Une anesthésiste-réanimateur intérimaire belge de 45 ans souffrant de dépendance à l’alcool, a été mise en examen pour homicide involontaire aggravé, fin septembre, après le décès d’une parturiente à la maternité d’Orthez (Pyrénées-Atlantiques).
Entendue par la gendarmerie, la médecin avait un taux de 2,18 grammes d’alcool par litre de sang. L’affaire dépasse le simple fait divers et pousse toute une profession à briser un tabou.
Alcool, tabac, stress, burn out… La dépendance et l’épuisement professionnel au bloc sont une réalité. Au point que pour les combattre, le collège français des anesthésistes-réanimateurs (CFAR) propose depuis un an aux médecins des autotests* thématiques en ligne, à réaliser seul ou en équipe. L’anonymat est absolu.
Appel à l’aide
Le premier bilan résonne comme un appel à l’aide : 1 978 anesthésistes-réanimateurs sur les 10 000 en exercice (dont 6 500 PH) ont réalisé le test. Parmi eux, 230 ont vérifié leur degré d’addiction à l’alcool. En 2005, le CFAR démontrait déjà que 11 % des anesthésistes abusaient ou dépendaient d’au moins une substance autre que le tabac, dont l’alcool (59 %), les tranquillisants et les hypnotiques (41 %).
Les autotests réalisés depuis un an ont permis à ces médecins, fortement mobilisés par la permanence des soins et les urgences, d’évaluer leur degré de burn out (545 cas), d’anxiété (326), de somnolence (303) et de fatigue (287).
Fantasme de toute puissance
Sans nier la réalité, la profession craint la stigmatisation après « l’affaire d’Orthez ». « Nous sommes plus concernés que d’autres médecins par la question de l’addiction car en cas d’erreur, la sanction est immédiate, explique le Dr Max-André Doppia, secrétaire général adjoint du CFAR. Mais les anesthésistes-réanimateurs ne sont pas plus bourrés au travail que les généralistes ou les psychiatres ! La différence est qu’on se suicide davantage, ayant le nécessaire sous la main ».
La profession est sous pression. La moitié des postes de PH sont vacants mais pas forcément inoccupés car l’intérim bat son plein. « Les anesthésistes-réanimateurs travaillent en décalé par rapport au reste de l’équipe de bloc, analyse le Dr Philippe Batel, psychiatre addictologue de SOS addictions. Certains combattent l’attente et le stress par un coup d’alcool en salle de garde ». L’automédication (80 % des professionnels n’ont pas de médecin traitant et 60 % des PH ne consultent pas la médecine du travail), l’isolement et le « fantasme de toute puissance », selon les mots du psychiatre Yves Kossovsky, spécialiste du sujet, font le reste.
Secret de polichinelle
Si l’addiction est un secret de polichinelle au bloc, les services officiels d’aide aux professionnels sont rares. Après Orthez, les pouvoirs publics se sont réfugiés derrière la procédure judiciaire et n’ont pas abordé le problème de fond. « On en est encore à envisager l’éventualité du phénomène plutôt qu’à le combattre », peste le Dr Madeleine Estryn-Behar, coordinatrice d’une enquête de référence sur la santé des médecins (SESMAT, 2007).
Les emplois temporaires compliquent la donne. « L’intérim est un refuge pour certains médecins qui se font oublier en remplaçant dans des petites structures sur la sellette », constate le Dr Louison Andriamifidy. Impossible de connaître leur nombre. Le président du SMARNU (anesthésistes-réanimateurs non-universitaires) milite pour la création d’un corps de médecins intérimaires « évalués et (dé)pistés ».
Membre du syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi, le Dr Doppia s’élève contre la tentation d’une politique de sanction et la création d’un « permis d’endormir ». Il préconise un passage annuel obligatoire par la médecine du travail pour les intérimaires. Pour tous, il appelle à un changement de culture et à une libération de la parole.
* Le CFAR propose une plateforme de soutien accessible sur Internet, par téléphone (N° Vert 0 800 00 69 62) et par chat.
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