Pauline Seigner fixait le Docteur Pommerel de son œil voilé. Sa bouche, enfin, avait fini par s’ouvrir. L’infirmière Pasquier, voyant Pommerel sur le pas de la porte, remonta doucement la mâchoire de la fillette et glissa une petite serviette roulée sous son menton pour la maintenir fermée. Elle tourna son beau visage vers Pommerel, esquissa un sourire triste.
« Vous aviez raison Docteur. L’hématome sous dural a été détecté trop tard. »
Pommerel eut un haut-le-corps, laissa échapper un cri étouffé. Il était dans sa voiture, toujours garée devant le bar-tabac. Le sommeil l’avait pris par surprise. Il passa une main moite sur son visage, consulta sa montre : quatorze heures vingt. Il ne lui restait que dix minutes avant sa prochaine visite.
Pommerel se redressa, un mal de crâne lancinant lui pressurait les tempes. Il repensa aux anxiolytiques, dans les toilettes du bar, et au deuxième cognac. Ça devenait une habitude, il fallait à tout prix qu’il arrête. Il inspira un grand coup, essaya de rassembler ses esprits, et tourna la clef de contact.
Les Vitelot demeuraient à la sortie du village suivant, à l’étage d’une petite épicerie lugubre en bord de route. Pommerel se détendit un peu en pensant au jeune couple. Il allait voir des gens heureux, récemment mariés, vérifier que la jeune mère et le nouveau-né se portaient bien après un accouchement par césarienne difficile. Un peu de vie, enfin, dans les ténèbres marécageuses du Bocage.
La campagne, baignée d’une épaisse brume grisâtre, s’allongeait devant lui, apaisante. Pommerel se dit qu’il avait fait le bon choix, qu’il n’y avait de toute façon plus rien à attendre de son quotidien aux Urgences. Ici, il pourrait accompagner ses patients, apprendre à les connaître. Reculer le plus possible le moment où leur âme déserterait un corps devenu inutile, sans plus avoir à repousser au-delà du raisonnable les frontières de l’épuisement et du stress. Ici, il n’y aurait pas de Pauline Seigner, jamais. Il ne le permettrait pas.
Sa migraine s’estompait lentement, sous l’effet conjugué du lorazépam et de ces pensées rassurantes. Le village n’était plus très loin, on devinait déjà le clocher qui s’élevait au-dessus des toits d’ardoise, désignant le ciel comme dans une mise en garde.
Subitement, Pommerel fronça les sourcils. Il crut percevoir un fin lacet noir, qui tournoyait au-dessus des maisons comme un étrange lasso. À mesure qu’il approchait, il le discernait de plus en plus nettement. Il se mouvait lentement, prenant la forme de figures souples, changeantes. Pommerel laissa échapper un gémissement. Des oiseaux. Des centaines, peut-être des milliers de pies exécutaient ce ballet glaçant pour lui, pour l’accueillir à l’entrée du village. Pourquoi le vieux Gramier n’avait-il jamais évoqué cela, ce comportement inhabituel, angoissant, des oiseaux ?
Pommerel se gara avec précaution dans la rue principale. Il sortit de sa voiture, la tête rentrée dans les épaules comme pour esquiver la menace qui planait au-dessus de lui. Il se tourna vers le petit commerce des Vitelot, dont le rideau de fer était baissé. Il eut toutes les peines du monde à porter son regard vers le premier étage. Le visage livide, absent et gonflé de larmes de la jeune Madame Vitelot le fixait à travers la vitre. Le rideau de fer se souleva dans un crissement, laissant s’échapper la silhouette massive, tendue, de Vitelot qui se précipita sur lui. Il empoigna Pommerel par le col, fébrile et vociférant.
« Il est mort, Docteur ! Mort ! »
Prochain épisode dans notre édition du 2 octobre
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