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Dossier

L’IVG médicamenteuse gagne du terrain en ville

Par Amandine Le Blanc - Publié le 07/06/2021
L’IVG médicamenteuse gagne du terrain en ville


GARO/PHANIE

Depuis 2004 et son autorisation, l’IVG médicamenteuse en ville s’est développée pour représenter aujourd’hui plus d’un quart des IVG réalisées en France chaque année. Avec son développement, le nombre de généralistes conventionnés a suivi, même si des disparités régionales et certains obstacles persistent.

Depuis plus d’un an, en raison de la crise sanitaire, le délai de recours à l’IVG médicamenteuse en ville a été allongé de sept à neuf semaines d’aménorrhée. Une mesure dérogatoire mais qui devrait être amenée à rester. Mi-avril, suite à une saisine du ministère des Solidarités et de la Santé, la HAS a publié des recommandations qui visent à « pérenniser ce droit pour les femmes ».

Depuis son autorisation en 2004, l’IVG médicamenteuse en ville n’a cessé de gagner du terrain pour représenter aujourd’hui, d’après les derniers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) pour l’année 2019, 70 % des IVG en France. Et la part de ces IVG réalisées hors établissement de santé augmente aussi régulièrement. Ainsi, en 2019, 26,5 % des IVG ont eu lieu en cabinet libéral, centre de santé ou centre de planification et d’éducation familiale, soit 61 480. En tout, ce sont 1 914 praticiens qui sont conventionnés actifs, dont 35 % de médecins généralistes. 662 généralistes réalisaient donc des IVG médicamenteuses en cabinet en 2019, mais il s’agit souvent d’une activité réduite. Comme l’analyse la Drees, sur ces effectifs, une majorité en ont fait moins de 10 cette année-là. L’autorisation, depuis 2016, pour les sages-femmes de pratiquer des IVG médicamenteuses en ville a fait gonfler les effectifs, mais ils sont encore trop réduits, d’après un rapport parlementaire des députées Marié-Noëlle Battistel (PS) et Cécile Muschotti (LREM) sorti fin 2020. Ce document fait 25 recommandations pour améliorer l’accès à l’IVG en France. Selon ces élues, cela passe par une augmentation du nombre de praticiens qui réalisent cet acte, y compris en ville. « Les pouvoirs publics ne peuvent se contenter de s’en remettre à la bonne volonté des praticiens et des établissements de santé, pour qui cette activité relèverait davantage du bénévolat que d’une pratique médicale rémunérée à sa juste valeur », écrivent-elles.

Une répartition géographique inégale

Depuis 2004 et la possibilité donnée aux généralistes de réaliser des IVG en ville, la profession s’est mobilisée mais on constate de fortes disparités régionales. La prise en charge des IVG hors établissement de santé est concentrée dans certaines régions. Le Dr Anne-Elisabeth Mazel, travaillait en Ile-de-France est récemment partie en Pays de la Loire à Nantes : « j’ai pu constater une réelle différence ; en Île-de-France, nous sommes très bien pourvus en offre ambulatoire, alors qu’en Loire-Atlantique, il n’y a pas grand-chose », explique-t-elle. En effet, comme le souligne la Drees, « moins de 10 % des IVG sont réalisées en cabinet libéral en Pays de la Loire et dans le Grand Est. À l’inverse, cette pratique concerne 31 % des IVG en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Île-de-France ».

« Il y a des disparités régionales parce qu’il n’y a pas les mêmes modalités de mises en place selon les régions », explique le Dr Anne Saint-Martin, généraliste à Roques (Haute-Garonne) et co-présidente de Reivoc (Réseau pour favoriser la prise en charge de l’IVG et de la contraception en région Occitanie Pyrénées Méditerranée). « La coordination des professionnels autour de la prise en charge des IVG en ville se fait soit à l’intérieur des réseaux de périnatalité, soit dans des réseaux plus petits », précise-t-elle. C’est le cas dans sa région avec la création de Reivoc, en 2006, à l’initiative des médecins de ville. « Au moment où la loi est passée, quelques médecins toulousains se sont organisés pour se former à la pratique de l’IVG médicamenteuse en ville. »

Initialement, ils étaient une quinzaine, puis l’association a grossi et est aujourd’hui subventionnée pour cette mission de formation des praticiens de ville. Trois formations sont organisées par an. « Le but est d’arriver à “boucher les trous”, pour qu’il y ait une offre ambulatoire à peu près partout sur le territoire », explique le Dr Saint-Martin.

Le premier réseau du genre a été celui de Revho (réseau entre la ville et l’hôpital pour l’orthogénie), mis en place dès 2004 en Île-de-France. Le Dr Sophie Eyraud, toujours engagée dans l’association mais aujourd’hui retraitée de son activité de généraliste, a fait partie des praticiens présents à la création du projet. « Le réseau Revho, au départ, est né car il n’y avait pas d’argent prévu pour la formation, détaille-t-elle. Les centres d’orthogénie pensaient que les généralistes allaient être incapables de s’occuper de ça, que les femmes allaient être maltraitées et les généralistes qu’on allait encore leur refiler tout ce qui est psychosocial et ne rapporte rien. » Dans les régions où des réseaux à l’image de Revho ou de Reivoc existent, l’offre ambulatoire pour l’IVG médicamenteuse est donc souvent plus importante.

L’absence de développement dans certains territoires est parfois liée également à un choix historique. « Dans certaines régions, les centres d’orthogénie se sont dit : si cela se développe en ville, nous n’aurons plus de financement pour nous », raconte le Dr Eyraud.

Au-delà de la formation, ces réseaux jouent aussi un rôle d’information à destination des patientes. Reivoc a ainsi mis en place une carte interactive en ligne qui recense les praticiens conventionnés. Le site ivglesadresses.org tente aussi de répertorier l’offre complète en ville comme en établissement.

Une jeune génération mieux informée

Si la prise en main par les professionnels a donc un poids important, faut-il pour autant en conclure, comme le rapport parlementaire de fin 2020 le suggérait, que la pratique de l’IVG repose encore trop sur l’investissement de praticiens « militants » ? La jeune génération de généralistes semble plus formée, ou au moins informée, sur le sujet. « Nous organisons des formations deux fois par an, à chaque changement des internes de médecine », détaille le Dr Eyraud. Des DU et DIU existent aussi à l’université. En Occitanie également, des modules de formation à destination des IMG sont mis en place, et le Dr Saint-Martin, qui est maître de stage en santé de la femme et de l’enfant, constate qu’effectivement la jeune génération est mieux informée : « ils ont intégré l’idée qu’on pouvait faire de l’IVG médicamenteuse en ville ». De manière générale, les jeunes généralistes ont, en fait, davantage intégré la santé de la femme à leur pratique. « Dans ma promotion, j’avais beaucoup de collègues qui faisaient des diplômes de contraception, de gynéco et qui pensent que oui, la santé des femmes, c’est du ressort du généraliste », souligne le Dr Mazel. C’est d’ailleurs de par son intérêt pour ces sujets-là qu’elle s’est retrouvée à se former aussi pour l’IVG. C’est également le cas du Dr Florian Guého, jeune généraliste installé dans le 18e arrondissement de Paris. « J’ai une patientèle très jeune et j’avais beaucoup de questions sur la contraception. J’ai d’abord fait un DU de contraception, au cours duquel j’ai découvert qu’on pouvait faire de l’IVG médicamenteuse en cabinet. J’ai donc suivi une formation et un stage spécifique », raconte-t-il.

Des obstacles pratiques plutôt que symboliques

Mais si les généralistes sont plus informés ou même formés, ce n’est pas pour autant qu’ils vont jusqu’à conventionner et intégrer cet acte à leur pratique. C’est notamment ce que montrait la thèse de 2018 du Dr Coralie Marguerite sur « L’IVG médicamenteuse par les médecins généralistes de l’agglomération rouennaise ». Sur les 90 médecins généralistes haut-normands qui se sont formés à la technique de l’IVG médicamenteuse, 55 d’entre eux ne se sont pas conventionnés après la formation. Pour la plupart, c’est le manque de temps qui les a empêchés d’aller au bout de la démarche. En effet, les règles de prise en charge, de délai, de suivi, avec plusieurs consultations, ont pu en freiner certains et être considérées comme difficiles à concilier avec des plannings déjà très chargés. « Si on veut le faire bien, cela prend du temps et c’est ce qui manque aux généralistes en ville. J’ai plein de collègues qui sont formés mais qui n’en font pas car ils sont sous l’eau », explique le Dr Anne-Elisabeth Mazel.

L’acte demande aussi une disponibilité qui peut faire peur. « Si je le fais, je serai obligé de revenir sur mes jours de repos pour avoir le temps », témoigne un généraliste rouennais. Le Dr Florian Guého confirme : « les femmes ont besoin d’être au calme chez elles, donc souvent la prise de médicaments intervient le week-end et, comme il y a un risque de saignement, il faut pouvoir communiquer avec son médecin et rester joignable ». La gestion des médicaments abortifs par le généraliste, qui doit les acheter et les stocker, peut aussi être vue comme une contrainte. « Le fait de devoir aller acheter la molécule et la stocker ne simplifie pas les choses », témoigne un généraliste dans la thèse du Dr Marguerite. « Je trouvais que l’investissement au niveau des médicaments était vraiment trop difficile à gérer », abonde un deuxième. Le Dr Guého souligne que la gestion peut s’avérer complexe le week-end. « Ce sont des comprimés qui peuvent faire vomir, et si cela arrive dans les 30 minutes, il faut en reprendre, mais la patiente ne peut pas aller les chercher elle-même. » Certaines formalités administratives sont aussi jugées excessives. « On se consacre à faire des papiers alors qu’on devrait passer du temps à faire, à donner des explications. » Des modalités chronophages, à commencer par la convention. « Pour qu’un médecin fasse des IVG, il faut qu’il se conventionne et qu’il en informe l’ARS, l’Ordre, la pharmacie… Cela ne facilite pas vraiment les choses », estime le Dr Gilles Lazimi, généraliste à Romainville (Seine-Saint-Denis).

Pour autant, les généralistes qui en pratiquent livrent un message positif à leurs confrères. « Ce n’est pas très compliqué. C’est de la médecine gratifiante et satisfaisante, nos patientes ont un problème et nous avons une solution à leur apporter, avec une très bonne sécurité des soins », souligne le Dr Mazel. « Il faut que les médecins s’approprient cette pratique qui est valorisante et satisfaisante, abonde le Dr Lazimi. Nous jouons à plein notre rôle de soignants, d’accompagnants. C’est un acte banal et aisé ». « Ce n’est pas toujours un traumatisme, cela peut se passer très bien », ajoute le Dr Eyraud, qui estime par ailleurs que « plus il y aura de professionnels formés aux différentes techniques d’IVG, plus ce sera facile pour les femmes ».

Les dates clefs de l'IVG

> 17 janvier 1975 : l’IVG est temporairement autorisée par la loi « Veil », reconduite en 1979 et définitivement légalisée en 1980
> 13 juillet 1983 : la loi Roudy permet le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale
> 1989 : la technique médicamenteuse est désormais autorisée
> 4 juillet 2001 : la loi Aubry-Guigou introduit une modification des règles de recours à l’IVG, portant le délai maximal de recours autorisé de dix à douze semaines de grossesse
> 1er juillet 2004 : les textes d’application de la loi Aubry-Guigou permettent aux femmes de recourir à une IVG médicamenteuse dans le cadre de la médecine de ville. Ces IVG peuvent être pratiquées jusqu’à sept semaines d’aménorrhée
> 6 mai 2009 : les centres de santé et les centres de planification ou d’éducation familiale (CPEF) réalisent également des IVG médicamenteuses
> 31 mars 2013 : l’IVG est prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie
> 4 août 2014 : la condition de détresse pour bénéficier d’une IVG est supprimée
> 8 avril 2015 : suppression du délai de réflexion de sept jours jusqu’alors imposé aux femmes
> 1er avril 2016 : l’intégralité des consultations et examens nécessaires pour une IVG est désormais prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie
> 2 juin 2016 : les sages-femmes peuvent réaliser des IVG médicamenteuses
> 1er décembre 2016 : adoption de la loi contre le délit d’entrave numérique à l’IVG
> 2020 : en raison de la crise sanitaire, et de manière dérogatoire, le délai d’accès légal à l’IVG médicamenteuse est prolongé de 7 à 9 semaines d’aménorrhée