Par Sokrates Papavassiliou
Ma complicité avec Hélène trouvait sa raison d’être. Mon cercle familial venait de s’élargir grâce à une simple lettre. Une bombe en vérité, et je craignais d’être totalement pulvérisé par cette nouvelle. Ce n’était plus un bain dont j’avais besoin mais d’une apnée bien plus longue dans ce qui me semblait être un tsunami génétique. Mais avant de sombrer définitivement, je devais savoir.
Je longe les quais, sonne à l’interphone, grimpe, tambourine. Hélène m’ouvre.
– Hélène, tu es ma fille ! Ma fille, mon sang ! Comment tu peux expliquer ça toi ?
Je l’ai prise dans mes bras pour qu’elle me sauve, pour qu’une fois encore je me sente mieux, mais rien n’y faisait, je pleurais encore.
Hélène me tient les mains, elle tremble. Elle s’exprime péniblement, sa voix est quasiment inaudible. On se retrouve comme deux imbéciles perdus, pleurant leur maison après un désastre. Je dois trouver la force nécessaire, ne pas me laisser aller, ne pas sombrer, mais finalement c’est Hélène qui prend la parole, qui me rassure avec cette phrase : « Tu étais mon roi et tu es maintenant mon père, on va s’aimer autrement ». La tendresse que nous avons toujours eue l’un pour l’autre s’exprimait dans un moment de grande tension, comme si rien, jamais, ne pouvait nous désunir. J’étais ragaillardi, prêt à affronter le passé.
– J’y vais, j’ai dit.
– Où ?
– Chercher les réponses.
J’ai quitté le studio et appelé ma femme qui ne répondait pas.
J’ai foncé chez moi. Personne. J’ai crié. Mon monde se vidait de ses certitudes et de ses personnes physiques.
Je suis reparti. Direction chez les William.
Ma femme et Suzanne étaient assises dans le salon, avec un thé.
– Pourquoi vous ne m’avez rien dit plus tôt ?, j’ai beuglé. Pourquoi je suis le seul con du monde à ne pas savoir qu’Hélène est ma fille ? Pourquoi, merde !
Elles posent leur tasse et me demandent de m’asseoir. « Je ne veux pas m’asseoir, je veux des réponses, merde ! ».
Suzanne prend la parole : « Je suis stérile Franck, je l’ai toujours été, et mon mari aussi. C’est assez rare cette double incapacité. Il y a vingt ans j’ai porté un enfant produit du don d’ovocyte de Laurence et de ton sperme à toi. Hélène. L’opération a été réalisée par William. On pensait que tu refuserais, c’est pourquoi tu ne l’as pas su. William connaît, tu le sais, le directeur de la banque de sperme, ce qui a facilité la procédure en toute discrétion ». La table en verre tremble quand elle pose sa tasse mais c’est ma tête qui reçoit des coups.
– Bien sûr que j’aurais refusé, qui de normal aurait pu accepter ? Et pourquoi on se sert dans mes bourses sans rien demander ? Je ne suis pas un drive-in ! Et William ? Il est où le gentil William ? Il fait quoi l’éblouissant William ? Il dit quoi le grand William ? C’est quand même lui le grand ordonnateur !
– William protège sa famille et toi aussi depuis pas mal de temps, parce que William il sait tout sur ta relation entre Hélène et toi depuis le début. Tout ! Et pourtant il n’a rien dit. Il m’a avoué ça il y a dix minutes par téléphone et il était désespéré, dit Suzanne.
Ma femme me regarde avec bienveillance, elle semble tout simplement navrée.
Je tombe sur le canapé. Je demande une tasse de thé à Suzanne. Avec un peu de miel. Je pense à William, mon nouveau frère protecteur, à mes spermatozoïdes qui appartiennent à qui veut bien, aux pieds d’Hélène, à mes deux filles en compétition dans l’amphi Binet, et pendant que je touille le miel dans ma tasse une question me vient à l’esprit : si un môme sur vingt se trompe de père, un père sur combien se trompe de môme ?
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