Traitements hormonaux : quelle toxicité rénale ?

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Publié le 28/01/2022
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Une enquête de pharmacoépidémiologie alerte sur le risque d'insuffisance rénale (IR) aiguë et des cas d'hépatotoxicités sévères liés aux traitements hormonaux utilisés dans le cancer de la prostate. En vie réelle, l'abiratérone serait plus réno-toxique que l'enzalutamide…
Un risque d'insuffisance rénale aiguë augmenté de 40 % avec l'abiratérone

Un risque d'insuffisance rénale aiguë augmenté de 40 % avec l'abiratérone
Crédit photo : phanie

Les profils de sécurité de l'abiratérone et de l'enzalutamide reposent essentiellement sur les essais cliniques de phase III d'enregistrement. Or, les données obtenues après la mise sur le marché ont soulevé plusieurs signaux inquiétants, en particulier la survenue d'IR aiguës sous abiratérone. « Pour y voir plus clair, nous avons mené une vaste étude de pharmacovigilance/pharmacoépidémiologie d’après la base du Système national des données de santé (SNDS). Ses résultats montrent qu'en vie réelle il existe bien un signal non négligeable d'IR aiguë sous abiratérone, augmenté de 40 % par comparaison à l'enzalutamide. Ce signal est tout à fait cohérent avec celui observé lors d'une précédente analyse de la base française de pharmacovigilance. Il mérite d'être à l'avenir examiné de plus près, résume la Dr Lucie Marie Scailteux (CHU de Rennes). On a retrouvé un triplement des perturbations du bilan hépatique avec l'abiratérone, par rapport à l’enzalutamide. Jusqu'ici rien d'inattendu ... sauf que cette étude de pharmacoépidémiologie a aussi mis en évidence des cas d'hépatotoxicités sévères, voire mortelles, totalement imprévisibles (bilan hépatique normal dans les semaines précédant la flambée) ». 

Plus de 15 000 patients analysés

Au sein du SNDS, plus de 15 000 patients, traités pour cancer de la prostate par abiratérone (70 %) ou enzalutamide (30 %) entre 2013 et 2017, ont été identifiés. Près de la moitié des patients ont présenté au moins un évènement d'intérêt, dont les trois quarts un seul évènement. Les évènements observés les plus fréquemment étaient : les hospitalisations pour fibrillation atriale (FA), pour insuffisance cardiaque (IC) ou IR aiguë. A contrario, les hospitalisations pour accident vasculaire cérébral (AVC), allongement du QT, hépatite ou convulsions étaient rares (moins de 10 cas pour 1 000 personnes années), sous abiratérone comme sous enzalutamide. 

Attention à l’abiratérone

L'étude montre que l'abiratérone induit plus d'IR aiguës, de FA et de toxicités hépatiques que l'enzalutamide. En termes d'IR aiguë, le risque est significativement augmenté de 40 % (RR = 1,4). Pour les FA, il est accru de 12 % (RR = 1,12). « Quant aux perturbations du bilan hépatique suggérant une hépatotoxicité, elles sont carrément triplées (RR = 3,1), observe la Dr Scailteux. Enfin, bien que l'hépatotoxicité potentielle de l'abiratérone soit connue, cette étude a mis en évidence le caractère totalement imprévisible d'hépatites très graves et potentiellement fatales. C'est le cas par exemple d'un patient sous abiratérone arrivé aux urgences, 15 jours après un bilan hépatique strictement normal, avec un ictère flamboyant assorti d'une insuffisance hépatocellulaire grave ayant mené à son décès dans les jours suivant ». 

Les limites de l'étude

Cette étude de pharmacovigilance souffre potentiellement de sous notifications. Elle ne permet donc pas d'estimer des incidences d'évènements indésirables. De plus, dans les observations notifiées, les données cliniques sont parfois manquantes ou réduites à une simple ligne, empêchant tout diagnostic différentiel. Enfin, ce type de travail reste basé sur des analyses au cas par cas. « Ce travail ne peut donc en aucun cas se substituer à une vaste étude, et permettre de voir réellement ce qui se passe sous traitement à plus grande échelle », reconnaît la Dr Scailteux.

Pascale Solere

Source : Le Quotidien du médecin