PLFSS 2025 : le Sénat veut conditionner la rémunération des médecins à leur utilisation du DMP

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Publié le 26/11/2024
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Lors de l’examen du budget Sécu (PLFSS) pour 2025, les sénateurs ont entériné une possibilité de modulation de la rémunération des médecins à la baisse en cas de non-consultation et renseignement du dossier médical partagé (DMP) des patients. À ce stade, rien n’indique que la mesure sera conservée dans le texte finalisé.

Crédit photo : NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Le diable se cache dans les détails… du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025). Un sous-amendement, adopté le 22 novembre par les sénateurs, entérine la possibilité d’une modulation de la rémunération à la hausse mais aussi à la baisse en cas de consultation et de renseignement du dossier médical partagé (DMP).

« La convention médicale pourrait déterminer une modulation de rémunération uniquement à la hausse en cas de consultation et du renseignement du dossier médical partagé et non à la baisse en cas de non-consultation et d'absence de renseignement du DMP. Ce sous-amendement, s'il était adopté, viendrait utilement préciser dans le dispositif l'intention du législateur, imposant alors à la convention médicale de prévoir les deux situations », lit-on dans la mesure défendue par le sénateur centriste Jean-Marie Vanlerenberghe et soutenue par la commission des affaires sociales.

Au nom du gouvernement, la ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq s’en est prudemment remise « à la sagesse du Sénat », semblant toutefois apprécier que le sous-amendement laisse « le soin au champ conventionnel de déterminer l'ampleur de cette modulation [de la rémunération des médecins] , ce qui est, bien sûr, indispensable ».

Cette disposition est un ajout à un l’amendement de la rapporteure de la branche maladie du projet de loi, Corinne Imbert (app. LR). Celui-ci vise à favoriser l’utilisation du DMP en ville et à l’hôpital. Mais selon le sénateur Bernard Jomier (app. socialiste), il s’agit surtout d’une idée qui « démontre une méconnaissance du DMP et de son fonctionnement. Il est irraisonnable d’imposer des obligations, certes fondées au regard de la pertinence des soins, sur un outil qui n’est pas opérationnel » . Le généraliste parisien relativise la portée de cet amendement d’appel, qui « n’est pas prêt » dans ses modalités d’application.

Corinne Imbert est sur la même longueur d’ondes. « L’idée reste d’inciter de manière positive. Une modulation, par définition, peut être à la hausse et à la baisse. Mais j’espère évidemment qu’elle sera à la hausse ! Je ne cherche pas à baisser la rémunération des médecins. » Cela étant dit, la sénatrice de la Charente-Maritime précise que devant le trou de la Sécu, « on ne peut pas rester les bras croisés, il faut une prise de conscience collective sur l’ampleur du déficit », défendant des économies réalisées sur la pertinence des soins qui permettent, en contrepartie, de financer les conventions avec l’Assurance-maladie.

Le SML remonté contre les sénateurs

Sans surprise, les médecins libéraux n’ont pas tardé à lever les boucliers. Le SML a d’ores et déjà réagi dans un communiqué le 25 novembre, intitulé « Le Sénat a tranché : c’est haro sur les médecins libéraux ». Le syndicat s’étrangle de voir que « la consultation de l’innommable fourre-tout que constitue le DMP » conditionne la rémunération des médecins, que les parlementaires « prennent pour des baudets ». « On se moque de nous ! Cette mesure est floue et peut ouvrir à tout. C’est encore le secteur 1 qui va trinquer, à l’instar des retraités actifs et des jeunes, qui ne voudront pas s’installer dans ces conditions. C’est une catastrophe pour l’accès aux soins », raconte, agacée, la présidente du SML, la Dr Sophie Bauer. La chirurgienne précise qu’elle envisage une large campagne d’affichage destinée aux patients dans les cabinets pour les informer de la politique de l’exécutif.

Valoriser mais ne pas pénaliser

Dans la newsletter de la CSMF, son président, le Dr Franck Devulder, a indiqué soutenir le DMP, mais il reproche toutefois à l’outil son manque d’ergonomie, qui entrave les médecins dans sa prise en main. « Aujourd'hui, si l'alimentation du DMP fonctionne bien, sa consultation reste beaucoup trop complexe », insiste le médecin. Selon lui, « il est grand temps de mettre un coup d'accélérateur et de passer la seconde ! Sans cela, les pouvoirs publics ne pourront pas se plaindre de voir des projets venir concurrencer le DMP ».

Joint par Le Quotidien, le président de la branche Généralistes du syndicat, le Dr Duquesnel, a abondé en appelant à « valoriser le travail administratif des médecins, plus ou moins complexe en fonction des logiciels métiers. Mais si le gouvernement choisissait d’aller vers des pénalités, ça ne marchera jamais, personne ne l’utilisera ».

Du côté du Dr Jérôme Marty, le président de l’UFML-S, le constat est clair : « Depuis 20 ans, le DMP est un échec. On en parlait déjà avec Douste-Blazy ! » Mais il s’agit également, selon lui, d’une « proposition faite dans une situation politique où on ne sait pas ce qui sera dans le budget Sécu demain ». Le généraliste de Fronton (Haute-Garonne) attend donc de voir l’atterrissage final du texte avant de rouspéter.

Le PLFSS adopté par le Sénat… avant la CMP

Mardi 26 novembre, les sénateurs, dans un hémicycle à majorité de droite, ont, sans surprise, adopté avec 202 voix pour et 109 contre, le PLFSS pour 2025. Les sénateurs macronistes se sont largement abstenus. De mauvaise augure avant la prochaine étape de la navette parlementaire ?

Une commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et autant de sénateurs, est prévue le lendemain. Sa composition a été publiée. Chez les députés, on retrouve : le président de la commission des affaires sociales, Frédéric Valletoux (Horizons), le rapporteur général du PLFSS, Yannick Neuder (LR), Stéphanie Rist (Ensemble), Jérôme Guedj (PS), Élise Leboucher (LFI), Joëlle Mélin et Christophe Bentz (RN). Côtés sénateurs : le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller (LR), la rapporteure générale Élisabeth Doineau (UDI), la rapporteure de la branche maladie, Corinne Imbert (app. LR), la rapporteure de la branche travail, Pascale Gruny (LR), Annie Le Huerou (Socialiste), Bernard Jomier (app. Socialiste), Solanges Nadille (Démocrate)

Si un accord est trouvé, le gouvernement soumettra le texte au vote de l’Assemblée nationale et du Sénat pour une adoption définitive. Ce qui est loin d’être acquis. Si cette CMP n’était en revanche pas conclusive, une nouvelle lecture serait à l’ordre du jour sur la base du texte voté des sénateurs (avec possibilité donnée au gouvernement d’amender le texte transmis en deuxième lecture aux députés). En l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, le premier ministre Michel Barnier a toutes les chances de dégainer son premier 49.3. Et d’entraîner dans la foulée une motion de censure. Dans un cas comme dans l’autre, le texte budgétaire devra être promulgué avant le 31 décembre.


Source : lequotidiendumedecin.fr