La financiarisation de la biologie préoccupe ordres et sénateurs

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Publié le 05/04/2024
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Auditionnés par la commission des Affaires sociales du Sénat, des représentants de l’Ordre des médecins et celui des pharmaciens se sont interrogés sur l’avenir de la biologie médicale, en proie à la financiarisation et à l’irruption de l’IA.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

La financiarisation croissante de la santé intéresse le Sénat, qui y consacre une mission d’information. Le 3 avril, les parlementaires ont auditionné l’Ordre des médecins et des pharmaciens sur la situation particulière de la biologie, une des spécialités la plus impactées par le processus de financiarisation/capitalisation. Le président de la commission des Affaires sociales, Philippe Mouiller (LR), a rappelé que six grands groupes contrôlent désormais plus de 60 % de l’offre de biologie médicale. Et les Ordres sont chargés de la déontologie « ce qui inclue le contrôle de l’indépendance des professionnels ».

Sur ce point, le Dr Jean Canarelli, président de la commission nationale de biologie médicale, a rappelé la position de l’Ordre des médecins, à la fois en faveur de « la suppression de la possibilité d’avoir des participations dans une société d’exercice libéral pour des tiers non professionnels » et en faveur de « l’interdiction pour une personne physique ou morale n’exerçant pas dans la société d’exercice libéral d’en détenir directement ou indirectement plus de la moitié du capital social ». Le Dr Canarelli presse les parlementaires de donner à l’Ordre les moyens de lutter plus efficacement contre la financiarisation, déclarant « attendre désespérément des évolutions législatives ».

La santé publique comme boussole

Car face aux impératifs de rentabilité, l’enjeu pour la spécialité est bien sûr de conserver son indépendance médicale, qu’il s’agisse de l’outil de travail, de l’exercice, des pratiques et du personnel. Le Dr Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d’usagers (du Cnom également), a illustré cette problématique de financiarisation des spécialités avec sa situation personnelle – en radiologie cette fois. Son groupe est concerné, un autre groupe dans sa ville également – il ne fait plus de biopsie mammaire ni d’échographie thyroïdiennes.

Au-delà, les opérateurs financiers incitent, parfois de manière « insidieuse », à ouvrir le week-end ou à privilégier certains examens. « Vous vous retrouvez placés dans des situations où, de façon indirecte et dangereuse, vous allez modifier votre pratique, même si les lois sont respectées », confie le radiologue, au sujet de cette spécialité où les regroupements et les rachats se sont multipliés.

La présidente de l’Ordre national des pharmaciens, Carine Wolf-Thal, a elle aussi souligné l’urgence de sauvegarder cette indépendance « au bénéfice du patient » et pour « garantir le choix de la santé publique ».

Désaffection des étudiants

La financiarisation du secteur de la biologie a d’autres effets pervers. Le Dr Canarelli pointe du doigt la désaffection des étudiants et les postes non pourvus. « De fait, le métier a énormément évolué, mais pas dans le sens de la médicalisation que voulait Roselyne Bachelot », a-t-il résumé devant les sénateurs. Un médecin biologiste, avec dix ans d’études, passe parfois des journées entières à gérer des prises de sang, sans que son expertise et sa polyvalence ne soit valorisée. Les internes, également auditionnés plus tôt, ont confirmé que « la biologie est moins choisie » qu’avant. Le sénateur socialiste Bernard Jomier ajoute que les étudiants sont aujourd’hui mal formés à la gestion et à l’entrepreneuriat…

Président de la section biologie de l’Ordre des pharmaciens, Philippe Piet confirme que « la financiarisation mène à l’industrialisation et donc à la non-médicalisation du métier ». Une évolution source de défiance pour les internes qui ont placé ce choix de spécialité en 40e position en 2023.

L’IA, autre risque ou opportunité ?

Interrogés enfin par le sénateur médecin Alain Milon (LR) sur leur vision du développement de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur de la biologie, les représentants des Ordres n’ont pas semblé craindre outre mesure cette révolution – Philippe Piet évoquant même l’intérêt de l’outil. « Et le jour où la biologie ne servira plus à rien, je ne réclamerai pas qu’elle se maintienne » a-t-il ironisé, confiant sur le rôle des professionnels. De son côté, Carine Wolf-Thal y voit un possible gain de temps, à condition que l’IA soit « au service de l’humain et pas l’inverse ». Le Dr Canarelli philosophe : « Si demain l’IA fait mieux que les biologistes, pourquoi les garder ? Si elle nous fait disparaître, nous ferons autre chose ! »


Source : lequotidiendumedecin.fr