Voilà plus de dix ans que les élus de droite et d’extrême-droite réclamaient la mise en place d’une carte Vitale biométrique - contenant une puce électronique capable d’identifier son propriétaire pour lutter contre la fraude. Dans la nuit du 2 au 3 août, le Sénat l’a officiellement mis sur les rails, lui accordant 20 millions d’euros de crédits, dans le cadre du projet de budget rectificatif pour 2022.
Les sénateurs ont adopté par 242 voix contre 95 un amendement porté par Philippe Mouiller (LR) prévoyant « les premiers crédits permettant de lancer dès l’automne 2022 le chantier de la mise en place d’une carte vitale biométrique ». Objectif : lutter contre la fraude, qui atteindrait « six milliards d'euros, selon l'estimation la plus basse », a avancé Philippe Mouiller
« Recueillir l'adhésion des professionnels de santé »
« Il est très difficile d’estimer le nombre de cartes Vitale surnuméraires », a concédé le sénateur républicain, qui évoque une fourchette allant de deux à sept millions de fausses cartes en circulation. En 2020, une proposition de loi LR dans ce sens avait été adoptée au Sénat, mais retoquée à l’Assemblée nationale. « Si la circulation de millions de fausses cartes Vitale n'est pas démontrée, l'utilisation de vraies cartes Vitale par des personnes qui n'en sont pas le titulaire apparaît, en revanche, comme une évidence », soulignait alors la proposition de loi.
Cet amendement « va accélérer les choses », a indiqué le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, qui a levé le gage. Il a toutefois souligné que « l'enjeu essentiel est de recueillir l'adhésion des professionnels de santé, il ne faut pas que ce soit une contrainte forte pour eux ».
Mi-juillet, le ministre de la Santé, François Braun, avait déjà ouvert la voie à la carte Vitale biométrique, proposant la mise en place d’une mission parlementaire sur le sujet. Il y a deux ans, la majorité présidentielle avait pourtant rejeté cette carte Vitale 3.0, au nom notamment de la protection de la vie privée et des données personnelles.
« C’est indigne ! »
Dans l'hémicycle du Palais du Luxembourg, le débat s'est cristallisé sur le choix des sénateurs LR de gager ces nouvelles dépenses sur le budget dédié à l'aide médicale d'État (AME), pour les personnes étrangères sans papier.
« C’est indigne ! », s'est insurgée l'écologiste Raymonde Poncet Monge, sa collègue Mélanie Vogel fustigeant « une aberration de prendre des crédits qui servent à soigner des gens ». « Il faudra changer tous les terminaux », s’est pour sa part inquiété le sénateur socialiste Jean-Yves Leconte.
La mise en place d’une carte Vitale biométrique était une promesse de campagne réitérée de Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, mais aussi des candidats déçus aux primaires de la droite Michel Barnier, Éric Ciotti et Xavier Bertrand.
MG France dénonce « un affichage politique »
Le vote a suscité de fortes réserves chez les professionnels de santé. « C'est de l'affichage politique », a commenté auprès de l'AFP la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. « La fraude sociale est souvent mise au premier plan alors que l'essentiel du problème n'est pas là, il est dans le ciblage de la pertinence des dépenses de santé ».
« Cela revient toujours à penser que ce sont les pauvres qui font le trou dans les dépenses alors que les grosses dépenses ne sont pas là », a ajouté la Dr Giannotti. « Cela va embêter tout le monde avec un gain totalement marginal par rapport aux dépenses de santé ».
« Le Sénat gaspille 20 millions pour une mesure inutile et passéiste qui peut faire perdre du temps médical », a renchéri sur Twitter Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens d'officine (FSPF).
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