Par Jeanne Poma
Ce matin, j’ai choisi ma robe verte un peu courte et mis du rose sur mes joues.
J’ai rendez-vous avec lui.
Ma blouse blanche, je l’ai posée sur la chaise. Une façon à moi d’adoucir la frontière avec les patients.
Cela fait trois ans que travaille dans cette clinique psychiatrique. Une opportunité incroyable après mes études, j’avais sauté sur l’occasion. Et depuis, je ne peux pas m’arrêter une seconde. Mes patients, la recherche, mon métier ont surpassé les effets d’un élixir ou d’un narcotique. Je n’ai ni une minute ni l’envie d’autre chose et ça me plaît.
Ce matin, j’ai rendez-vous avec Martin.
Martin souffre de dépression. Suite à la perte d’un ami, une colère lourde et gluante s’est glissée dans sa gorge et ses organes. Peu à peu, il s’est retrouvé coincé et éventré par un mal inextricable.
Ce matin, dans sa chambre, pas un bruit, Martin est étrangement calme. Mais j’aime ces moments de silence. Ces instants où l’on cherche ensemble les souvenirs, les idées avant que les mots fusent et virevoltent sur les murs gris de la chambre.
? Et si on aérait ? propose-t-il.
? Oui, pourquoi pas.
Il a poussé les portes de la clinique en même temps que moi. C’était même un de mes premiers patients. Il avait les cheveux un peu plus longs à l’époque. J’avais déjà remarqué ses yeux bleus.
Je me rappelle nos premiers rendez-vous… Un peu gênés, nous avons mis un peu de temps avant de pouvoir nous faire confiance, nous apprivoiser. Peu à peu j’ai pu voir une évolution dans son comportement, voir les effets des soins, des mots.
Et forcément, avec le temps, on s’attache…
? Alors, comment allez-vous aujourd’hui Mademoiselle Lacau ? me lance-t-il.
« Mademoiselle ». J’ai des fourmillements dans le creux de mon ventre à chaque fois. Vient ensuite l’étrange picotement sur le haut des joues. Je sais bien que ce n’est pas correct, qu’il devrait m’appeler « docteur » comme tous les autres patients… mais c’est tellement agréable.
? Très bien et vous ?
Nous partons ensuite dans notre analyse, dans cet échange agréable et parfois douloureux.
Un joli bouquet de fleurs dans sa chambre.
? Qui vous les a offertes ?
En guise de réponse, il me sourit à peine.
Sans doute une infirmière sensible à ses charmes…
Une petite jalousie amère me torture l’estomac mais je sais qu’à cet instant, c’est à mes lèvres qu’il se perche…
10 h. Je m’extirpe à contrecœur de notre cocon pour poursuivre mes visites.
Quelle agitation dans le couloir ! Des cris, des familles, des médecins qui courent… Quelle effervescence ! Ces infirmiers, ces patients… que se passe-t-il ?
Heureusement le patient suivant est à deux pas.
Monsieur Franklin, mon oncle Sam.
? Ah ma petite Laurence, me dit-il.
Bien au chaud dans son costume en velours, le vieil homme se croit aux États-Unis depuis quarante ans.
? Comment allez-vous Monsieur Franklin ?
? Très bien, je vous remercie… Tenez, c’est pour vous.
Il me tend un petit bout de papier sur lequel il a dessiné une grande lettre « s » barrée deux fois. Un dollar.
Je souris avant de filer, Monsieur Franklin est toujours pareil à lui-même.
Mais en sortant, l’agitation m’étouffe à nouveau. Vite de l’air ! Un couloir, deux, un hall. En deux minutes, je me retrouve dans la cour. Le frais me fait du bien sur le visage. Je ferme les yeux et respire à fond…
Quand je les ouvre, c’est un bâtiment blanc que je vois.
L’aile gauche. Celle réservée aux pathologies plus lourdes, plus profondes.
Celle où les traitements excèdent parfois le nécessaire…
Prochain épisode dans notre édition du 2 avril
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