Les nouvelles hormonothérapies (NHT), dites aussi de deuxième génération, font désormais partie des standards thérapeutiques dans les cancers de la prostate (CP) métastatiques hormonosensibles. Associées à la déprivation androgénique (ADT), elles permettent une nette amélioration de la survie globale par intensification thérapeutique.
Hormonothérapies de 2e génération
Depuis une dizaine d’années, c’est bien l’intensification du traitement qui a été le maître mot de l’évolution du panel thérapeutique du CP métastatique hormonosensible (CPHSm). Ainsi, différentes études ont montré un très net gain, en termes de survie, par l’association d’une ADT et d’une NHT – soit l’abiratérone, l’enzalutamide, l’apalutamide et, plus récemment, darolutamide.
L’étude Aranote, présentée à l’Esmo 2024, consacrait le doublet ADT-darolutamide, évalué vs ADT-placebo dans les CPHSm, dont 70 % étaient d’emblée métastatiques et la plupart avec un haut volume métastatique. L’association ADT-darolutamide a démontré une réduction de risque de progression radiologique de 46 %, avec un très bon profil de tolérance. La survie globale (SG) n’est pas mature mais le HR de 0,81 est en faveur de ce doublet.
En doublet ou en triplet
Deux études ont évalué l’apport d’une NHT à l’association ADT + chimiothérapie par docétaxel, un schéma aujourd’hui qualifié de triplet. L’une associait ADT, abiratérone et docétaxel, l’autre ADT, docétaxel et darolutamide, avec à l’arrivée un signal très fort d’efficacité dans les CPHS d’emblée métastatiques et à haut volume métastatique (plus de quatre lésions osseuses dont une axiale et/ou des lésions viscérales).
« Il ne reste presque plus de place aujourd’hui pour l’ADT seule dans la prise en charge du CPHSm, sauf de rares exceptions comme les patients très fragiles, avec de nombreuses comorbidités », résume la Dr Carole Helissey (Paris).
Il reste peu de place aujourd’hui pour la déprivation androgénique seule
Dr Carole Helissey
Ces résultats amènent à poser la question du choix entre doublet et triplet, et du choix de la NHT. « La proposition thérapeutique est fondée sur les caractéristiques de sa maladie (synchrone ou métachrone, bas et haut volume) et le patient (comorbidités, polymédication, objectifs de qualité de vie) », explique l’oncologue médicale.
Lutécium et iParp
Le paysage thérapeutique risque d’être encore bouleversé dans les années à venir, avec une remontée des lignes des inhibiteurs de Parp et de la radiothérapie interne vectorisée.
L’étude de phase 2 UpFrontPSMA évaluait le 177Lu-PSMA-617 en deux injections avant le docétaxel, vs le docétaxel seul, chez les patients présentant un cancer de la prostate métastatique hormonosensible de haut volume et n’ayant pas reçu de NHT. À noter que cette étude avait été mise en place en 2016, lorsque les CPHSm de haut volume (95 % dans le bras Lu et 87 % dans le comparatif) ne bénéficiaient pas des nouvelles hormonothérapies ; cette association telle quelle n’a actuellement plus beaucoup de place. Elle montrait un bénéfice sur le PSA indétectable à la 48e semaine (41 vs 16 %, p = 0,002). On retrouvait une tendance favorable sur le temps jusqu’à la progression biologique, radiologique et la SG, mais sans différence significative. Il n’y avait pas d’alerte supplémentaire sur la tolérance, la toxicité initiale étant liée à la chimiothérapie, avec environ 10 % de neutropénie fébrile ; mais l’expression du PSMA dans les cellules buccales rendait compte d’un taux de sécheresse buccale non négligeable (37 %). L’étude de phase 3, PSMA Addition, est en cours.
Intensifier aussi dans les stades précoces et localisés
Dans les stades précoces et localisés aussi, l’intensification thérapeutique devient le standard.
Ainsi, l’étude Stampede a montré que l’association d’abiratérone et de prednisolone, au traitement standard par ADT et radiothérapie de la prostate et éventuellement des aires ganglionnaires, améliorait la survie sans métastase (82 vs 69 %), ainsi que la SG et la survie spécifique au cancer de la prostate, chez les patients présentant un cancer de la prostate localisé à très haut risque.
On attend les résultats de l’étude Atlas, testant l’association de l’apalutamide au traitement standard par ADT et radiothérapie de la prostate et éventuellement des aires ganglionnaires dans les CP localisés à haut risque. Quant à l’étude Aladdin, elle évalue l’association ADT et radiothérapie de la prostate et des aires ganglionnaires, et darolutamide chez les patients présentant un cancer de la prostate localisé à très haut risque, N+ à l’imagerie métabolique.
Enfin, deux études s’intéressent à l’intensification de l’hormonothérapie en péri-opératoire. L’étude Proteus, qui a terminé ses inclusions, associe de l’apalutamide à l’ADT avant et après prostatectomie radicale et curage, chez les patients atteints d’un cancer de la prostate à haut risque ou localement avancé. Les objectifs principaux sont le taux de réponse complète pathologique et la survie sans métastases. Et l’étude Sugar, en cours de recrutement, teste le darolutamide seul en péri-opératoire (trois mois de néo-adjuvant et six mois d’adjuvant), chez les patients atteints d’un cancer de la prostate à haut risque ou localement avancé. L’objectif principal est la survie sans progression.
Au stade de résistance à la castration
Compte tenu de l’intensification thérapeutique au stade d’hormonosensibilité, lors de la progression au stade de résistance à la castration, la principale option thérapeutique était la chimiothérapie, soit par docétaxel, si le patient ne l’avait pas reçu au stade hormonosensible, soit par cabazitaxel. « L’arrivée de la radiothérapie interne vectorisée, fondée sur la théranostique, a élargi nos possibilités thérapeutiques », explique la Dr Helissey. En effet, le Lu-PSMA a démontré dans l’étude Vision un bénéfice en survie sans progression radiologique par rapport au cabazitaxel. Il n’y avait pas de différences entre les deux bras en termes de survie globale. À partir de ces données, le Lu-PSMA est aujourd’hui disponible en ATU.
« Avec l’avènement, fondé sur l’étude Vision, du Lu-PSMA dans notre panel thérapeutique, nous pensions que le radium223 ne gardait plus de place », relate la Dr Helissey. Ce qui a été infirmé par l’étude de phase 3 Peace 3, qui évaluait l’association de l’enzalutamide à six cycles de radium223 dans le CP métastatique osseux résistant à la castration. La majorité des patients n’avait reçu que l’ADT seule, 30 % du docétaxel et moins de 5 % de l’abiratérone en phase d’hormonosensibilité. Cette étude est clairement positive pour son objectif principal, avec une réduction du risque de progression radiologique de 31 % dans le bras enzalutamide et radium223. Les données de survie globale ne sont pas matures mais numériquement favorables (42,3 vs 35 mois).
Un signal d’alerte a été émis sur les événements osseux avec ces associations radium223 et NHT. L’étude Era 223, évaluant l’association radium223 et acétate d’abiratérone, avait dû être arrêtée prématurément compte tenu de l’incidence des événements osseux dans le bras de cette association. À la lumière de ces événements, la prescription d’un protecteur osseux, type dénosumab ou acide zolédronique, était obligatoire. Cette stratégie réduit le risque d’événement osseux de 18 %. « Cela rappelle l’importance des protecteurs osseux au stade de résistance à la castration », souligne la Dr Helissey.
« Cette association pourrait être une option thérapeutique chez les patients présentant un cancer de la prostate résistant à la castration et présentant des métastases essentiellement osseuses, après ADT seule ou après chimiothérapie. Cette seconde situation devra encore être évaluée, car ne représentant que 30 % de la population incluse dans Peace 3 », note la spécialiste.
L’apport de la caractérisation moléculaire
« Il faut aussi souligner l’importance du screening moléculaire des patients atteints de cancer de la prostate, si possible dès le stade métastatique hormonosensible », insiste la Dr Helissey. En effet, près de 20 % des patients présentent des mutations des gènes de réparation de l’ADN, type BRCA. « Cela a un impact pronostique négatif, mais représente aussi une option thérapeutique, par un inhibiteur de Parp seul, ou en association si le patient n’a reçu qu’une ADT seule en phase d’hormonosensible », indique la spécialiste.
Les résultats de survie globale de l’étude Talapro 2 sont attendus prochainement ; elle évalue l’association talazoparib et enzalutamide chez les patients présentant un CP métastatique résistant à la castration, tout-venant (dits « all comers »), c’est-à-dire non sélectionnés pour une mutation. « L’étude est déjà positive sur son objectif principal, qui était la survie sans progression radiologique pour les patients tout-venant, mais le bénéfice est plus net pour les patients présentant une mutation BRCA », précise la Dr Helissey.
Entretien avec la Dr Carole Helissey, oncologue médicale (Paris)
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