Le rétrécissement aortique (RA) est très fréquent dans les pays industrialisés, touchant environ 10 % des personnes de plus de 75 ans. Dans cette tranche d’âge, 2 à 4 % de RA sont serrés, et parmi ces derniers, 50 % asymptomatiques.
La présence de symptômes liés au RA, en l’absence de contre-indication, conduit au remplacement valvulaire aortique (RVA). Chez les asymptomatiques, il est très important de réaliser une évaluation à l’effort, qui permet de démasquer 20 à 40 % de « faux asymptomatiques ».
La prise en charge des patients véritablement asymptomatiques est plus difficile et repose sur la balance bénéfices-risques de l’intervention. En effet, le RA serré asymptomatique expose à un risque de mort subite d’environ 1 % par an et, chez les patients opérés trop tard, à un risque d’insuffisance cardiaque. D’un autre côté, le RVA génère aussi une morbimortalité et les substituts valvulaires des complications spécifiques, qui n’ont pas disparu avec l’avènement du RVA percutané, le Tavi.
Le rétrécissement aortique serré asymptomatique expose à un risque de mort subite d’environ 1 % par an
Indications classiques
Actuellement, le RVA dans ce contexte est conseillé (1) chez les patients à haut risque de survenue d’événements cardiovasculaires, c’est-à-dire en cas de profil tensionnel d’effort anormal (chute de TA de plus de 20 mmHg), de RA très serré (gradient moyen > 60 mmHg ou vitesse maximale aortique > 5 m/s), d’une fraction d’éjection (FE) ventriculaire gauche (VG) abaissée (FE < 55 %, sans autre cause de dysfonction VG que le RA), d’élévation franche du BNP (> 3 fois la normale) ou encore d’apparition de symptômes lors du suivi.
En raison du développement considérable du Tavi et des progrès de la chirurgie, certaines équipes ont suggéré de proposer un RVA précoce à l’ensemble des patients asymptomatiques, quand la procédure est jugée à « bas risque ». Des essais randomisés comparant RVA précoce (chirurgical et/ou Tavi) et suivi médical classique semestriel (avec RVA si une indication classique apparaît) ont récemment été publiés et largement médiatisés.
Quatre essais randomisés publiés
Les deux premiers essais publiés, Recovery (2) et Avatar (3), comparent RVA précoce chirurgical et surveillance médicale sur de petits effectifs de patients (n = 145 et 157), plus jeunes que ceux rencontrés dans notre pratique habituelle (âges moyens 64 et 67 ans), à très bas risque opératoire.
Dans Recovery, le critère primaire composite (décès péri-opératoire et décès cardiovasculaire au cours du suivi) est en faveur de la chirurgie précoce. En fait, cette étude comprend une majorité de RA très serrés et confirme donc l’indication classique du RVA dans ce contexte.
Dans Avatar, les patients ont bénéficié avant l’inclusion d’une évaluation à l’effort pour confirmer l’absence de symptômes, ce qui est une force. Sur un suivi de 35 mois, le critère primaire composite (mortalité totale, infarctus du myocarde, AVC, hospitalisation pour insuffisance cardiaque) est en faveur de la chirurgie précoce, mais sans différence significative pour les critères isolés de mortalité totale, hospitalisation pour insuffisance cardiaque, saignements majeurs et complications thromboemboliques.
Au total, ces deux études manquent de puissance statistique et montrent la possibilité de discuter le RVA chirurgical dans une population sélectionnée de RA asymptomatiques, à très bas risque opératoire.
Le troisième essai (4), Evolved (224 patients, âge moyen 73 ans), compare le RVA précoce (chirurgical ou Tavi) au suivi médical classique, dans une population à plus haut risque cardiovasculaire, sélectionnée à l’inclusion par la présence d’une fibrose focale myocardique à l’IRM (rehaussement tardif), associée à une hypertrophie ventriculaire gauche à l’échocardiographie ou à une élévation de la troponine HS. L’idée est ici de proposer le RVA précoce quand il existe de la fibrose myocardique, témoin d’une dysfonction VG.
L’étude est négative sur un suivi de 42 mois, et ne montre donc pas de supériorité du RVA précoce sur le critère primaire (mortalité ou hospitalisation non planifiée liée au RA), ni sur les mortalités totale et cardiovasculaire prises isolément. Les deux stratégies font jeu égal.
La quatrième étude, Early Taver (5), de plus grande envergure (901 patients, âge moyen 75 ans), compare le Tavi précoce au suivi médical classique sur un suivi de 3,8 ans. Elle est positive sur le critère primaire composite (mortalité, AVC, hospitalisation non planifiée pour problème cardiovasculaire), en faveur du Tavi précoce, mais sans différence significative pour les critères lourds pris isolément, mortalité et AVC. Les résultats de cette étude ont été très critiqués sur le plan méthodologique. En effet, le critère principal est positif en raison d’un taux élevé inhabituel d’hospitalisations jugées non planifiées (26 %) dans les six premiers mois dans le bras suivi médical. Ces hospitalisations sont essentiellement liées à la réalisation d’un Tavi, alors que celui-ci ne devrait pas être pris en compte comme un événement non planifié dans le bras médical.
Que retenir ?
Quelle que soit la méthode, chirurgie ou Tavi, proposer un RVA à un patient asymptomatique n’est pas une décision facile à prendre. Les indications classiques, dont nous avons discuté, demeurent de bonnes indications.
À mon sens, les essais randomisés récents n’ont pas démontré la supériorité du RVA précoce sur le suivi médical classique pour tout RA serré. Ils suggèrent que les deux stratégies font peut-être jeu égal, sur un suivi encore limité. D’autres études sont nécessaires pour répondre à la question posée.
Dans tous les cas, ces indications doivent être systématiquement discutées en réunion de concertation multidisciplinaire (« Heart valve team ») afin d’évaluer le bénéfice et le risque d’intervenir précocement. L’avis du patient, son espérance et son mode de vie sont à prendre en compte. Il est en effet plus raisonnable de proposer un RVA chez un patient asymptomatique de 65 ans qui veut continuer à faire du sport que chez celui de 85 ans parfaitement satisfait de son mode de vie actuel.
La qualité des soins n’est pas toujours liée au nombre de procédures réalisées
Pr Christophe Tribouilloy
Si l’on retient un suivi médical, le patient doit être revu tous les six mois en consultation avec échocardiographie, avec, de plus, à mon avis et quand il est capable de l’effectuer, un test d’effort annuel. Rappelons enfin que la qualité des soins n’est pas toujours liée au nombre de procédures interventionnelles ou chirurgicales réalisées.
(1) Vahanian A Eur Heart J. 2022 Feb 12;43(7):561-632
(2) Kang D.H. N Engl J Med. 2020 Jan 9;382(2):111-9
(3) Banovic M et al. Circulation. 2022 Mar;145(9):648-58
(4) LoganathK. Jama. 2025 Jan 21;333(3):213-21
(5) Génereux P. N Engl J Med. 2025 Jan 16;392(3):217-27
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