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Dossier

Déserts médicaux

Nouveau zonage... Mais quel chantier !

Par Amandine Le Blanc - Publié le 02/06/2017
Nouveau zonage... Mais quel chantier !

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GARO/PHANIE

Nouveaux critères pour plus de territoires bénéficiaires d'aides à l'installation : Marisol Touraine l’avait annoncé peu avant de partir, la carte des zones médicales sous-denses allait changer et plus de médecins allaient être aidés. Pourtant, après les décisions nationales, les applications au niveau local ne semblent pas être évidentes partout. çà et là, les professionnels de santé contestent les nouvelles cartes en préparation.

C’est l’un des derniers chantiers lancés par Marisol Touraine avant son départ. Début mars, la ministre de la Santé d’alors annonçait que les critères pour définir les territoires considérés comme des « déserts médicaux » allaient changer. Avec un objectif ambitieux, puisque, selon le ministère, cet élargissement des zones sous-denses doit permettre d’ouvrir le droit à des aides à l’installation pour davantage de médecins et d’au minimum doubler la population couverte par ces dispositifs incitatifs. « Plus de 12 millions de Français vivent dans des territoires qui seront concernés par les aides à l’installation des médecins », expliquait alors la résidente de l’Avenue de Ségur. L’enjeu était donc d’ouvrir davantage les aides prévues par la convention médicale : contrat d’aide à l’installation, contrat de stabilisation et de coordination, contrat de transition, contrat de solidarité territoriale. Il s’agissait aussi d’être plus généreux sur celles mises en place par le Pacte territoire santé comme le contrat de praticien territorial de médecine générale (PTMG) pour les jeunes installés, celui d'engagement de service public (CESP) pour les étudiants ou encore les médecins correspondants du Samu (MCS) ou les MSP. Après une première étape de cadrage au niveau national, les ARS, en concertation avec les acteurs locaux, se sont attelées à la définition de ces nouvelles zones sous-denses.

 

Découvrez le nouveau calcul de la densité médicale : "Une équation, plusieurs inconnues..."

Le désert médical avance

Un travail d’actualisation plus qu’indispensable tant les projections pour les années à venir sont inquiétantes. Dans un récent rapport de la Drees, qui revient sur l’art et la manière de mieux cerner les déserts médicaux, les auteurs prévoient qu’en 2025 le nombre de généralistes libéraux ou mixtes serait inférieur de 8 % à celui de 2009. D’où la nécessité de revoir les critères de définition des territoires sous-denses. Jusqu’à présent, la règle qui prévalait était celle unique du nombre de médecins par habitant. Une approche par la densité que Drees et Irdes ont dépassé en développant un nouvel indicateur d’accessibilité aux soins : l’APL, ou accessibilité potentielle localisée, exprimée en nombre de moyens annuels de consultations ou visites par habitant et prenant en compte davantage de dimensions qu’auparavant. La distance par rapport aux consultations les plus proches, l’activité des médecins, l’âge de la population et même celui des médecins entrent ainsi désormais en ligne de compte pour déterminer les zones fragiles.

Et, de fait, sous le prisme de ce nouvel indicateur,  certaines régions se détachent avec une proportion de communes sous-denses plus élevée. C’est le cas notamment de Centre-Val-de-Loire avec 16,5 % de la population régionale qui vit dans une commune dont l’APL est inférieure à 2,5 (consultations par an et par habitant). Bourgogne-Franche-Comté est également l’un des territoires les plus touchés avec 12,6 % de ses habitants dans des communes fragiles. L’île-de-France (9,9 %) et Auvergne-Rhône-Alpes (11,1 %) étant les régions les plus peuplées de France fournissent les contigents les plus importants d'habitants vivant dans des communes fragiles, soit respectivement : 117 629 habitants et 95 123 habitants. D’autres régions sont moins impactées, mais aucune n’est épargnée puisqu’on trouve des déserts médicaux partout.

Une cartographie qui patine un peu

Partant de ce constat, un certain nombre de zones ont d’ores et déjà été arrêtées au plan national et feront automatiquement partie de la nouvelle carte des déserts médicaux. A priori, 40% des communes concernées y figureraient ipso facto. Pour le reste, aux ARS de définir, en concertation avec les acteurs locaux, les territoires moins urgemment prioritaires – mais déjà fragiles ! – qui intégreront cette cartographie. Mais, dans les faits, en régions, les nouvelles cartes des zones fragiles n’avancent pas partout aussi vite que prévu. À certains endroits, le zonage est quasiment déjà acté, et tout semble s’être passé sans douleur. C’est le cas notamment dans la région Centre-Val-de-Loire où l’URPS explique que toutes les réunions départementales sur le zonage ont déjà lieu. À la suite de ces concertations, l’ARS devait donc soumettre la carte définitive à concertation auprès de la CRSA (Conférence régionale de la santé et de l’autonomie) le 31 mai afin de pouvoir publier l’arrêté dès juin. Une rapidité à mettre sur le compte, entre autres, d’une « ARS très à l’écoute des médecins du terrain », souligne-t-on à l’URPS. Le fait que la région profite aussi largement de cette nouvelle méthodologie de zonage y a peut-être aussi participé. En effet, le Centre-Val-de-Loire fait partie des régions où le nombre de territoires considérés comme fragiles et qui vont pouvoir bénéficier des aides incitatives devrait considérablement augmenter. En tout, 39 % de la population sera dans une zone sous-dotée contre 14 % auparavant. 18,9 % de la région était en zone fragile automatiquement car avec une APL inférieure à 2,5, et il restait à l’ARS à décider de 20,9 % en plus sachant que dans le cadre de ce zonage la région pouvait inclure jusqu’à 85,8 % de sa population.

Mais force est de constater que dans d’autres régions les choses n’avancent pas aussi vite. La faute d’abord à un calendrier qui priorise d’autres dossiers. « Pour l’instant, j’ai l’impression qu’ils sont englués dans leur PRS (projet régional de santé), nous sommes sans arrêt convoqués à des réunions sur ce sujet », explique le Dr Dany Guérin, généraliste à Bordeaux et membre de l’URPS de Nouvelle-Aquitaine où aucune réunion sur le zonage n’a encore eu lieu ni même été fixée. Même son de cloche en Bourgogne-Franche-Comté : « Pour l’instant, on est dans la démarche de rédaction des PRS et schémas régionaux de santé à marche forcée. Tout culbute à la fois, et c’est un peu compliqué », confie le président de l’URPS, Éric Blondet.

Un découpage contesté

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50 000 habitants, c'est un maillage beaucoup trop large

Dr Serge CINI
Généraliste à Marseille


Ça patine sur le calendrier dans certaines régions, mais ce n'est pas le plus ennuyeux. Ce qui coince souvent au niveau des territoires c’est la nouvelle méthodologie imposée au niveau national. Les choix mis en place en haut  lieu sont loin de faire l’unanimité et de correspondre à la réalité éprouvée par les acteurs de terrain. Le principal grief semble être le choix du bassin de vie comme échelon pour calculer les zones fragiles. « 50 000 habitants, c’est un maillage beaucoup trop large », estime le Dr Serge Cini, secrétaire de l’URPS de Paca et généraliste à Marseille. En cause, la définition du bassin de vie sur cette base, ce qui, dans les départements peu peuplés, équivaut à de grandes superficies. « Si dans des départements à superficies à peu près égales vous avez 15 bassins de vie et dans d’autres 55, cela veut dire que là où vous en avez 15, ils sont très étendus et ne correspondent absolument pas à l’organisation des soins primaires existante », explique Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF et généraliste en Mayenne (Pays de la Loire) où, justement, le problème se pose. Même constat en Auvergne-Rhône-Alpes. Dans certains départements ruraux comme la Haute-Loire ou la Loire, les regroupements de territoires apparaissent parfois aberrants aux yeux des professionnels de santé locaux. « Le bassin de vie du Puy (Haute-Loire), par exemple, c’est 110 communes », explique le Dr Yannick Frézet, vice-président de l’URPS d’AURA et généraliste à Rive-de-Gier (Loire).

Trop d’habitants, trop de communes, trop de superficies dans une même zone... Le nouveau découpage aboutit à des disparités au sein même des territoires. « Il y a des bassins de vie qui font 40 kilomètres de long. Dans un bout de ce bassin de vie, on a une densité médicale normale, à l’autre bout, c’est très sous-médicalisé », détaille le Dr Duquesnel dont le département d’exercice est particulièrement affecté par ce problème. Le mélange des genres, et ici des densités médicales au sein d’un même territoire, rend contestables certaines décisions.  Rude dilemme, en réalité. Ecarter un bassin de vie des zones fragiles pourra avoir des conséquences désastreuses si une partie de celui-ci est sous-médicalisée... L’inclure dans les zones fragiles peut créer un effet d’aubaine pour la partie du territoire où il n’y a pas de problème démographique... Le Dr Olivier Bouchy, secrétaire général du conseil départemental de l’Ordre de la Meuse, dans une lettre adressée aux syndicats, Ordre et URPS de la région Grand-Est, met en évidence également ce même risque pour la région Grand-Est, expliquant que ce nouveau découpage « permet de masquer les réalités démographiques car on associe un territoire à forte densité médicale à un autre à faible densité ».

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Avec ce découpage, on ne tient pas compte des modalités d'exercice de chaque médecin

Dr Yannick FRÉZET
Généraliste à Rive-de-Gier (Loire)



Selon lui, dans la région Grand-Est, le découpage présentait aussi un autre inconvénient majeur : il « oublie parfois qu’il existe des barrières naturelles, mais aussi les habitudes de la population sur le plan des déplacements vers les services de santé ». Le généraliste de la Meuse en veut pour preuve la situation des maisons et pôles de santé dans son département d'exercice : « dans l'ancien zonage, 14 lieux d'implantation des maisons de santé ou pôles de santé pouvaient bénéficier des avantages conventionnels ; avec la nouvelle cartographie, seulement sept structures ».
Un grief qui n’a pas été entendu que dans le Nord-Est mais aussi notamment chez les voisins de Bourgogne-Franche-Comté. Ici, les acteurs de terrain contestent en effet le découpage car ils regrettent, entre autres, qu’il ne tienne pas assez compte des comportements des patients. « On s’aperçoit qu’ils n’hésitent pas à faire des kilomètres parce qu’on leur a recommandé tel kiné ou tel médecin. Il nous paraît plus logique de travailler sur des flux de patients, de regarder quels sont les pôles d’attractivité et d’ensuite corréler cette attractivité à l’âge moyen des professionnels sur ces pôles », explique le Dr Blondet. Bien que déjà largement sophistiqué par rapport aux méthodes de calcul de densité précédentes, certains professionnels de santé considèrent que ce nouveau découpage ne permet pas de rendre compte fidèlement des réalités de la démographie médicale. « Avec ce découpage, on ne tient pas compte des modalités d’exercice de chaque médecin, s’ils sont MEP ou pas, des durées de travail, des implantations d’hôpitaux ou de spécialistes, des zones de revitalisation qui vous permettent d’avoir des aides fiscales supplémentaires… », exprime ainsi le généraliste ligérien, Yannick Frézet.

Pas assez de souplesse

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Quand vous n'avez pas un spécialiste de deuxième recours autour de vous, la pratique de la médecine générale devient un enfer

Dr Luc DUQUESNEL
Généraliste à Mayenne (Mayenne)


La définition des critères n’est pas le seul élément qui fasse contestation. Ce que reprochent les acteurs de terrain, c’est aussi la rigidité du découpage. Un manque de souplesse qui paraît , dans certaines régions, conduire le dossier droit dans l’impasse. « Les ARS subissent la situation autant que nous. Nous nous sommes retrouvés à discuter sur des choses très peu modifiables et fixées d’avance. Cela a été établi statistiquement parce qu’il faut bien partir d’une base de discussion, mais ensuite la DGOS balance ça en disant : c’est ça et rien d’autre », analyse le Dr Frézet pour la région Aura. Dans son département, la Loire, comme dans d'autres, on se rappelle aussi qu’il y a cinq ans, les acteurs locaux avaient eu davantage de marge de manœuvre pour choisir un autre échelon que le bassin de vie s’il leur apparaissait incohérent. Ils avaient un pourcentage de modification. Aujourd’hui, ce n’est pas prévu : « L’arrêté dit que c’est interdit, on n’a pas les coudées franches », estime aussi le Dr Duquesnel.

À ses yeux, le problème du chantier actuel tient aussi à la petitesse de l’enveloppe qui, de fait, ne laisse quasiment aucune place aux autres spécialités. Luc Duquesnel regrette ainsi que les spécialistes soient un peu les oubliés alors que les aides conventionnelles ont été négociées aussi pour eux. « Il n’y a pas de zonage pour eux. Alors que je peux vous dire que quand vous êtes dans un territoire et que vous n’avez pas de spécialiste de deuxième recours autour de vous, la pratique de la médecine générale, ça devient l’enfer. »

Un enjeu vital

Les élus d’URPS de différentes régions évoquent l’éventualité de demander un moratoire sur ce nouveau découpage territorial. L’enjeu est vital, compte tenu de la situation de la démographie médicale aujourd’hui et à venir. « Tout cela est défini sur un horizon de 5 et 10 ans dans le cadre des plans et schémas régionaux de santé, explique le Dr Blondet. Si on se plante sur le zonage, au-delà des enjeux conventionnels, on se plante véritablement pour relever la crise démographique et l’accès aux soins. »

L’Ordre sort une cartographie alternative

L’Ordre des médecins vient de dévoiler une nouvelle cartographie interactive sur la démographie médicale, disponible sur le site demographie.médecin.fr. Grâce à cet outil, l’Ordre espère proposer une vision au plus près de la réalité du terrain. Sur le site, usagers ou professionnels peuvent consulter pour chaque année la répartition des médecins à diverses échelles : régions, départements, bassins de vie et intercommunalités. Ils peuvent aussi sélectionner différents critères : la spécialité, le mode d’exercice, l’origine des diplômes, le sexe, l’âge, l’activité régulière ou non.

Une analyse plus pertinente L’Ordre prône de s’appuyer sur les acteurs de terrain et leurs initiatives et voit donc dans cet outil la possibilité de proposer une analyse plus pertinente et précise de l’état du système de soins aujourd’hui. « Il faut regarder au plus près pour voir comment un territoire peut acquérir l’autonomie en termes d’accès aux soins », explique Patrick Bouet, président du Cnom. Une approche qui, selon lui, peut-être plus efficace que ce qui s’est toujours fait. « Ce n’est pas en normant, en forçant les professionnels à rentrer dans les cadres qu’on arrive à quelque chose. Ces trente dernières années, on a fait de l’organisation de la distribution des soins et non pas de l’accès aux soins ». Il en veut notamment pour preuve la redéfinition des zonages aujourd’hui et hier : « La façon dont les ARS redéfinissent les zones déficitaires ne correspond pas aux attentes des acteurs de terrain qui ne sont pas que des professionnels de santé. Elles sont immédiatement contestées et contestables. Il faut que tous les acteurs soient justement acteurs dans la production d’un référentiel ».

Dossier réalisé par Amandine Le Blanc