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Dossier

Santé : l’homme est-il toujours le sexe faible ?

Ces nouveaux mâles qui « se soignent » !

Publié le 22/05/2015
Ces nouveaux mâles qui « se soignent » !


GARO/PHANIE

L’homme a pendant des années cumulé facteurs de risques et conduites à risques qui l’ont désavantagé sur le plan sanitaire par rapport à la femme. Or, il devient de plus en plus attentif à lui-même, moralement et physiquement. Psys, régimes, musculation, le mâle moderne « se soigne ». Ce nouveau mode de vie implique une conscience plus aiguë de ses problèmes somatiques. S’accompagne-t-il d’évolutions favorables de sa santé ?

L’homme « moderne » se préoccupe davantage de sa forme physique. Il s’inscrit de plus en plus dans les salles de sport. Beaucoup d’hommes courent dans les rues de Paris pour se maintenir en forme. D’autres se préoccupent de leur poids, de leur santé, se surveillent plus.

Les hommes consomment aujourd’hui de plus en plus de cosmétiques. Certains commencent même à fréquenter des instituts de beauté qui leur sont spécialement dédiés. Soin du visage, massage relaxant et manucure sont désormais à leur portée. Prendre soin de soi ne rime plus seulement avec féminité. On ne compte d’ailleurs plus les magazines et les sites internet qui ont fait du « look » masculin leur fonds de commerce.

Des facteurs de risque mieux pris en charge

Ce soin de soi-même ne s’arrête pas aux cosmétiques et aux vêtements. L’homme prête également davantage attention à sa santé. Selon l’étude Microsoft et Omnicom, sur l’homme moderne (2014), les deux tiers des hommes canadiens disent qu’il est important d’adopter une alimentation équilibrée et nutritive, et 65 % s’intéressent à la culture physique.

En constate-t-on les effets sur la santé masculine ? Une étude publiée dans le BEH du 6 novembre 2012 montre une diminution du nombre d’hommes hospitalisés pour infarctus du myocarde de 2002 à 2008. Cette baisse concerne toutes les tranches d’âge, mais est d’avantage marquée pour les plus de 65 ans. En revanche, chez les femmes, on observe une augmentation nette chez les moins de 65 ans. Ce qui s’expliquerait par la hausse chez elles de trois facteurs de risque vasculaire durant cette période : tabac, diabète et obésité. On se trouve donc, concomitamment, en présence de pathologies liées au mode de vie, en augmentation chez les femmes, et de facteurs de risque désormais mieux pris en charge chez les hommes. L’enquête Obépi 2012 va dans le même sens puisqu’elle constate que l’augmentation de l’obésité depuis 15 ans est plus nette dans la population féminine, notamment les 18-25 ans, que chez les hommes.

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Le cancer du poumon, étroitement lié à l’usage du tabac, n’échappe pas à cette tendance. En France, comme dans le monde, l’évolution récente de l’incidence du cancer du poumon dans la majorité des études a été marquée par une variation contraire en fonction du sexe (augmentation chez

les femmes et stabilité, voire diminution chez les hommes).

Enfin, au registre de la consommation d’alcool, on constate que l’homme boit toujours beaucoup plus que son homologue féminin. En effet, si la consommation d’alcool en population générale est en baisse depuis une quarantaine d’années en France (elle a été divisée par deux entre 1960 et 2009), on compte toujours 23 % d’hommes pour 8 % de femmes parmi les 15 % de Français qui boivent tous les jours selon l’étude «?Alcool et santé, bilan et perspectives » réalisée par l’Inserm 9).

Plus à l’écoute de soi-même

L’homme nouveau est aussi plus à l’écoute de ses émotions. Le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez, responsable de l’unité de thérapie familiale au CHU Pitié-La Salpêtrière, explique : « L’homme est devenu plus narcissique. Les existences sont moins prescrites, plus choisies. Ce qui revient à s’interroger plus sur soi-même. Les hommes sont d’avantage à l’écoute de leurs émotions et ils vont d’avantage chez le psychanalyste ». « Il y a dix ou quinze ans, constate-t-il, c’étaient majoritairement des femmes qui me téléphonaient pour prendre des rendez-vous de thérapie de couple. Maintenant, beaucoup d’hommes le font. Ce qui veut dire qu’ils se préoccupent d’avantage de leur relation conjugale, de leur relation intime à l’autre et que, si besoin est, ils n’hésitent pas à demander de l’aide. »

Le nouvel homme a donc muté par rapport à celui d’il y a deux générations. « Les femmes, ont ouvert la voie en voulant échapper à un destin féminin obligatoire qui les cantonnait dans certaines places et certains rôles, remarque le Dr Hefez. Elles ont ouvert une certaine universalité et ont conquis des territoires dits masculins en montrant que la naturalité du fait féminin devait être interrogée en permanence. Et qu’elles pouvaient augmenter leur compétence dans des domaines qui n’étaient pas les leurs sans cesser d’être des femmes ».

Les transformations du masculin?s’inscrivent, quelques années plus tard, dans?ce?mouvement.

L’émancipation des femmes a, en effet, poussé à interroger la nature du masculin et à se demander ce qui relève du masculin et du féminin. « À la suite des femmes, les hommes aussi ont augmenté

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leurs champs de compétences », relève Serge Hefez. Et ce, dans des domaines traditionnellement réservés aux femmes.

La grande mutation des hommes s’est surtout exercée dans le domaine de la paternité, note ainsi le psychanalyste. Les hommes sont de plus en plus mobilisés par un exercice charnel du « métier » de père et non plus seulement un exercice symbolique de celui-ci. Cela fait assez peu de temps, en effet, que les hommes assistent aux accouchements, donnent le biberon, se lèvent la nuit, donnent le bain, racontent des histoires, qu’ils sont pris charnellement dans une relation au nourrisson.

Une émotionnalité nouvelle

Le pendant pour les hommes de ce qui a été un facteur de transformation pour les femmes, être dans le monde du travail et des responsabilités, c’est donc de se retrouver dans cet univers beaucoup plus émotionnel du contact et du rapport avec les tout-petits, qu’on pensait naturellement féminin.

Cette émotionalité nouvelle s’accompagne du fait que les rapports entre les hommes et les femmes se placent beaucoup moins sur le plan de la complémentarité et davantage sur celui de l’égalité, ce qui ne va pas sans contradictions.

Une certaine conflictualité

Les hommes ont, en effet, le sentiment qu’on leur demande un comportement traditionnel : être protecteur, et, en même temps, se placer sur des terrains d’égalité où l’on partage et où l’on est sur le même plan. Ce qui crée des attentes, d’un côté comme de l’autre et n’est pas exempt d’une certaine conflictualité. « Dans les rapports de complémentarité de jadis, chacun était à sa place, remarque Serge Hefez. Maintenant, il faut toujours se mettre d’accord sur les règles du jeu, ce qui crée des conflits. »

De plus, le psychiatre, dans son livre « Le cœur des hommes » (éditions Pluriel), souligne que la situation personnelle des hommes s’est terriblement complexifiée. « Cette valorisation de la sphère sentimentale et de la sensibilité, des qualités relationnelles, de la fidélité, de la sécurité et de la transparence au détriment de la force, de l’esprit de conquête, du gout du risque et de l’agressivité, qui participent de ce que l’on nomme avec effroi “féminisation” de la société, rend la construction de l’identité masculine plus tortueuse et plus contradictoire. Il ne suffit pas d’être fort, viril, courageux, d’accumuler les conquêtes et de ne pas montrer ses sentiments ». Bref, être un homme nouveau n’a rien d’une sinécure…