La désinformation n’a pas attendu l’an 2000 pour exister. Avant les théories du complot liées au coronavirus, il y a eu celles se rapportant au VIH. Avant le FFP2 dans la rue, la mode du masque à bec a fait fureur contre la peste. Mais de l’avènement des réseaux sociaux a résulté un nouveau phénomène : l’infodémie, cette surabondance d’informations exactes ou pas qui accompagnent désormais les épidémies. Les chiffres donnent le tournis : le volume de données numériques a tellement explosé que 99 % des données disponibles dans le monde ont été produites en seulement 15 ans… Et ne comptez pas sur l’intelligence artificielle (IA) pour freiner cette exponentielle !
Une jungle d’informations se déverse donc sur nos écrans de poche. Pas étonnant que le meilleur espéré par les créateurs de la Toile y côtoie le pire intentionnellement créé pour tromper notre cerveau…
L’intention, un paramètre clé dans la désinformation
Et justement, l’intention est clé. La désinformation est définie par l’intention de nuire de son initiateur. Intention de vendre, de faire cliquer et donc de faire du profit. Mais que dire d’une personne qui partage une mauvaise expérience de vaccination, épanchant sa colère en confondant parfois causalité et corrélation ? Ne s’agit-il pas ici d’émotion, plutôt que d’intention ? C’est ce qu’on appelle de la mésinformation, partagée de bonne foi. Elle représente en fait la majorité de l’information fausse qui circule. Elle est pavée de bonnes intentions. On la partage pour prévenir, pour alerter, pour informer (sic), ou juste par ennui, dans une salle d’attente.
Le « on » inclusif est ici assumé : nous, acteurs de santé, ne sommes pas immunisés contre l’infodémie. Certes, nous pouvons plus facilement éviter le biais de simplification et reconnaître une information douteuse. Mais nous ne sommes pas experts en tout et sur tout (ou alors, s’il vous plaît, envoyez-moi la recette). Nous savons que science et consensus, justement, prennent du temps. Des données identiques peuvent parfois se prêter à différentes interprétations, débattues de longues heures au sein de nos académies.
Nous, acteurs de santé, ne sommes pas immunisés contre l’infodémie
Un impact négatif sur l’adhésion thérapeutique
Il n’en reste pas moins que la mésinformation, démultipliée par les algorithmes réglés pour happer notre attention, peut jouer négativement sur la confiance et l’adhésion thérapeutique des patients.
Beaucoup d’efforts et d’argent ont été investis dans des tentatives de contrôle. Bannissement des désinformateurs, démystification, fact-checking, vulgarisation, législation. Si des bénéfices ponctuels sont documentés, des effets contreproductifs sont aussi observés. Les recherches en ligne pour évaluer les mésinformations peuvent accroître la perception de leur véracité (1). Les fermetures de comptes ou blocages de contenu sont assimilés à de la censure. La bonne foi des followers se transforme alors en colère et renforce l’adhésion aux idées complotistes partagées par leur communauté.
Être source de confiance
Pas de solution miracle à la désinformation, donc, mais un appel à une action multiforme de l’ensemble de la société (2, 3). Les acteurs de santé restent en 2023 les sources de confiance privilégiées des Français (4). Nous avons encore de nombreuses cartes à jouer pour ne pas voir cette confiance se détourner au profit de l’IA hyperempathique.
Arrêtons de corriger la désinformation frontalement, par exemple, mais concentrons-nous sur l’écoute des peurs, inquiétudes et vides d’informations qui la sous-tendent. Y répondre est une clé pour désancrer la mésinformation. Les techniques centrées sur l’humain, tel l’entretien motivationnel, sont plus que jamais à l’ordre du jour, sans oublier la médecine narrative. Passer maître en repérage de tactiques de désinformation peut aussi être très utile, et se révéler ludique pour tous, de 7 à 150 ans ! Je détaillerai tout cela dans un prochain billet.
Au final, technologie et infodémie vont nous forcer à nous recentrer sur ce qui nous définit le mieux : être humain.
Bio express
Catherine Bertrand-Ferrandis travaille en santé publique depuis plus de quinze ans. Vétérinaire équine de formation, elle dirige la communication de l’Organisation mondiale de la santé animale à partir de 2013. Elle se spécialise en communication des risques, gestion d’infodémie et formation des professionnels de santé. Indépendante depuis 2020, elle accompagne aujourd’hui les organisations comme l’OMS sur ces sujets, ainsi que divers leaders publics et privés sur leur communication stratégique. Elle est également membre du collectif Femmes de santé.
[1] Aslett K, Sanderson Z, Godel W. et al. Online searches to evaluate misinformation can increase its perceived veracity. Nature 625, 548–556 (2024).
[2] Briant E, In Fighting the “Disinformation” Problem, We Risk Losing the Battle for Our Minds to Big Tech, sur le site web Australian Institute of International Affairs
[3] Smith R, Chen K, Winner D, Friedhoff S, Wardle C. A Systematic Review Of COVID-19 Misinformation Interventions: Lessons Learned: Study examines COVID-19 misinformation interventions and lessons learned. Health Affairs. 2023 Dec 1;42(12):1738-46.
[4] https://www.fondationdescartes.org/2023/10/information-et-sante/
C’est vous qui le dites
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Éditorial
Ne pas sacrifier la recherche