Seize sociétés savantes* - dont le CNGE - ont dénoncé dimanche 28 mai dans une tribune publiée dans Le Monde une étude cosignée par l'infectiologue marseillais, le Pr Didier Raoult. Celle-ci portait sur plus de 30 000 patients soignés à l'IHU (Institut hospitalo-universitaire) Méditerranée Infection pendant deux ans.
Cette étude, qui n’est pas encore publiée dans une revue scientifique ni relue par des pairs, mais simplement mise en ligne en avril, conclut que l'administration d'hydroxychloroquine aux patients atteints de Covid-19 a réduit leur mortalité.
Absence de preuve d’efficacité
Selon les médecins signataires de la tribune, dont le Pr Mathieu Molimard de la Société française de pharmacologie, cette prescription s'est fait « en l'absence de toute preuve d'efficacité » et, plus grave, s'est poursuivie « pendant plus d'un an après la démonstration formelle de (son) inefficacité ».
Les médecins signataires de la tribune appellent les autorités à prendre « les mesures adaptées aux fautes commises », au nom de la « sécurité des patients » et de la « crédibilité de la recherche médicale française ».
Une qualification RIPH ?
Pour l'Agence nationale de la sécurité du médicament, « au vu de premières analyses », l'étude sur l'hydroxychloroquine « pourrait être qualifiée de RIPH (recherche impliquant la personne, ndlr) de catégorie 1 » et aurait donc « dû bénéficier d'un avis favorable d'un comité de protection des personnes et d'une autorisation de l'ANSM ».
Ainsi, « l'ANSM poursuit ses analyses et saisira, le cas échéant, de nouveau la justice si ces dernières mettent en évidence des manquements à la réglementation des essais cliniques », précise l'agence sanitaire. Après un rapport cinglant et confirmant largement des révélations de L'Express et Mediapart, l'Agence du médicament avait déjà saisi la justice contre l'IHU au printemps 2022.
Et, en septembre, après un autre rapport accablant (Igas/IGESR) sur les dérives médicales, scientifiques et managériales de l'IHU pendant l'ère Raoult, François Braun (Santé) et Sylvie Retailleau (Recherche) avaient aussi annoncé des poursuites et la convocation des dirigeants.
Les ministères concernés mobilisés
Le cabinet du ministre de la Santé a rappelé cette saisine du parquet de Marseille « sur les pratiques inacceptables de l'IHU ». Depuis la convocation des fondateurs de l'IHU en octobre, « les prescriptions inappropriées et dangereuses ont cessé », a-t-on souligné à Ségur. Mais vu « la gravité de ces nouveaux éléments, les deux ministères seront amenés à réentendre les établissements fondateurs et la direction de l'IHU-MI rapidement ». Le parquet de Marseille a ouvert en juillet 2022 une information judiciaire, après la saisine de l'ANSM. À ce stade, il n'y a pas eu de mise en examen, a indiqué le parquet fin mai.
À l’issue du Conseil des ministres mardi 30 mai, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, ex-ministre de la Santé, a répondu sur la suite du feuilleton Raoult : « une certitude, c'est que l'hydroxychloroquine n'a jamais marché contre le coronavirus ».
Une « tribune d’imbéciles » pour Raoult
Retraité depuis l'été 2021 de son poste de professeur d'université-praticien hospitalier, Didier Raoult a été remplacé un an plus tard à la tête de l'IHU par Pierre-Edouard Fournier. Désormais professeur émérite, il vient à l'IHU « de temps en temps », selon un porte-parole de l'institution. Au sein de l'IHU, tous les essais cliniques impliquant la personne humaine ont été suspendus depuis septembre.
« Il n'y a jamais eu d'essai thérapeutique », c'est « juste une étude observationnelle », a clamé Didier Raoult mardi 30 mai sur BFMTV, deux jours après avoir dénoncé « une tribune d'imbéciles ». Interrogé sur l'administration de ce protocole à des patients Covid pendant plusieurs mois après des avis défavorables des autorités sanitaires sur l'usage de l'hydroxychloroquine, Didier Raoult a répliqué : « J'avais parfaitement le droit, moi, mais aussi les autres, de prescrire de l'hydroxychloroquine », médicament utilisé dans le traitement du paludisme notamment.
Ce mercredi 31 mai, une perquisition a eu lieu à l'IHU-MI. Celle-ci, révélée par le JDD, est menée par les gendarmes de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp). Toutefois, elle « n’englobe pas les faits relatifs à la prise en charge thérapeutique de la tuberculose et du Covid », a précisé le parquet de Marseille.
*Signataires au nom d’organisations impliquées dans la recherche médicale : professeur Mathieu Molimard, Société française de pharmacologie et de thérapeutique ; docteure Virginie Rage, Conférence nationale des comités de protection des personnes ; professeur Olivier Saint-Lary, Collège national des généralistes enseignants ; docteur Bernard Castan, Société de pathologie infectieuse de langue française ; professeur Christophe Leclercq, Société française de cardiologie ; professeur Jésus Gonzalez, Société de pneumologie de langue française ; professeur Pierre Albaladejo, Société française d’anesthésie et de réanimation ; professeur Laurent Papazian, Société de réanimation de langue française ; professeure Nathalie Salles, Société française de gériatrie et gérontologie ; professeur Luc Mouthon, Société nationale française de médecine interne ; professeur Luc Frimat, Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation ; professeur David Laharie, Société nationale française de gastro-entérologie ; professeure Isabelle Bonan, Société de médecine physique et réadaptation ; professeur Manuel Rodrigues, Société française du cancer ; professeur Dominique Deplanque, Réseau français des centres d’investigation clinique ; professeur Olivier Rascol, Plate-forme française de réseaux de recherche clinique (F-CRIN).
Signataires en leur nom propre : professeur Alain Fischer, président de l’Académie des sciences ; Dominique Costagliola, membre de l’Académie des sciences.
(Avec AFP)
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