L'administration Trump a intensifié ses restrictions linguistiques au sein des agences fédérales, comme les Centers for Disease Control and Prevention (CDCs), l’Environmental Protection Agency (EPA). Le 1er février 2025, une directive a ordonné le retrait de termes dans les documents scientifiques, les sites web et les communications officielles. Cette mesure vise à aligner les agences avec une vision binaire du sexe, et lutter contre le “wokisme”. Sont ciblés les concepts de diversité, égalité, inclusion (DEI), et les termes dans le domaine du genre.
Des concepts comme “Evidence-based” avaient été ciblés lors du premier mandat de Trump ; nous étions dans la post-vérité, les fake-news. Rappelons-nous la disparition en 2018 de la National Guideline Clearinghouse, cette excellente ressource de recommandations de pratiques cliniques publiée par l’Agence américaine de la qualité des soins.
Une centaine de mots à éviter
Avec ce second mandat, tout va plus vite et plus loin. Une centaine de mots sont à éviter, par exemple : femme, climat, genre, transgenre, femme enceinte, LGBT, non-binaire, biologiquement homme ou femme, etc. La justification est qu’il faut s’en prendre aux ennemis intérieurs : les chercheurs et leurs objets d’études peuvent ruiner l’Amérique, au propre par leurs dépenses et au figuré par les thèmes de recherche décadents et dégradants. Le domaine de la santé est particulièrement ciblé avec le VIH, le climat, les inégalités, les minorités, la vaccination. Les chercheurs doivent suspendre des soumissions d’articles avec ces mots et éviter de cosigner des manuscrits avec des employés d’agences étrangères, en premier lieu l’OMS. Les agences et leurs employés doivent s’exécuter au risque de représailles diverses, principalement une réduction des ressources et des emplois.
Le Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR) a suspendu sa parution hebdomadaire le 23 janvier 2025 pour la première fois en soixante ans ! Incroyable pour ce bulletin épidémiologique mensuel des CDCs attendu par les épidémiologistes du monde. Les numéros sont revenus en respectant les directives. Pendant le Covid-19, le MMWR avait été soumis à de fortes pressions pour ne pas heurter le président. Cette publication a une grande notoriété, ayant été le premier à publier des informations sur des épidémies dont le Sida.
Des journaux ont reçu des injonctions administratives
Sur les sites de Environmental Health Perspectives et du Journal of Health and Pollution, il y a une mise en garde du 23 avril 2025 : « En raison de changements récents dans les ressources opérationnelles, les journaux suspendent actuellement l'acceptation de nouvelles soumissions de manuscrits ». Ces journaux sont d’accès gratuit pour les auteurs (pas de frais de publication) et pour les lecteurs grâce au support d’une agence américaine (National Institute of Environmental Health Sciences). Vont-ils disparaître ?
Des revues ont reçu des injonctions administratives, par exemple CHEST (facteur d’impact de 10). Une lettre du Department of justice lui demande de prouver que la revue n’est pas partisane dans les débats scientifiques. Le signataire explique qu’il a reçu des demandes d’information et de clarification sans préciser la source. Il y a cinq questions sur la protection du public contre la désinformation, sur les points de vue influencés par des lobbies, sur leur vision des NIH (National Institutes of Health).
Si certains journaux peuvent être le bras armé d’industries de produits de santé, ils sont parfois le bras armé de la politique. The Journal of the Academy of Public Health, apparu en 2025, semble répondre aux idéaux de l’administration Trump. Le rédacteur en chef, Martin Kulldorff, est un biostatisticien danois renommé. Il a travaillé quinze ans dans les meilleures universités américaines. Il a des positions anti-vaccins, et a conseillé un sénateur républicain. Le nouveau directeur des NIH est membre du comité de rédaction ainsi que des chercheurs internationaux connus. Ce journal, créé par l’Academy of Public Health en construction, a des ressources d’une fondation nouvellement créée. Il est en accès libre ; les auteurs payent 2 000 dollars à l’acceptation des manuscrits, les relecteurs d’articles sont dédommagés (500 dollars). Des réseaux sociaux, ainsi qu’une news du journal américain Science, soupçonnent The Journal of the Academy of Public Health de désinformation. Difficile de se faire une opinion si l’on n’a pas un esprit critique.
Moi-même, dans ce billet, je suis influencé par mes opinions : un débat avec des contradicteurs serait sain.
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