DEUX TEXTES RÉCENTS d’initiative parlementaire illustrent de façon emblématique le débat qui fait rage, pour garantir l’égal accès aux soins sur tout le territoire, entre les avocats de mesures incitatives et les promoteurs de dispositifs autoritaires, ces derniers redonnant régulièrement de la voix.
Premier texte : une proposition de loi (PPL) d’aménagement du territoire visant à instaurer un « bouclier rural », dont le volet « santé » (article 2) mettait à mal la liberté d’installation des médecins libéraux.
Déposée en février à l’Assemblée nationale (par les groupes socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés), défendue notamment par le député socialiste Christian Paul, tenant de la régulation, cette PPL a été rejetée mardi dernier par vote solennel (l’UMP et le Nouveau Centre ont voté contre). Mais le contenu de ce texte est révélateur. Très large, il visait à « faire rentrer [les territoires ruraux] sur les écrans des radars de l’action publique ». Il concernait l’école, la couverture numérique, l’emploi et, dans son article 2 donc,... l’accès aux soins. Sur ce point, la proposition de loi posait « l’obligation pour l’État de revoir l’architecture du système de soins afin de garantir la proximité des infrastructures hospitalières comme des cabinets médicaux privés ». Son exposé des motifs n’y allait pas par quatre chemins : « il convient de revoir sans tabou le dogme de la liberté d’installation des praticiens médicaux ».
Forcing.
Dans le détail, certaines mesures qui étaient préconisées dans ce texte témoignent de la volonté des élus de faire preuve de fermeté. Ainsi, la fixation de délais maximum d’accès à certains soins, un principe déjà débattu à l’occasion de divers textes « santé » précédents, a refait son apparition : 20 minutes de trajet automobile au plus pour accéder à un service de médecine générale, 30 minutes pour un service d’urgence et 45 minutes pour une maternité, l’État étant chargé de prendre les mesures nécessaires. A ce titre, précisait encore le projet de PPL, l’Agence régionale de santé (ARS) « autorise les installations dans les zones surdenses dans les limites d’un plafond fixé par décret ». Les dites zones auraient été définies dans le cadre des schémas régionaux de l’organisation des soins (SROS) devenus opposables. Les professions ou structures dont l’installation auraient été soumises à autorisation sont les professionnels de santé libéraux, les maisons de santé et les centres de santé.
Deuxième texte symptomatique du débat actuel sur les méthodes visant à assurer l’accès aux soins : la proposition de loi du sénateur UMP Jean-Pierre Fourcade visant à aménager la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST). En première lecture, suite à une offensive des élus centristes et de gauche, le Sénat a désavoué le gouvernement en maintenant la mesure inscrite dans la loi HPST consistant à obliger les médecins à déclarer à l’Ordre leurs absences à l’avance, au nom de la continuité des soins. Qu’importe si cette disposition est inapplicable (de l’avis même de l’Ordre), le « forcing » des sénateurs sur ce sujet a montré la détermination de certains à ne pas céder devant le « lobby » médical. Le débat va désormais se déplacer à l’Assemblée nationale puisque la PPL Fourcade, examinée mardi et hier en commission des affaires sociales, sera débattue en séance à partir du12 avril.
Le « modèle » infirmier.
Récurrente, la question des moyens de lutter contre la désertification, et du dosage entre incitation et coercition, ne mobilise pas uniquement les parlementaires. Les maires, notamment des communes rurales et de banlieue, mais aussi les conseillers généraux et régionaux montent régulièrement au front pour réclamer des mesures fortes au nom du « service public de santé ». Les associations d’usagers ne sont pas en reste.
Du côté des confédérations de salariés, la CFDT, qui préside l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (UNCAM), ne manque aucune occasion pour « durcir » le discours sur l’accès aux soins. Deux communiqués récents (18 et 21 mars) de Michel Régereau, président cédétiste de l’UNCAM, illustrent cette posture. Le premier (dans le cadre de l’examen des orientations de négociation conventionnelle par les partenaires sociaux) réclame des mesures « visant à influer directement ou indirectement sur les choix d’installation au profit des zones sous-denses ». Pour la CFDT, il s’agit d’étendre aux médecins l’accord infirmier visant à contingenter strictement les installations dans les zones à trop forte démographie. Le deuxième communiqué annonçait que Michel Régereau, Gérard Pelhate et Gérard Quevillon [présidents respectifs des trois caisses principales - travailleurs salariés, régime agricole et indépendants ] demandaient à être auditionnés par la commission de l’Assemblée nationale afin d’« attirer l’attention » sur les difficultés d’égal accès aux soins sur le territoire. « Certains n’ont pas digéré que le contrat santé solidarité soit vidé de sa substance », analyse un responsable syndical, membre du conseil de la CNAM (lors de l’examen de la PPL Fourcade, le Sénat a abrogé la taxe de 3 000 euros maximum à laquelle s’exposaient les médecins des zones surdotées refusant de faire des vacations dans les zones sous denses).
Xavier Bertrand a choisi son camp. Devant la profession, le ministre de la Santé a expliqué que la coercition était contreproductive à ses yeux et a présenté un plan d’action comportant exclusivement des mesures « positives » (Quotidien du 28 mars). Le même discours vient d’être tenu devant les maires (lire ci-dessous). Mais avec le démarrage de négociations conventionnelles, puis la campagne présidentielle, nul doute que le débat entre incitation et contrainte rebondira.
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