LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir créé une association spécifique pour les jeunes aidants ?
FRANÇOISE ELLIEN : Je dirige l’association SPES qui porte, depuis 2001, une équipe mobile de soins palliatifs territoriale dans le Sud Essonne. Lors d’interventions à domicile, je rencontrais souvent des enfants qui apportaient une aide quantitative et qualitative à leur parent malade, avec un investissement identique à celui des adultes.
Après avoir réalisé une revue de littérature scientifique en 2010, j’ai réalisé que rien n’existait en France contrairement au Royaume-Uni, par exemple, où le Pr Howard Saul Becker développait des travaux depuis quinze ans. Avec la réalisatrice Isabelle Brocard, que j’avais accompagnée pour le film « Ma compagne de nuit », nous avons décidé de créer en 2014 des ateliers cinéma-répit, portés par SPES pour permettre aux enfants aidants de souffler et aussi d’exprimer leurs besoins et leurs sentiments par le biais d’un média artistique.
Puis en 2016, j’ai créé l’association nationale Jeunes AiDants Ensemble, JADE avec des parents, des acteurs du cinéma et des professionnels de santé. JADE propose aujourd’hui 20 ateliers d’expression artistique répit, notre ambition étant de couvrir l’intégralité du territoire. Point important à souligner, j’ai immédiatement souhaité un partenariat avec le Laboratoire de psychopathologie et de processus de santé (LPPS) de l’Université Paris Cité qui a réalisé l’évaluation de nos ateliers. Aurélie Untas, professeure des universités, et Géraldine Dorard, maître de conférences, ont encouragé différents travaux sur le sujet et quatre doctorats traitent désormais des jeunes aidants. Nous rattrapons notre retard (1).
Il est urgent de développer la prévention et de former le plus grand nombre de professionnels au repérage précoce des jeunes aidants
Comment décririez-vous la santé des jeunes aidants ?
Ils présentent davantage de syndromes anxio-dépressifs que les jeunes de la même classe d’âge. Ils ont aussi plus de troubles du sommeil et de troubles musculo-squelettiques liés à la manipulation des corps. La nutrition est aussi un sujet préoccupant car ils se nourrissent souvent mal. Et certains présentent parfois des troubles du comportement. Un autre risque majeur est celui du décrochage scolaire ou de l’absentéisme perlé.
Il est donc urgent de développer la prévention et de former le plus grand nombre de professionnels au repérage précoce des jeunes aidants dont le nombre est estimé à un million. N’oublions pas que plus de 12,3 % de collégiens, 14,3 % de lycéens et plus de 15,9 % d’étudiants sont aidants. Avec le LPPS de Paris Cité, nous avons mis en place un outil baptisé Toolkit pour identifier leurs besoins. Grâce à l’appui de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), nous avons par exemple développé des sessions de sensibilisation auprès des médecins scolaires, des psychologues, des infirmières et des assistantes sociales de l’Éducation nationale.
Nous allons prochainement former les personnels des centres de lutte contre le cancer et nous proposons aussi des webinaires aux professionnels de santé. Je suis également secrétaire générale de la Société française et francophone de psycho-oncologie (SFFPO) et un collègue m’a confié récemment qu’il ne se posait pas particulièrement de questions lorsqu’il voyait un enfant de 12 ans accompagner sa mère malade alors qu’il aurait dû être au collège. Grâce à Toolkit, différents indicateurs amèneront les médecins à se poser des questions sur ces jeunes aidants.
Le vécu des étudiants aidants est également à interroger. Par exemple, plus de la moitié sont salariés à temps partiel pour payer leurs études et subvenir aux besoins d’une famille souvent paupérisée par la maladie ou le handicap. Nous avons donc créé le site LinkAidants, plateforme d’information interactive afin là aussi de recueillir leurs besoins et leurs témoignages.
Quel regard portez-vous sur la stratégie gouvernementale Agir pour les aidants 2023-2027 ?
Dès la création de JADE, nos actions ont été rapidement repérées par Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la DGCS, nous nous sommes réjoui que l’axe 6 du premier plan Agir pour les aidants (2), présenté en 2019, s’inspire de nos travaux. Aujourd’hui, les étudiants aidants peuvent bénéficier de quatre points supplémentaires pour l’octroi de bourses ou encore d’aménagements dans le suivi de leurs études même si, malheureusement, toutes les universités ne se sont pas emparées du sujet. Pour en revenir à la stratégie 2023-2027, elle est clairement insuffisante. Son contenu se limite d’ailleurs à un dossier de presse. Nous sommes extrêmement déçus.
(1) Pour en savoir plus sur le projet « Recherches sur les Jeunes AIDants » : jaid.u-paris.fr
(2) À retenir : la sensibilisation des personnels de l’Éducation nationale, l’aménagement des rythmes d’étude et un accent particulier mis sur la santé des jeunes aidants.
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