C’était la première grande tempête que Rémi traversait. Psychiatre depuis une quinzaine d’années, il avait choisi cette spécialité par passion mais avait fini par s’enfermer dans une certaine monotonie et c’était sûrement cela qui lui avait joué des tours. Les patients qui s’enchaînaient toutes les semaines au cabinet, quelques expertises de temps en temps auprès des tribunaux, un ou deux colloques par an, un train-train qui lui avait fait perdre le mordant avec lequel il considérait son travail, à ses débuts. Après tout, il était difficile de courir après des patients en perdition qui s’évanouissaient dans la nature du jour au lendemain ; difficile aussi de vérifier si un névrosé à la dérive prenait bien son traitement ; difficile encore de déterminer avec certitude si un patient, schizophrène par exemple, pouvait sortir de l’hôpital pour le week-end sans risque pour l’entourage. La psychiatrie n’est pas une science exacte, Rémi l’avait souvent entendu pendant ses études, mais comme le commissaire – pas psychologue pour deux sous –, lui avait jeté à la figure : « Allez donc dire ça à la famille de la petite Christelle ! ».
Marquant. Un schizophrène que Rémi suivait depuis plusieurs années, et qui était passé à l’acte à l’occasion d’une autorisation de sortie que Rémi lui avait délivrée. Le temps d’un week-end. Un week-end où tout avait basculé. Rémi avait jugé que la psychose dont souffrait Abel Marquant s’était stabilisée, alors que les experts mandatés par la suite, après le meurtre sauvage de la jeune Christelle, avaient identifié une héboïdophrénie, forme rare de schizophrénie impliquant une psychopathologie criminogène.
« Il y avait une chance sur un million que les événements s’enchaînent de la sorte », lui avaient seriné ses collègues, qui l’avaient soutenu et défendu tandis que les médias se déchaînaient sur les failles du système.
Rémi avait accepté sans ciller le rôle de bouc émissaire : hors de question de fuir ses responsabilités. Seulement là, il se sentait au bord du gouffre, à bout de force. Le docteur Raymond avait raison. Il fallait qu’il décroche et qu’il se recentre sur lui et sa famille. Enfin sur sa femme et lui.
Il était temps d’agir. En sortant du PMU où il venait de valider la première grille de loto de sa vie, Rémi fonça réserver deux allers-retours pour Londres, avec en prime les billets pour le concert de George Benson. Aline serait folle de joie.
– Je nous ai réservé une petite surprise pour le week-end prochain ! annonça-t-il fièrement au dîner.
Aline leva à peine les yeux de son assiette.
Rémi avait misé sur le fait que son regain d’enthousiasme ferait du bien à sa femme, qui l’avait vu déprimer pendant des semaines. Mais cette épreuve avait visiblement laissé des traces plus profondes. Aline avait, elle aussi, beaucoup souffert dans cette histoire. Elle aussi avait besoin de retrouver un peu de l’entrain qu’elle avait perdu.
« Qu’à cela ne tienne », se dit Rémi, désireux de continuer sur sa lancée en réalisant ces envies folles dont il avait parlé à brûle-pourpoint avec son confrère, le docteur Raymond. « Elle aussi adore les petites virées insolites. Je vais lui dégoter un petit séjour original, inspiré de Cinq semaines en ballon ou Vingt mille lieues sous les mers, elle ne va pas en revenir ! »
Et ce n’était que le début de ses envies folles, de son enthousiasme et de l’effet boule de neige de son tout nouveau programme « Carpe Diem »…
Prochain épisode dans notre édition du 21 mai
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