« Forti saremu se saremu uniti ». C’est l’une des devises corses, attribuée au général et philosophe du XVIIIe siècle Pasquale Paoli, signifiant : « Nous ne serons forts que si nous sommes unis ». Une phrase faisant écho aujourd’hui, tant médecins libéraux et parlementaires travaillent main dans la main sur le dossier de l’accès aux soins, pour faire valoir une « spécificité corse ».
Sur les 600 praticiens libéraux que compte l’île, la moitié s’est engagée – via le Collectif pour une médecine libre et indépendante (Comeli), Médecins libéraux Corsica ou Médecins pour demain – à changer la donne. Installé à Furiani comme médecin du sport (Haute-Corse), le Dr Cyrille Brunel est hyperactif dans ces trois entités.
La PPL Valletoux comme catalyseur de la colère
Le Lyonnais, ayant exercé en Picardie avant de s’installer en Corse, raconte au Quotidien qu’à son cabinet, ses patients sont très… âgés. « Mes "sportifs" ont parfois plus de 80 ans. En l’absence de rhumatologue, je remplis ce rôle, avec des délais de rendez-vous de trois mois ! » Chez le cardiologue ou le pneumologue, les délais sont d’au moins neuf mois. Les patients âgés se déplacent en véhicule sanitaire léger, pour des coûts allant de 200 à 400 euros, quand un proche ne peut pas les conduire.
C’est la proposition de loi Valletoux sur l'accès aux soins qui a provoqué l'ire des médecins de l’île, raconte le Dr Brunel. « Nous avons organisé une réunion d’information sur cette PPL, qui est devenue un catalyseur de notre colère ». Dans la foulée, un courrier a été envoyé en juillet à l’ARS et à la CPAM pour proposer une rencontre en septembre. La première a répondu négativement, la seconde a permis aux libéraux d’être reçus à la Cnam pour une audition, avec le directeur de l’offre des soins et un médecin référent.
Pas de spécificité corse pour la Cnam !
Lors de ce rendez-vous, les libéraux corses ont demandé des solutions locales, argumentant qu’il existe « des tolérances non dites dans certaines CPAM sur les dépassements pour exigence ou le cumul des actes ». Que nenni pour la Cnam : « Il n’y a pas de tolérances et il n’y aura pas de spécificité corse », rapporte le Dr Brunel. Toutefois, une heure après avoir quitté la réunion, les libéraux reçoivent un appel de la Cnam, indiquant que la problématique des « zones montagnes » sera inscrite au menu des négos.
Les libéraux corses ont ensuite rédigé une série de propositions, avec l’appui de la CPAM de Bastia, pour mettre en place des « mesures dérogatoires spécifiques à la zone montagne pour garantir l’accès et la qualité des soins ». Mais, précisent-ils, « ces propositions ont vocation à pouvoir être étendues au niveau national et présentent des possibilités d'expérimentation conventionnelle ».
Cumuler deux actes techniques, revaloriser la MD et la VL
Ces propositions concernent notamment l’ouverture à d’autres critères de la cotation déjà existante pour les consultations « complexes » et « très complexes » ; la visite longue sans restriction trimestrielle, quel que soit l’âge, pour des caractéristiques ciblées ; un système de cotation des indemnités kilométriques propre au territoire ; une revalorisation de la majoration déplacement à hauteur de 20 euros (contre 10 aujourd’hui) ; la possibilité de cumuler à taux plein un acte clinique avec un acte technique pour deux actes au maximum ou deux actes techniques ; et enfin la possibilité de réaliser des téléconsultations par téléphone pour les personnes âgées.
Les libéraux corses argumentent que toutes ces mesures feraient des économies. Problème : si leurs préconisations étaient amenées à être entérinées, elles concerneraient aussi d’autres territoires, tels que le Jura ou les Landes, qui eux aussi, ont des « zones montagnes »… Ce qui creuserait plus encore les inégalités. D’où le pessimisme du Dr Brunel : « Nous savons qui nous avons en face de nous : une organisation très administrative, avec une multitude de couches et de strates faisant office de ralentisseurs… »
Les parlementaires en soutien
Mais des accélérateurs soutiennent ces initiatives. Et non des moindres. Les six parlementaires corses ont adressé le 18 novembre un courrier au ministre de la Santé au sujet de « l’intégration des spécificités de l’exercice de la médecine libérale en zone montagne, et plus particulièrement en Corse, dans le cadre de la Convention médicale ».
Le député et généraliste Paul-André Colombani (Liot), installé à Sainte-Lucie-de-Porto-Vecchio (Corse-du-Sud) est mobilisé sur le sujet. « Nous défendons des mesures spécifiques, comme le cumul des actes, notamment pour les radiologues ou la revalorisation des visites longues », indique-t-il.
Les syndicats aussi
Si le sujet n’a pas encore été abordé lors des premières réunions, l’UFML-S comme MG France et la CSMF soutiennent ces propositions. Contactée par Le Quotidien, la Cnam a affirmé être « soucieuse de la prise en compte de toutes les dimensions territoriales, en particulier la Corse et son caractère "d’île montagne" ».
La Caisse a aussi confirmé avoir « reçu ce collectif de médecins libéraux corses à leur demande avant le lancement des négociations » et dont les revendications lui « ont été transmises par un syndicat représentatif » (la CSMF). Dès lors, poursuit-elle, « elles seront intégrées [aux] travaux et aux discussions. Les négociations venant de démarrer, il est cependant trop tôt pour indiquer de quelle manière elles le seront ».
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