« Quand on a rendez-vous chez le médecin et qu’on ne vient pas sans prévenir, on paye. » Ce principe, édicté par Gabriel Attal le 30 janvier lors de son discours de politique générale, est ferme, clair et concis. Car le sujet dérange l’exécutif : tandis que nombre de Français éprouvent des difficultés insurmontables à obtenir des rendez-vous médicaux, attendant parfois des mois, des milliers de patients indélicats n’honorent pas les leurs.
Selon une étude publiée en janvier 2023 par l’Ordre et l’Académie de médecine, 6 à 10 % des patients ne se présentent pas à leurs rendez-vous médicaux. Soit près de 27 millions de consultations perdues chaque année. Côté médecins, toutes disciplines confondues, la perte de temps de consultation représenterait deux heures hebdomadaires en moyenne.
La droite favorable à cette mesure
Les parlementaires se sont déjà saisis du sujet : le Sénat, à majorité de droite et du centre, avait voté un amendement en ce sens lors du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024… Avant que le gouvernement ne le supprime de la version finale. Celui-ci prévoyait qu’une somme forfaitaire, définie par décret, serait à la charge de l’assuré social concerné, au bénéfice de l’Assurance-maladie. Trois options de paiement étaient envisagées : un règlement direct, un prélèvement bancaire avec autorisation préalable ou une récupération de la somme, déportée sur les prestations à venir.
Pour le sénateur écologiste et médecin généraliste Bernard Jomier, qui s’était déjà opposé à l’automne à l’amendement, « c’est une mesure surréaliste, secondaire et sans grand intérêt : une usine à gaz qui vise à faire croire que l’on fait quelque chose ». De son côté, le député des Républicains (LR) Yannick Neuder se félicite de ce « changement de cap » du gouvernement, qui « enfin, écoute nos propositions ». De fait, cette mesure était présente dans sa proposition de loi sur l’accès aux soins déposée en octobre dernier.
Ce n’est pourtant pas la première fois que Gabriel Attal annonce une possible pénalisation des patients poseurs de lapins. En avril 2023, alors ministre des Comptes publics, il avait été plus précis, détaillant à nos confrères de Ouest-France le dispositif. « Si vous ne vous présentez pas, le remboursement du rendez-vous suivant serait minoré d’une certaine somme qui pourrait être de dix euros. Cinq euros iront au professionnel de santé et cinq euros à l’Assurance maladie ». À la même période, le Président lui-même avait évoqué dans un entretien au Parisien qu’il fallait « un peu sanctionner » les patients qui posent des lapins. Mais comment en pratique ? Mystère.
Traduction compliquée
Même si elle est plébiscitée par le chef de l’État, le gouvernement et le Sénat, cette taxation est toutefois compliquée à mettre en place, comme l’explique au Quotidien le président de France Assos Santé. « Faire payer les patients pour un rendez-vous non honoré est contraire au Code de la santé publique. J’attends donc qu’on nous explique comment ils comptent changer la loi », recadre Gérard Raymond. Une complexité soulevée aussi par l’ancien responsable santé du Parti socialiste (PS) Claude Pigement, redoutant que « cette idée qui traîne depuis longtemps, sur le principe préoccupante », ne soit « que de l’affichage ». Le Dr Jomier rapporte, lui aussi, « une mise en application beaucoup trop complexe, avec énormément de questions à régler, comme celle des patients psy ».
Le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, qui porte cette mesure depuis 2018, s’est heurté, avec ses avocats, à la difficulté d’agir. « Il faut prouver que le rendez-vous n’a pas été honoré et que le patient n’a pas prévenu le médecin… » Et comme le praticien ne peut facturer un acte non réalisé, il faudrait changer le Code de la santé publique pour créer un acte « lapin » dans la nomenclature, signalé ensuite à l’Assurance-maladie. Ce qui renvoie aux négociations conventionnelles… dont le sujet n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour.
Si MG France reste contre toute mesure visant à pénaliser les patients, le SML se réjouit de cette annonce, à condition « que les médecins en soient les bénéficiaires ». De son côté, la CSMF juge que si « les lapins sont devenus un véritable problème », ce n’est qu’« en dernier recours » qu’il « faudra financièrement responsabiliser les usagers irrespectueux ». Reste la question du « comment » en suspens…
Question de civisme
« Il n’y a aucune explication sur la manière de mettre en œuvre cette mesure. Nous attendons des politiques plus de professionnalisme, regrette le Dr Marty. Mais il faut être ferme : tous les Français sont confrontés à des difficultés d’accès aux soins. Si tu prends un rendez-vous chez le médecin, quoi qu’il arrive, si tu ne peux pas y aller, tu dois prévenir. C’est une question de civisme », clame-t-il, reprenant le ton de Gabriel Attal.
Quant aux profils des patients « poseurs de lapins », il s’agirait plutôt, d’après le bilan de Doctolib, cité par Gérard Raymond, « de jeunes, qui utilisent la santé comme un bien de consommation. » Le président de France Assos Santé tient toutefois à relativiser l’ampleur du fléau. « Cette problématique existe mais les chiffres présentés ne sont pas ceux que nous avons obtenus. Il n’y aurait que 2 à 4 % de rendez-vous non honorés et dans une plus large proportion chez les généralistes que les spécialistes. »
L’une des solutions, pour le Dr Jomier, se situe plutôt dans « la maîtrise propre de son emploi du temps et de son secrétariat téléphonique ». Une piste serait aussi de ne pas autoriser un nouveau patient à prendre un rendez-vous en ligne pour la première fois. En tout état de cause, la mise en place d’une éventuelle taxe lapins nécessiterait un travail technique et un cahier des charges strict avec les plateformes de rendez-vous médicaux en ligne.
En Belgique, les patients qui n’honorent pas leur rendez-vous, sans prévenir, écopent d’une amende de 15 euros, envoyée sous forme de facture au domicile. Une possibilité de plus pour Gabriel Attal… et du grain à moudre pour Bercy et Ségur.
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