17 000 habitants et 11 médecins généralistes. Le cœur du dispositif, c’est la désignation, au sein de chaque pays de santé, d’une conseillère, chargée de détecter les besoins et les attentes des médecins comme des patients, et de mettre en œuvre et animer les services mis à disposition. La conseillère, Anne-Marie Conseil une ancienne cadre infirmière, s’investit à fond dans sa nouvelle mission. « On a pris le temps de comprendre les attentes de chacun, explique-t-elle, et j’essaie de mettre tout ça en musique ».
Les services sont concrets. Quand un patient doit entrer en maison de retraite, le médecin doit souvent remplir plusieurs dossiers d’admission différents, pour être sûr d’obtenir une réponse positive. Anne-Marie Conseil a donc pris son bâton de pèlerin, et est allée visiter tous les établissements situés sur son pays de santé. Résultat, ces établissements ont harmonisé un dossier commun, avec à la clé une économie de temps substantielle pour le médecin. Anne-Marie Conseil gère aussi les achats de fournitures des médecins de son ressort, comme les gants, les compresses, les seringues, les abaisse-langue ou les stéthoscopes. Elle négocie même des remises pouvant aller jusqu’à 15 % sur ces achats groupés. Mais surtout, elle organise des groupes d’éducation thérapeutique, notamment pour les patients à risque cardio-vasculaire, diabétiques ou en surpoids.
70 patients par jours.
Dans une maison de santé installée à Saint-Pardoux-la-Rivière, en plein cœur du pays de santé, le Dr Philippe Faroudja, médecin généraliste, reconnaît être « séduit » par l’expérimentation. « Bien sûr que je suis capable de faire de la prévention et de l’éducation thérapeutique, commente-t-il, mais je reçois jusqu’à 70 patients certains jours, mes journées commencent à 6 h 30 pour s’achever vers 21 h 30, je n’ai donc pas le temps de faire des consultations suffisamment longues pour m’y consacrer ». Même tonalité du côté de sa femme Karine, elle aussi médecin généraliste : « Cette expérimentation a modifié nos pratiques en nous libérant du temps médical. La médecine de demain en milieu rural ne se fera pas autrement ». Son mari reprend la parole : « Ca permet d’apporter aux patients ce que les médecins n’ont plus le temps de leur offrir ».
Du côté des patients justement, l’expérimentation fait recette. Petit détour jusqu’à un atelier d’éducation thérapeutique organisé par Anne-Marie Conseil sur le diabète. À l’aide de petits schémas simples et clairs, elle leur apprend à débusquer le sucre dans les aliments. Annie Crémoux et son mari Michel, tous deux retraités, assistent à leur troisième réunion. Elle accompagne son mari, « parce que l’alimentation, ça se gère en famille ». Quant à son époux, il apprécie à leur juste valeur les informations qui lui sont données : « Dès ma première réunion, reconnaît-il, je me suis rendu compte que je ne savais rien sur ma pathologie, car mon médecin n’a pas le temps de le faire. J’ai changé mon alimentation quand j’ai vu qu’il y avait du sucre là où je n’imaginais pas qu’il pouvait y en avoir ».
Soit on convainc, soit on contraint.
Les élus locaux semblent également apprécier l’idée. Marcel Restoin, président de la communauté de communes du Périgord vert granitique reconnaît que « la manière dont ça se déroule nous montre que nous avons quelque chose à espérer de cette expérimentation ». Maurice Combeau, maire de Saint-Pardoux, ajoute que « si on veut garder nos médecins, il faut qu’on leur propose des plus, des services ».
Car la MSA et Groupama ont également créé un « conseil de pays de santé », instance qui réunit une fois par trimestre les professionnels de santé, les patients et les élus locaux du pays de santé, afin de les solliciter sur le choix des services à mettre en œuvre. Les élus locaux s’y impliquent volontiers, car comme le rappelle Marcel Restoin, « soit on convainc les médecins de s’installer, soit on les y oblige. Cette expérimentation permet de les convaincre ».
Reste la question de la pérennisation et de l’extension du dispositif. Marcel Restoin précise que l’expérimentation coûte environ 90 000 euros par an et par pays de santé, « soit l’équivalent de 300 mètres de route ». Selon Alain Cournil, directeur général de la MSA Dordogne-Lot et Garonne, il faudrait « idéalement trois ou quatre pays de santé au minimum par département nécessitant ce type d’appui ».
Si la MSA et Groupama ne s’appesantissent pas sur le sujet du financement, les élus locaux n’ont pas cette pudeur. Marcel Restoin prévient qu’« ils ne financeront pas tout seuls ce projet pendant 20 ans ». Il rappelle que les ARS pourraient s’impliquer financièrement dans ce type de projets, ainsi que les professionnels de santé eux-mêmes. Mais pour sa part, il est prêt « à engager financièrement la communauté de communes pour aider à pérenniser les pays de santé ».
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