Nous avançons inéluctablement et de plus en plus rapidement vers le plus profond du creux démographique médical français, voulu et orchestré de main de maître par tous les dirigeants successifs depuis plus de trente ans. Rappelons que le constat de départ nous ayant amenés à ce fiasco sans précédent, est celui d’une volonté d’économies publiques : moins de médecins donne moins de prescriptions. Moins de prescriptions donne moins de dépenses. Donc moins de médecins donne, par un sophisme qui frise le ridicule, moins de dépenses. Bien entendu, les médecins de l’époque, mus qu’ils étaient par la peur de ne pas travailler assez, ont validé cette façon de prévoir notre avenir sanitaire.
Gouverner, c’est prévoir
Car gouverner, c’est prévoir. Il était « prévu » que les médecins généralistes disparaissent, ressource peu utile, car exerçant une médecine non noble. L’accent a donc naturellement été mis sur les soins de deuxième et de troisième lignes. Jusqu’au moment où les services hospitaliers, quels qu’ils soient, se sont retrouvés à bout de souffle, au gré du vieillissement de la population et de la fermeture de lits pour des raisons, là encore, économiques, « l’argent magique » n’existant pas.
Il était « prévu » que les médecins généralistes disparaissent, ressource peu utile, car exerçant une médecine non noble
Gouverner, c’est prévoir. Il a donc été prévu de miser davantage sur les soins ambulatoires, et la diminution de la durée moyenne de séjour d’un patient à l’hôpital, afin d’assurer un roulement plus rapide et libérer, quoiqu’artificiellement, des lits. Artificiellement, car pour anticiper un retour à domicile, il faut des professionnels de soins premiers en nombre suffisant pour assurer ce suivi. C’était donc reconnaître à demi-mot que les généralistes, les infirmières et infirmiers, les kinésithérapeutes… ont peut-être une utilité allant bien au-delà de la « bobologie ». Et, comme le dit souvent avec beaucoup d’humour le Pr Howard Bergman, éminent collègue de médecine de famille du Québec (directeur du département de médecine de famille, professeur de médecine de famille, de gériatrie et d’oncologie de l’Université McGill de Montréal), la population vieillit davantage, et les personnes âgées ont une mauvaise habitude : ils accumulent les pathologies chroniques. Nous voilà donc avec des besoins accrus mais non anticipés, axés sur les soins de premier recours, en partenariat direct et étroit avec les soins hospitaliers. Il a donc fallu changer rapidement de braquet.
Gouverner, c’est prévoir. L’accent a été mis sur la formation des médecins généralistes, pour que le nombre de ceux-ci s’installant en ville puisse enfin augmenter, ou du moins, ne pas trop diminuer, tant la pyramide des âges est défavorable. Sauf que, bien souvent, gouverner, c’est prévoir à échéance de la mandature, donc à court voire très court terme. En effet, il ne faudrait tout de même pas qu’une réforme soit efficace, porte ses fruits, quand une autre majorité serait en place. Et nous voilà donc soumis aux injonctions à l’installation et aux menaces de coercition en tous genres.
Avoir les moyens de soigner correctement nos patients
Pourtant, nous tenons encore bon, car nous tenons à la santé de nos patients. Mais nous tenons aussi à la nôtre, physique et mentale. Il n’est donc pas envisageable qu’un médecin travaillant déjà plus de 50 heures par semaine (là où le droit européen préconise que nous ne devrions pas avoir la possibilité de dépasser les 48 heures) puisse en faire davantage. Mais comme nos chers élus se retrouvent le bec dans l’eau à devoir assumer les conséquences des mesures qu’ils ont votées, ils tentent d’allumer des contrefeux. C’est ainsi qu’une récente commission d’enquête parlementaire s’est montrée très virulente envers les représentants des médecins, leur intimant qu’ils devaient travailler davantage car sinon, cela voudrait dire qu’ils n’aiment pas leurs patients. Tentative assez maladroite, pour ne pas dire malhonnête de détourner l’attention. Il est tellement facile de tirer à boulets rouges sur une ambulance conduite par ceux qui se dévouent déjà corps et âme à leur métier. Il est aisé de tenter de nous faire culpabiliser alors que nous le faisons déjà, sans l’aide des élus, quand nous sommes contraints de refuser d’inscrire de nouveaux patients à notre patientèle, car nos journées et nos plannings de consultation ne sont pas extensibles à l’infini et que nous souhaitons pouvoir soigner correctement nos patients.
Gouverner, c’est prévoir. Alors, Mesdames et Messieurs gouvernants de tous bords, prenez garde, car à jouer ce jeu dangereux, vous aboutirez uniquement à accélérer le départ de ceux qui tiennent pour l’instant encore debout, malgré vos décisions, malgré la pandémie, malgré les conditions de travail… Prévoyez que les patients risquent d’être de moins en moins satisfaits dans les mois et années à venir. Parce qu’ils commencent à prendre conscience de l’ampleur du problème et de la catastrophe à venir. Pour le moment, certains incriminent « ces fainéants médecins ». Mais bientôt viendra le jour où ils vous incrimineront, vous.
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