L’ambiance était lourde, ce mercredi matin, salle Médicis, au Palais du Luxembourg. La commission des Affaires sociales du Sénat auditionnait les principaux représentants des offices statistiques chargés de calculer et d’anticiper la démographie médicale : direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (Hcaam) et Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS).
Ces organismes ont expliqué tour à tour leur travail, ainsi que leurs difficultés : absence de mise en commun des études (le dernier rapport du Hcaam était la première fois que ces trois organismes travaillaient ensemble !), manque de moyens, données collectées parcellaires, etc. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les sénateurs sont montés au front pour fustiger cette situation de flou.
La sénatrice et pédiatre Florence Lassarade (Les Républicains) a confié au Quotidien qu’elle avait, à l’occasion de cette audition, « l’impression d’être dans un monde administratif au possible, où l’on ne parle pas véritablement du sujet, restant dans le constat, exactement ce qu’on n’aime pas au Sénat ». L’élue de Gironde attendait notamment des solutions pratiques du Hcaam : « Un organisme interministériel devrait pouvoir sortir des préconisations ! », s’est-elle emportée. Plus tôt, elle s’est même « sentie insultée comme médecin face à la vision quantitative » des experts auditionnés, expliquant qu’à les écouter, elle avait l’impression « de n’être qu’un pion ».
Des experts pas assez concrets
Pendant ces échanges, les sénateurs de l’opposition ont dénoncé le manque de cap fixé par l’exécutif face à la désertification médicale. La secrétaire de la commission – et pharmacienne – Corinne Imbert (apparentée LR), s’est émue du tour de table proposé par ces organismes, trop peu concret à ses yeux. Elle a pointé du doigt certaines contradictions : si l’on transfère 10 % de l’activité des médecins aux paramédicaux, ces derniers devront se former et ne pourront pas voir de patients pendant ce temps. Les experts auditionnés n’ont pas été épargnés. Certes, analyse Corinne Imbert, la feuille de route du Hcaam est déterminée par Ségur, « mais on ne peut pas être aussi léger devant le Sénat » a-t-elle fustigé, notant aussi le manque d’anticipation de l’ONDPS sur l’impact d’une régulation à l’installation en termes de déconventionnement.
Selon la sénatrice, le vrai sujet est plutôt de comprendre pourquoi « 20 % de généralistes formés n’exercent pas ». Et pas seulement ceux qui vont pratiquer de la médecine esthétique, comme l’a mentionné Nathalie Fourcade (Hcaam). Cette experte a cité ce cas de figure pour justifier le recrutement de dix personnes dans son organisme afin de mieux connaître « l’activité des médecins dans l’esthétique et dans les modes d’exercice particuliers, tels que l’acupuncture ou l’homéopathie ». Au passage la secrétaire générale du Haut conseil a annoncé le lancement d’un « travail sur les dépassements d’honoraires », élargi aux missions « cœur de métier ».
Erreur collective et calculs technos
De son côté, le généraliste et sénateur de Paris Bernard Jomier (app. PS) a relevé les « calculs technocratiques » qui font suite à l’erreur collective de réduction du numerus clausus dans les années 90. Ironisant, au passage, sur la formule du Pr Emmanuel Touzé, président de l’Observatoire de la démographie – « Il vaut mieux des prévisions inexactes, que pas de prévision du tout » – pour lui reconnaître une « grande modestie ». Dans le contexte de pénurie médicale, Bernard Jomier a défendu un « virage prévention », qui permettrait de réduire les prescriptions de médicaments et les dépenses. « Ce dont on a besoin, au fond, est de savoir qui et pour faire quoi ? », a-t-il résumé. Sa collègue communiste Céline Brulin l’a rejoint dans la critique du manque de cap en matière de démographie médicale. « Je suis interpellée par l’écueil de la prospective sans feuille de route claire », appelant à « exprimer clairement les choix politiques ! »
Arrivé en retard, le directeur de la Drees, Fabrice Lenglart, a tenté de rassurer les sénateurs, décidément peu satisfaits par ces débats. « Il n’y a aucun doute que, pour les prochaines décennies, si l’on maintient le nombre de médecins formés, leur nombre va croître… ». Même si, précise-t-il, cela ne signifie pas qu’ils iront au bon endroit…
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