Par Jeanne Mazabraud
Geneviève était sortie de l’épisode Carolus déçue, insatisfaite, profondément triste et mal dans sa peau. Pas un instant son amant ne s’était intéressé à son sort. Il s’était avant tout employé à détourner l’attention de sa partenaire, à éviter toute « inquisition ». « Il ne se rend même pas compte qu’il peut en contaminer d’autres… à commencer par sa chère épouse » s’indignait Geneviève. « Et aussi qu’il n’est lui-même pas exempt de risque. » Elle se souvenait d’avoir lu que les hommes pouvaient développer à long terme un cancer du pénis dû au papillomavirus.
Sur le seuil du studio, sans préavis, il l’avait congédiée : « C’est la dernière fois qu’on se voit. C’est notre contrat : coïtus interruptus ad libido ». Et elle n’avait rien répondu. Ah bravo la féministe d’opérette, ricanerait Michèle. Mais non, sa copine ne se moquerait pas d’elle dans de telles circonstances. N’empêche quel gâchis ; rien de tel qu’un pépin pour révéler le vrai caractère des gens. « Carolus, sac à puces, tiens ! »
Geneviève en était là de ses ruminations lorsqu’une voix féminine la héla :
— Ma chère, quelle surprise ! Si je m’attendais à vous voir dans le quartier. Vous savez que nous y avons un studio ? La garçonnière de Charles. Je plaisante, bien sûr. Il ne court plus les filles depuis belle lurette… On prend un thé ?
Sans façon Valérie, la seconde épouse de Charles, lui prenait le bras, l’entraînant vers un salon de thé voisin, sans écouter ses protestations. Décidément dans cette famille-là on préférait imposer sa loi que subir celle des autres.
Exubérante et égocentrique, Valérie n’en était pas moins une femme intéressante, avec un beau parcours professionnel et une grande facilité relationnelle. Geneviève se remémorait leurs échanges assez anodins et impersonnels mais agréables, du temps où il n’y avait rien. Valérie aurait pu devenir une copine. Attablée devant un Paris-Brest, friandise inattendue chez cette adepte de la minceur absolue, Valérie racontait les années d’expatriation, fière de son Charles, de leur réussite sociale, un peu ironique cependant (« Il est convaincu que rien – ni personne – ne lui résiste »).
Soudain, le ton change. Valérie tombe le masque. Des larmes se faufilent sous le rimmel.
— Vous qui connaissez bien Charles, je peux vous parler. Alerte rouge. Geneviève bredouille. Se fige. En courtes phrases, entrecoupées de reniflements, la seconde épouse dévide son histoire. Il y a quelques jours, elle s’est rendue chez son gynécologue pour la consultation qu’elle avait omis de faire pendant près de quatre ans (l’insouciance, l’expatriation...). Or aujourd’hui le médecin l’a convoquée en urgence. Le frottis a révélé des cellules cancéreuses. Le col de l’utérus est atteint. Il faut opérer rapidement. Le papillomavirus, silencieusement, a fait des ravages.
— J’étais infectée depuis longtemps sans m’en douter. Souvent il n’y a pas de symptômes, ni de douleurs.
Un temps : — Que va dire Charles ?
Geneviève réagit avec fureur :
— Ce qu’il va dire ? Mais rien, il n’a rien à dire. C’est lui qui vous l’a collé ce satané virus, non ? Alors qu’il assume cet enfoiré. Et qu’il arrête de le refiler à d’autres.
Stupéfaite, Valérie cesse de pleurer :
—À d’autres ? Que voulez-vous dire par là ?
— Devinez, ce n’est pas bien difficile.
Dans un crissement de chaise sur le carrelage, Geneviève quitte le salon de thé. Valérie, Charles. Elle ne veut plus en entendre parler. Elle aussi a droit à l’égoïsme. Elle aussi a un corps à soigner. Et un cœur si gros qu’il pourrait éclater.
Prochain épisode dans notre édition du 24 mars

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