La maladie de Blount est une anomalie de croissance acquise de la partie médiale de la physe et de l’épiphyse tibiale supérieure entraînant une déformation tridimensionnelle du membre inférieur dont le défaut axial principal est un genu varum progressif sévère. Il existe deux formes cliniques en fonction de l’âge de début de la maladie : dans la forme précoce, dite tibia vara infantile (TVI), la constitution progressive d’une épiphysiodèse asymétrique, précoce et définitive est le tournant évolutif. Après 10 ans d’âge, on parle de forme tardive ou tibia vara de l’adolescent (TVA).
La forme typique de TVI est celle de l’enfant noir (africain, afro-américain, afro-caribéen) en surpoids. L’acquisition de la marche est souvent précoce, avant 10 mois. Le varus des genoux, physiologique à cet âge, s’amplifie et devient souvent asymétrique. L’anomalie de croissance tibiale supérieure est postéromédiale et tridimensionnelle, associant varus, procurvatum, torsion tibiale médiale et inégalité de longueur. L’apparition d’une instabilité ligamentaire latérale du genou lors de la mise en charge est un signe clinique essentiel de gravité. Une épiphysiodèse (soudure du cartilage de croissance) asymétrique tibiale médiale supérieure irréversible apparaît généralement vers l’âge de 6 à 8 ans et rend alors inefficaces les traitements conservateurs. Le dépistage doit permettre le traitement des formes évolutives avant ce stade.
Les déformations du genou et les anomalies associées s’aggravent spontanément, parfois jusqu’à la perte de la marche. À l’âge adulte, une arthrose précoce survient vers l’âge de 30 à 50 ans, dans un contexte de comorbidités associées à l’obésité.
Pour les autres ethnies, l’évolution est généralement moins défavorable, et l’association avec l’obésité moins habituelle. Une guérison spontanée est possible, mais il faut retenir que la majorité des TVI s’aggravent. L’abstention thérapeutique ne se justifie donc que sous une surveillance stricte.
Un diagnostic avant l’épiphysiodèse
Il faut absolument diagnostiquer le TVI avant le stade de l’épiphysiodèse. L’interrogatoire des parents renseigne sur l’âge de la marche, souvent avant un an, et sur les antécédents, familiaux.
Le TVI doit être distingué des autres causes classiques de genu varum du petit enfant. Le genu varum physiologique persiste souvent un an après l’acquisition de la marche. Il est modéré, symétrique et sans instabilité. D’autres étiologies sont possibles : séquelles d’infections et de traumatismes, malformations, maladies constitutionnelles et métaboliques. Le contexte et les anomalies associées orientent alors le diagnostic.
Il faut observer la marche. Le signe caractéristique est l’instabilité latérale du genou à la phase initiale du pas (lateral thrust). Typiquement, c’est devant la persistance du genu varum chez un jeune enfant en surpoids et souvent d’origine afro-antillaise que l’on suspectera le diagnostic.
Le varus siège à la partie proximale de la jambe. La torsion tibiale est souvent interne. Dans les formes asymétriques, l’inégalité de longueur est voisine du centimètre. L’instabilité ligamentaire est classée en quatre stades : O, laxité physiologique ; +, laxité interne ; ++, laxité latérale ; +++, laxité multidirectionnelle.
Une imagerie hiérarchisée
Le pangonogramme est la première prescription, rotules de face exposant l’ensemble des membres inférieurs, des hanches aux chevilles. C’est le cliché standard de dépistage au stade initial, il permet de quantifier le varus global.
L’aspect radiographique classique du TVI au stade précoce associe une angulation en varus métaphysaire médial, un retard d’ossification médiale du noyau épiphysaire (augmentant la pente épiphysaire osseuse), un élargissement et des irrégularités métaphysaires médiaux, donnant un aspect de « bec métaphysaire », et enfin une subluxation latérale du tibia.
La radiographie permet de porter le diagnostic de TVI à partir de l’âge de 2,5 ans le plus souvent, mais aussi d’écarter les autres causes classiques de genu varum. La surveillance radioclinique des formes évolutives est souvent bisannuelle. Pour diminuer l’irradiation, l’EOS doit être privilégié dès l’âge de 4 ou 5 ans.
L’IRM quant à lui permet l’étude morphologique des anomalies cartilagineuses, méniscales et ligamentaires, mais aussi de la vascularisation des cartilages de croissance et des stades précoces de constitution des ponts d’épiphysiodèse.
Un traitement conservateur de la zone de croissance doit être logiquement proposé si l’IRM montre une vascularisation homogène et l’absence d’anomalie de signal du cartilage de croissance. Dans notre expérience, les cas associant une obésité non contrôlée, un varus progressif et des anomalies de perfusion du cartilage de croissance en IRM évoluent systématiquement vers l’épiphysiodèse asymétrique.
Enfin, le scanner est un examen irradiant. Il est utile pour la planification opératoire des formes tardives et complexes, lorsque l’ossification est avancée.
Replacer la maladie dans son contexte
La maladie de Blount n’est pas une maladie isolée du tibia proximal. Elle s’accompagne, à des degrés variables, d’anomalies fémorales (proximales et distales) et de la cheville.
Le tournant évolutif de la maladie est la période de constitution de l’épiphysiodèse définitive. Le but principal des classifications proposées est donc de fixer cette période. Celle de Laville est radiographique. En pratique, nous utilisons la classification de Fort-de-France, où les stades évolutifs radiologiques sont remplacés par les données IRM.
Le traitement orthopédique mérite parfois d’être discuté. Des orthèses de type cruropédieuses avec contraintes valgisantes sont parfois proposées. Ce traitement peut être efficace s’il débute chez des enfants de moins de 3 ans, sans surpoids majeur, et si le port est essentiellement nocturne. La durée du traitement est d’un an, mais surtout il ne doit pas retarder l’indication d’ostéotomie avant l’âge de 4 ans. Le niveau de preuve est insuffisant.
Il n’y a pas d’intérêt au port de semelles ou de chaussures dites orthopédiques.
Ne pas rater l’âge de l’ostéotomie
Pour la majorité des auteurs, devant un TVI évolutif, la correction chirurgicale du trouble d’axe avant 4 ans permet la guérison dans 80 % des cas.
C’est donc devant une maladie de Blount prouvée et évolutive (stade 1 de Fort-de-France), avec des facteurs de risques (obésité, origine afro-caribéenne, marche précoce) chez un enfant de moins de 4 ans que l’on proposera habituellement une ostéotomie. Un signe clinique caractéristique est l’instabilité latérale lors de la mise en charge (lateral thrust), qui marque le début de la défaillance mécanique du genou.
Pour la majorité des auteurs, le risque de récidive après ostéotomie augmente rapidement après 4 ans et devient maximal lorsque l’épiphysiodèse est constituée. La radiographie simple est insuffisante pour fixer un pronostic. L’IRM morphologique et dynamique après gadolinium peut montrer des anomalies précoces de vascularisation de la physe, correspondant au stade initial de constitution de l’épiphysiodèse.
Un traitement plus complexe quand il est retardé
Le stade 3 de Fort-de-France modifié est atteint vers l’âge de 6 à 8 ans dans la forme classique de l’enfant obèse afro-antillais, plus tardivement ailleurs. La déformation est tridimensionnelle, avec varus, pente tibiale postéromédiale, procurvatum, torsion tibiale médiale et inégalité de longueur. Le traitement de cette déformation complexe doit être adapté à chaque cas et dépend de l’âge de l’enfant, de l’importance des déformations, du contexte psychosocial et de l’expérience du chirurgien. Aucun traitement conservateur n’a prouvé sa capacité à restaurer de façon durable une croissance symétrique.
Le traitement doit logiquement comporter les étapes suivantes : stérilisation complète de la physe tibiale supérieure ; valgisation ; élévation postéromédiale du plateau tibial médial ; dérotation ; allongement.
La plupart des séries proposent une correction progressive par fixateur externe avec un taux de complications (neurologiques, syndrome de loge, pseudarthrose) significativement inférieur à celui des corrections complètes extemporanées. Nous utilisons un fixateur hybride spécifique. Les gestes sont percutanés, et la correction progressive se fait dans le plan du cartilage de croissance sans qu’une greffe osseuse ne soit nécessaire.
D’après la conférence d’enseignement du Pr Marc Janoyer, service de chirurgie infantile du CHU de Martinique
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