Autour de Véronique Godon, ça bipe, ça sonne, ça parle et ça s'agite.
Le téléphone, « c'est un festival », et pour le reste, « ça ne s'arrête jamais ». L'infirmière-chef du pôle thoracique et vasculaire de l'hôpital Marie Lannelongue, établissement privé à but non lucratif de 200 lits du Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine), s'agace gentiment de cette suractivité, propre à son travail « transdisciplinaire » d'infirmière pas tout à fait comme les autres.
Depuis 20 ans qu'elle travaille en milieu hospitalier, Véronique Godon n'a « aucune idée » de ce qui se cache sous l'étiquette infirmière en pratique avancée (IPA), alors qu'elle en est la parfaite illustration. Titulaire d'un diplôme universitaire, elle réalise des séances d'éducation thérapeutique pour les patients greffés cœur-poumons. À cheval sur la chirurgie thoracique, le vasculaire et la transplantation, elle sort quotidiennement du champ conventionnel de l'infirmière diplômée d'État.
Sans surprise, elle s'enthousiasme à propos du projet de l'hôpital de créer un nouveau poste d'infirmière coordinatrice dans le parcours de soins des malades greffés – sur le modèle de l'hôpital Foch de Suresnes. En revanche, la dynamique Véronique Godon rechigne à l'idée de prescrire, sauf, et encore, « dans le cadre d'un protocole bien défini ». Elle est surtout prête à cet effort si elle n'a plus à « courir après les médecins » pour un renouvellement d'ordonnance. Ça, avoue-t-elle volontiers, ce serait « un plus » !
Projet de décret « pas très clair »
Le degré de connaissance de l'infirmier en pratique avancée varie du tout au tout dans la profession. Alice Grenier, la quarantaine sage, décrypte le sujet en experte. Infirmière ressource douleur depuis 2010, elle dispense en autonomie des formations, met en place des protocoles, participe à la conception de livrets d’informations et suit l’ensemble des patients hospitalisés. « L'infirmière douleur pousse la consultation clinique au-delà du champ de compétence classique. Le statut d'IPA va appuyer ce genre d'expérience », se réjouit-elle.
À la lecture du projet de décret, jugé « pas très clair », la jeune femme est plus mitigée, en particulier sur les actes techniques que l'IPA pourra pratiquer et interpréter sans prescription médicale. Le branchement, la surveillance et le débranchement d'une dialyse rénale, péritonéale ou d'un circuit d'échanges plasmatique la laisse « un peu sceptique ». « J'en suis incapable », souffle-t-elle. Elle se montre également « réservée » sur la pose de sondes vésicales. « Les infirmières n'ont pas le droit de poser une première sonde chez l'homme, c'est un acte médical », indique-t-elle. Elle trouve en revanche « très restrictif » le champ d'action de l'IPA dans la prise en charge des patients chroniques stabilisés, réduit à huit pathologies sur la trentaine d'affections longue durée reconnues par la Sécu.
Le danger des glissements de tâches
C'est étrangement Anne-Marie Becchia qui affiche la plus grande méfiance à l'égard du nouveau statut en préparation à Ségur. Pourtant, cette élégante femme de 51 ans bouscule les codes. Elle a gravi tous les échelons : aide-soignante sans le bac, infirmière d'état et depuis peu, infirmière de coordination – elle participe à la consultation d'annonce de cancérologie – et infirmière chef. « Je ne suis qu'infirmière, pas médecin », justifie-t-elle pourtant.
Son expérience, ces « glissements » de tâches médicales vers des mains paramédicales et ces « petites choses qui pouvaient dégénérer » dont elle a été témoin, la rendent prudente sur les pratiques avancées. « Tout le monde n'en est pas capable », assène-t-elle. Le renouvellement d'ordonnance « bien bordé, bien bien cadré » passe encore. Mais pousser plus loin la logique de la pratique avancée risque à ses yeux de compromettre l'exercice paramédical en termes de responsabilité. « Je n'arrête pas de dire aux infirmiers : "protégez-vous", insiste Anne-Marie Becchia. On a des patients qui réclament leur dossier, même quand tout s'est bien passé. »
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