Les rendez-vous du quotidien : alcoologie

La question de l’alcool s’impose devant tout changement biopsychosocial

Publié le 21/05/2015

L’alcoolodépendance représente le 4e facteur de risque de morbidité en Europe après l’hypertension artérielle, le tabagisme et le surpoids ; elle est responsable d’une baisse de l’espérance de vie de vingt ans chez l’homme et de vingt-deux ans chez la femme. La dépendance et la mortalité sont corrélées à deux facteurs : la fréquence des abus et la consommation moyenne par jour. Compte tenu du niveau élevé de morbi-mortalité liée à l’alcool, l’usage à risque doit être dépisté le plus tôt possible, au même titre qu’une hypertension artérielle ou une autre maladie chronique évolutive. C’est pourquoi, souligne le Dr Philippe Castera, « il est important que le MG repère précocement les problèmes psychosociaux qui sont les premiers à survenir avant les troubles somatiques et sont précurseurs d’un parcours de vie marqué par de graves perturbations (accident de la route, retrait du permis de conduire, disputes conjugales, professionnelles, absentéisme, arrêts de travail, problèmes relationnels...) et par l’installation d’une alcoolodépendance ».

C’est cette vigilance qui va permettre de repérer des indices d’autant plus importants que les examens biologiques sont normaux dans deux tiers des cas. Et, ajoute le Dr P. Castera, « il est actuellement conseillé d’aborder la question de l’alcool chez tout nouveau patient au même titre que les autres addictions, y compris dans les antécédents. L’Audit-C peut servir de fil directeur tout en permettant de discuter avec le patient sur sa consommation d’alcool ».

Néanmoins, des études ont montré que la maladie alcoolique est largement sous-diagnostiquée et sous-traitée. C’est pourquoi un repérage systématique est souhaitable, selon les opportunités, idéalement une fois par an ou devant tout changement négatif sur le plan biopsychosocial, à l’aide des outils validés et adaptés à la médecine générale.

Comment aborder la question de l’alcool ?

La complexité pour aborder la question de l’alcool est liée au fait que le patient ne vient pas pour ce motif et que l’intervention brève va se rajouter à la durée normale de la consultation.

En pratique, il faut toujours penser à la possibilité d’un problème d’alcool sous-jacent et aux addictions en général en cas d’antécédents familiaux de dépendance à l’alcool (en raison d’une vulnérabilité génétique plus élevée), de précarité, de maladie psychiatrique dont la coexistence est fréquente, d’autres addictions (notamment le tabac), de situations difficiles (stress, deuil...).

Les onze nouveaux critères du DSM-5 permettent de cibler des troubles addictifs de sévérité plus ou moins importante : plus il y a de critères, plus le trouble addictif est sévère. « L’un des critères clés, commente le Dr Jean-Michel Delile, est le craving ou pulsion irrépressible de boire de l’alcool au caractère ambivalent : le patient a conscience des conséquences négatives de son alcoolisation, il sait qu’il doit arrêter l’alcool, il lutte contre lui-même pour ne pas boire d’alcool, mais il n’y parvient pas. Il s’agit d’une envie, d’une pulsion irrépressible et contradictoire qui suffit en général à confirmer l’alcoolodépendance. »

La différence entre un consommateur occasionnel et un alcoolodépendant est liée au fait que l’usager occasionnel consomme de temps à autre pour le plaisir (renforcement positif), mais, au bout de quelques années, l’effet plaisir diminue en cas de consommation excessive. En revanche, le dépendant consomme pour ne pas souffrir du manque (renforcement négatif).

Des changements en termes de prise en charge

Force est de constater qu’une grande part des sujets alcoolodépendants (85 à 95 %) rechutent après une cure de sevrage, en raison du caractère addictogène de l’alcool et de vulnérabilités individuelles (sociales, psychologiques, génétiques...) qui poussent le patient à revenir vers ce produit. Ce sont ces vulnérabilités qui font évoluer ces patients du premier usage à l’usage répété non problématique, puis à l’usage compulsif. La rechute et les tentatives d’arrêt signent l’état de dépendance.

Plus récemment, ce qui a fondamentalement changé en termes de prise en charge est la possibilité pour le patient de pouvoir faire le choix entre l’abstinence et la réduction de consommation. « Actuellement, le véritable enjeu de santé publique, commente le Dr J.-M. Delile, est d’arriver à réduire la consommation en laissant au patient le choix de son objectif (réduction ou abstinence). L’élément clé qui a permis cette évolution est l’arrivée de nouveaux traitements qui aident à atteindre cet objectif de réduction avec, notamment, le baclofène et le nalméfène qui agissent sur les voies neuronales des addictions. L’idée étant de retrouver une indifférence à l’alcool, une maîtrise de sa consommation. »

(1) Dr Philippe Castera, médecin généraliste, maître de conférence associé de médecine générale pour l’université de Bordeaux, coordinateur du réseau AGIR 33 Aquitaine

 

(2) Dr Jean-Michel Delile, psychiatre addictologue à Bordeaux et directeur du CEID (Comité d’étude et d’information sur la drogue et des addictions), membre de la Commission nationale consultative des stupéfiants et psychotropes

* Réunion « Rendez-vous du Quotidien » sur « Dépendance à l’alcool : le médecin généraliste au cœur de l’action », organisée à Bordeaux avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck

Dr Martine ANDRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9413