Quatre-vingt ans après sa création, la Sécurité sociale, à bout de souffle, se prépare-t-elle à un vaste chambardement ? La date anniversaire, symbolique pour notre modèle social conçu en 1945 pour faire face aux « incertitudes du lendemain », pourrait en tout cas annoncer une réforme majeure du financement.
De fait, la Sécu subit un déficit structurel, qui va bien au-delà des effets de la pandémie de Covid-19 et de l’inflation. Le gouffre devrait se creuser à 22 milliards d’euros en 2025. Lundi dernier, la Cour des comptes a expliqué que la trajectoire financière était devenue « hors de contrôle », ce qui pourrait conduire, dès 2027, à une crise de liquidités. « La taille du marché des capitaux à court terme » auquel a recours l'agence de financement de la Sécu « pourrait ne pas être suffisante » pour absorber le montant des emprunts dont elle aura besoin, alerte la Cour. Le moment est donc particulièrement grave. C’est dans ce contexte extrêmement dégradé qu’Emmanuel Macron a annoncé, début mai, sa volonté d’ouvrir « un chantier » sur le financement de notre modèle social exsangue, enjoignant au gouvernement d’être à l’initiative d’une « conférence sociale » avec les partenaires sociaux.
Le retour de la TVA sociale ?
Le chef de l’État a tracé une première piste. Jugeant que « notre modèle social se finance trop par le travail » (cotisations salariales et patronales), il a suggéré la piste de la taxation de la consommation, donc de la TVA sociale. Il faut « aller chercher de l’argent » ailleurs, a-t-il assumé. Une proposition à laquelle le Medef est favorable de longue date mais qui, critiquée par tous ceux qui jugent ce prélèvement particulièrement injuste, s’apparente à un serpent de mer.
D’autres assiettes de recettes pourraient être mobilisées pour financer la Sécu – comme les compléments de salaires exonérés de charges (heures supplémentaires, aides directes, partage de la valeur) –, lesquelles représentent un manque à gagner de 18 milliards d’euros pour la Sécu en 2022, selon la Cour des comptes.
Chacun a été sommé de réfléchir à des propositions opérationnelles. Le DG de l’Assurance-maladie, Thomas Fatôme, a confié au Quotidien début avril que le prochain rapport annuel « charges et produits » (dépenses/recettes) de la Cnam, en juin, poserait « un diagnostic approfondi sur l’ampleur du déficit » mais aborderait aussi « tous les sujets, sans tabou : les recettes, la répartition AMO/AMC [régime obligatoire et complémentaires santé, NDLR], le ticket modérateur, l’organisation des soins, la prévention, les pathologies chroniques et y compris leur mode de couverture ». La Cnam devrait proposer au Parlement et au gouvernement des mesures avec une approche pluriannuelle, à l’horizon de cinq à dix ans.
« Donner des outils aux citoyens »
Dans les prochaines semaines, plusieurs événements placeront sous le feu des projecteurs la thématique du financement de notre modèle social. Président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), Dominique Libault, qui chapeaute les célébrations autour du 80e anniversaire de la Sécu en octobre prochain, entend « donner des outils à l’ensemble des citoyens » pour anticiper les défis à venir. Même si, selon lui, « la solution politique ne va pas se dégager automatiquement » concernant le financement de notre modèle. Mais sans attendre, le HCFiPS a travaillé de concert avec le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie et celui de la Famille sur des mesures « pour assurer l’équilibre » des comptes sociaux. Plusieurs pistes et scénarios vont être proposés à Matignon concernant la répartition entre AMO et complémentaires, la fiscalité comportementale, les ALD ou le recours éventuel à la TVA.
Au Sénat, les rapporteurs des différentes branches de la Sécu ont jusqu’à mi-juin pour faire leurs propositions
La Mutualité française (FNMF), qui réunira son 44e congrès à Agen du 18 au 20 juin, a prévu elle aussi de questionner la « soutenabilité du système de santé et de protection sociale » pour rendre notre modèle « plus juste et durable ». Au programme, la responsabilisation des assurés (jusqu’où ?), la pertinence de « changements radicaux », la place du mouvement mutualiste, le financement de la prévention ou encore la lutte contre la fraude sociale.
Dans sa note de synthèse pour économiser 20 milliards à l’horizon 2029, la Cour des comptes propose de plafonner le reste à charge en proportion des revenus. Une idée qui fait écho au « bouclier sanitaire » de Martin Hirsch, Haut-Commissaire aux solidarités actives dans les années 2000, réforme jamais concrétisée.
Positionnements politiques
En attendant les discussions budgétaires de l’automne, les parlementaires avancent leurs pions. Le député Hendrik Davi (Écologistes) vient de réunir les forces du Nouveau Front populaire (NFP) à l’occasion d’un colloque sur l’avenir de la protection sociale. Jérôme Guedj (PS, Essonne) a ressuscité l’idée d’une « grande Sécu » – un régime obligatoire à 100 % couvrant tous les soins essentiels – et d’une CSG progressive pour accroître les ressources.
Au Sénat, les rapporteurs des différentes branches de la Sécu ont jusqu’à mi-juin pour faire leurs propositions. En charge de la branche maladie, Corinne Imbert (apparentée LR) rapporte que le travail sur la pertinence des soins sera au cœur des réflexions. Concernant le volet recettes, « le principe de base est de ne pas augmenter les impôts, ce qui conduit à faire des économies ». Du côté du bloc central, le député de l’Aveyron Jean-François Rousset mesure l’ampleur de la tâche. « Nous arrivons au bout des rustines, admet-il. Le système craque de partout et il y a une réforme de fond à construire. »
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