Thrombose veineuse et cancer : quelles recommandations ?

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Publié le 10/02/2023
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Le risque de thromboembolie veineuse (TEV) chez les patients atteints de cancer est reconnu, avec des conséquences majeures sur la morbimortalité et la poursuite du traitement oncologique. Si les décisions ne sont pas faciles à trancher, les recommandations de la Société américaine d’hématologie (ASH) insistent sur l’évaluation du risque et préconisent de s’abstenir d’une thromboprophylaxie chez les patients à faible risque thrombotique (1).
Si le risque est élevé, la thromboprophylaxie repose sur l’héparine de bas poids moléculaire ou les anticoagulants oraux directs

Si le risque est élevé, la thromboprophylaxie repose sur l’héparine de bas poids moléculaire ou les anticoagulants oraux directs
Crédit photo : SPL/PHANIE

On estime que 5 à 20 % des patients atteints de cancer connaissent un évènement de TEV, ce qui représente 20 % de tous les cas de TEV. Ce risque est en augmentation avec l’amélioration de la survie, mais aussi le recours à l’hormonothérapie ou à de nouveaux traitements. Les options pharmacologiques pour le traitement et la prévention de la TEV comprennent l’héparine non fractionnée (HNF), l’héparine de bas poids moléculaire (HBPM), le fondaparinux, les antivitamines K (AVK) et les anticoagulants oraux directs (AOD). Mais avec le développement des AOD, on assiste à la quasi-disparition des AVK et au recul de l’HBPM. 

Thromboprophylaxie veineuse : évaluer le risque

Le risque de TEV est influencé par le type de tumeur et le statut clinique du patient. Quant au risque de saignement, il est également augmenté en cas de cancer, mais on ne dispose pas actuellement de score fiable de risque hémorragique dans ce contexte.

Pour le risque de TEV chez les patients traités en ambulatoire, il est recommandé de se référer au score KHORANA qui tient compte : du site de la tumeur (très haut risque pour l’estomac et le pancréas, haut risque pour les localisations pulmonaires, génito-urinaires ou les lymphomes), du taux de plaquettes supérieur à 350 000, d’hémoglobine (Hb) en dessous de 100 g/l, de la prise d’érythropoïétine, des leucocytes à plus de 11 000 ou d’un indice de masse corporelle au-delà de 35. Chaque critère compte pour un point (deux pour les localisations à très haut risque). À six mois, le risque de TEV est de 6,4 % si le score est en dessous de trois, pratiquement de 10 % au-delà.

Pour déterminer chez quels patients proposer une thromboprophylaxie, et avec quelles molécules, les niveaux de preuve sont très inégaux, amenant l’ASH à distinguer des recommandations fortes ou conditionnelles. « Globalement, les recommandations sont fortes pour prescrire les AOD ou HBPM, et non les AVK, dans toutes les situations. De même, il existe un niveau de preuve élevé pour ne pas envisager de thromboprophylaxie si le risque de TEV est faible », insiste la Dr Radhika Gangaraju (Birmingham). Si toutefois un traitement prophylactique devait être utilisé, il est préférable de recourir aux AOD (apixaban ou rivaroxaban étant les seuls approuvés dans cette indication). Il faut cependant être très prudent avec les AOD en cas de cancer gastrointestinal. Chez les patients à risque intermédiaire, on garde le choix entre l’abstention thérapeutique et la prophylaxie par AOD.

Enfin, si le risque est élevé, la thromboprophylaxie repose sur l’HBPM ou les AOD. Quant au cas particulier du myélome traité par des immunomodulateurs (lénalidomide, thalidomide ou pomalidomide), il est recommandé une prophylaxie par aspirine ou HBPM à faible dose ou AVK. Chez les patients hospitalisés, il existe des recommandations conditionnelles pour proposer une thromboprophylaxie, reposant plutôt sur les HBPM que sur l’HNF, en l’arrêtant à la sortie de l’hôpital. 

Quel traitement privilégier ?

« Concernant le traitement initial de la TEV, trois études menées en ouvert - SELECT-D (rivaroxaban), HOKUSAI (edoxaban) et CARAVAGGIO (apixaban) - ont montré la non-infériorité des AOD par rapport à l’HBPM dans le risque de récidive de la TEV », souligne le Pr Marc Carrier (Ottawa). Ceci a amené l’ASH à préconiser les AOD ou l’HBPM pendant cinq à dix jours après l’épisode de TEV, soit une prise en charge identique à celle des recommandations françaises. Pour le traitement à court terme des trois à six premiers mois, on privilégie les AOD, sauf en cas de cancer digestif ou génito-urinaire, de malabsorption ou d’interactions potentielles avec d’autres médicaments.

Lorsque la TEV est découverte de façon fortuite, un traitement est préférable à l’abstention thérapeutique sous surveillance. Au-delà des six premiers mois, le risque de récidive est de 1 à 12 %, particulièrement élevé en cas de thrombose veineuse résiduelle sans anticoagulation. Il est recommandé de poursuivre l’anticoagulation au-delà des six mois (voire à vie), notamment en cas de cancer évolutif, de métastases ou d’un traitement par chimiothérapie, AOD ou HBPM, en réévaluant régulièrement le risque hémorragique.

(1) Carrier M. et al, ASH guidelines on VTE : prevention and treatment in patients with cancer. Special Interest Session

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin