LE QUOTIDIEN : Quelle est la situation de la transplantation dans le monde ? Pourquoi une commission du « Lancet » sur le sujet est-elle nécessaire ?
Pr GABRIEL ONISCU : La transplantation d’organe est une technique très installée qui fait l’objet, ces dernières années, de nombreuses avancées technologiques pour accroître la disponibilité des greffons. Néanmoins, la demande d’organes est en train de grandir plus rapidement que l’offre, et l’écart entre les deux ne fait que croître. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), seulement 10 % des besoins réels en organes sont aujourd’hui satisfaits. L’agence onusienne avait bien proposé une résolution mais il s’agissait d’un document politique qui ne disait rien des moyens pratiques à mettre en œuvre pour promouvoir la durabilité, l'innovation et l'équité dans la transplantation d'organes.
C’est là que notre commission intervient : nous voulons regarder au-delà de la clinique et aborder les questions d’épidémiologie, de bioéthique et de santé publique. Nous avons rassemblé pour cela 22 experts venus d’Europe, d’Inde, de Chine, d’Australie, du Nigeria, des États-Unis, d’Argentine et d’Uruguay, ainsi que des représentants de patients. Nous travaillerons sur quatre thèmes : quelle vision pour le parcours de l’organe ; comment implémenter des innovations au sein de ce parcours ; comment construire des infrastructures nationales robustes (centres de transplantation, formation, etc.) ; et comment établir des partenariats entre des centres, des spécialités et des pays qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Nous commencerons par cartographier le fonctionnement idéal d’une greffe, du donneur au receveur, puis nous produirons des recommandations pour parvenir à cet idéal.
Notre message le plus important est que la transplantation ne doit plus être un développement de niche réservé à un nombre restreint de situations cliniques. Elle doit être envisagée en routine.
La France exerce un fantastique leadership, avec l’Agence de la biomédecine qui a permis de nombreuses innovations
Existe-t-il une disparité géographique dans l’accès à la greffe ? À quoi peut-elle être attribuée ?
Historiquement, tous les pays n’ont pas la même approche de la transplantation. En Asie, on se repose beaucoup sur les donneurs vivants, tandis qu’à l’Ouest, les greffons proviennent plus volontiers de patients en arrêt cardiorespiratoire. L’accès à la transplantation est, de fait, inégal, avec des barrières qui varient selon les pays. Cela peut être dû à un nombre trop faible de centres de transplantation et de personnels compétents ou tout simplement à la législation. Par exemple, l’accès aux greffons de donneurs en état de mort circulatoire est interdit pour 80 millions d’Européens.
Même s’il est difficile de faire des comparaisons, un pays comme l’Espagne peut être cité en exemple, de par les politiques qu’elle a mises en place et le nombre de donneurs qu’elle parvient à avoir chaque année. La France exerce également un fantastique leadership en matière de transplantation, avec l’Agence de la biomédecine qui a permis de nombreuses innovations au cours des dernières années.
Trouver les moyens de convaincre les pays d’assouplir leur législation, est-ce là l’une de vos missions ?
On ne peut évidemment pas imposer une politique de santé publique à un pays. Notre devoir, en tant que membres de la communauté médicale et scientifique, est de parler un langage commun pour que les décideurs et le grand public aient connaissance des données de la science. Ensuite, chacun doit pouvoir discuter de façon ouverte et prendre des décisions en fonction de son environnement social.
Qu’est-ce qui explique l’augmentation de la demande d’organes dans le monde ? Est-on en mesure de quantifier son évolution ?
Peu de pays disposent de registres et sont en mesure de fournir des données fiables sur l’évolution de la transplantation. Au niveau international, il existe des projections comme celles de l’observatoire de l’OMS (voir encadré) mais elles sont insuffisamment précises. Notre rôle, en tant que commission, consistera aussi à rassembler les données disponibles et en produire de nouvelles.
La greffe de rein est rentable dès la première année sans dialyse, sans compter qu’elle est plus écologique
Quant à savoir pourquoi la demande augmente, on peut déjà citer le vieillissement de la population, associé à une augmentation des maladies non transmissibles. Dans un nombre croissant de cas impliquant une défaillance d’organe, la greffe est plus coût-efficace que la prise en charge sans transplantation. Le meilleur exemple est la greffe de rein, qui est rentable dès la première année sans dialyse, en plus d’être plus écologique.
Il y a aussi de nouvelles indications. Dans le cancer du foie, par exemple, la transplantation donne de meilleurs résultats que la résection. Une étude française récente est arrivée aux mêmes conclusions avec les patients ayant un cancer colorectal métastatique : les chances de rémission sont meilleures avec une greffe de côlon.
Concernant les nouvelles technologies qui peuvent être déployées, on parle beaucoup de xénogreffe. Une équipe chinoise est parvenue récemment à maintenir, pendant neuf jours, un poumon de cochon en vie chez un patient en état de mort cérébrale. La xénogreffe est-elle une piste crédible ?
Il est certain que c’est un sujet qui fait les gros titres ! Les États-Unis et la Chine sont en pointe dans le domaine, mais nous sommes encore loin de pouvoir procéder à des xénogreffes en soin courant. Ce ne sera pas une solution pour tous les patients ni pour tous les organes. Le rein est actuellement l’organe le plus avancé mais des travaux sont en cours sur le foie, le cœur et le poumon.
La xénogreffe n’est-elle pas trop onéreuse pour être largement diffusée, à l’image de la thérapie génique, ?
Le problème du prix se pose avec toutes les nouvelles technologies médicales. On peut imaginer que la xénogreffe s’implémente à différentes vitesses et qu’elle devienne disponible dans les pays à plus faibles revenus quand elle sera devenue moins chère. Mais avant même de s’inquiéter du prix, la xénogreffe pose d’autres problèmes. Déjà, elle doit être sûre et acceptée par le grand public.
Ensuite, il y a la question de l’organisation : doit-on déplacer les animaux jusqu’au lieu de l’opération ? Laisser l’entreprise prélever l’organe et le transporter jusqu’au patient ? C’est un souci pour l’Europe qui, par rapport à la Chine ou l’Amérique du Nord, n’a pas beaucoup de lieux susceptibles de produire des animaux destinés à la xénogreffe : il n’y a qu’un seul hub en Allemagne pour le moment.
Quelles autres pistes vous paraissent prometteuses ?
L’utilisation de machines de perfusion plus perfectionnées permettrait de préserver plus longtemps des organes qui, actuellement, sont encore écartés. Je pense aussi que l’intelligence artificielle (IA) doit être mise à contribution pour créer des modèles de suivi des patients et détecter précocement les alertes pour réduire les risques de rejet. Le Paris Transplant Group a produit des travaux très intéressants sur l’utilisation de l’IA pour personnaliser la médecine de transplantation en intégrant des données cliniques, biologiques, histologiques et immunologiques.
Il faut organiser la transmission des compétences entre pays riches et pays pauvres. Dans ce contexte, l’IA peut aussi être utilisée pour abaisser le ticket d’entrée vers un réseau de transplantation performant. Par exemple, si l’on tente de monter un programme de greffes de reins en Afrique, il sera nécessaire d’installer des laboratoires d’analyse. Cela demande des expertises qui peuvent être fournies à moindre coût par l’IA.
Enfin, il y a aussi la collaboration entre plusieurs pays pour partager des pools d’organes qui ne seraient pas utilisés de manière optimale si chacun travaillait de son côté. C’est déjà une routine en Europe avec l’initiative Eurotransplant qui rassemble l’Autriche, la Belgique, la Croatie, l’Allemagne, la Hongrie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Slovénie.
Une activité de greffe en pleine croissance
Selon les données de l’Observatoire global sur le don et la transplantation, 172 409 greffes ont eu lieu en 2023 sur 164 222 patients, soit une augmentation de 9,5 % par rapport à l’année précédente. En se basant sur les pays en mesure de fournir des données exhaustives, le centre estime que 25 % des dons proviennent de personnes décédées. En tout, ce sont 111 135 reins, 41 111 foies, 10 121 cœurs, 7 811 poumons, 2 054 pancréas et 177 intestins grêles qui ont été greffés en 2023.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024